Le torchon brûle entre médecins et pharmaciens

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Longtemps réclamé par les pharmaciens, le droit de substituer des médicaments prescrits par des médecins par d’autres du même groupe générique suscite à nouveau la polémique entre les deux professions.

Mounia Kabiri Kettani

Tout a commencé par une proposition d’amendement de l’article 29 de la loi 17-04 qui porte sur le code du médicament et de la pharmacie, émise par le groupe istiqlalien à la Chambre des représentants. Cette suggestion a pour objectif de donner le droit aux pharmaciens de substituer les médicaments prescrits par les médecins par d’autres de la famille générique, en cas de rupture de stock. Ceci n’a pas été du goût des médecins du secteur libéral. Dans un communiqué virulent, ils dénoncent haut et fort l’adoption de cette mesure qui pour eux, portera atteinte à la santé du citoyen. «La substitution ne peut pas se faire sans avoir une idée au préalable sur l’état du malade, sa maladie, son immunité, ses problèmes allergiques… bref, c’est le métier du médecin. Personnellement quand un pharmacien m’appelle pour question de substitution, je suis obligé de voir le dossier médical du patient avant de lui changer le médicament et lui proposer un autre qui peut lui être fatal », déclare le président du syndicat national des médecins du secteur libéral, Badreddine Dassouli qui ajoute que « si les pharmaciens veulent avoir ce droit, qu’ils assument leur responsabilité totale ».

Rupture de stock

Le président du syndicat national des médecins du secteur libéral ne cache pas sa colère contre la dite proposition. Pour lui,  chaque partie doit non seulement respecter la profession de l’autre mais ne pas empiéter sur ses prérogatives. « Depuis la nuit des temps, c’est toujours le médecin qui fait le diagnostic, et prescrit le traitement et fait le suivi de son efficacité. Le pharmacien, lui, et selon la loi a pour rôle de délivrer les médicaments et conseiller dans le cas de médicaments sans ordonnance, et expliquer le process de prise de médicaments », explique Badreddine Dassouli. Pour la confédération des syndicats des pharmaciens du Maroc, le but de cet amendement n’est guère de se substituer en médecin, mais plutôt d’assurer la disponibilité des traitements en faveur des patients surtout en cette période de confinement qui a entraîné la fermeture de certains cabinets médicaux et ne permet pas de faire le tour des pharmacies pour trouver un médicament en rupture pour diverses raisons. Ceci dit «à la base, le pharmacien a une formation qui lui permet d’être le mieux placé pour changer le médicament en cas d’indisponibilité par un équivalent avec le même dosage et le même effet thérapeutique. C’est un droit que nous avons demandé dans un contexte spécial où il est illogique de priver le citoyen de poursuivre son traitement », déclare le secrétaire général de la confédération Amine Bouzoubaâ .

Pour Dassouli, le contexte actuel n’est qu’un prétexte. Ce projet d’amendement a été proposé à maintes reprises et n’a jamais abouti. Car, en cas de rupture de stock, le médecin est au courant et donc finalement, il ne va prescrire le médicament en question.  « On ne va pas régler le problème de rupture de stock au dépend de la santé du malade et de tout le système de santé national », prévient-il.

Une communication difficile

Selon Dassouli, avant la substitution, le pharmacien doit absolument contacter le médecin traitant pour avoir son feu vert. Or, Amine Bouzoubaa, nous confie que 50% des ordonnances émanent du secteur public. Dans les quartiers populaires le taux dépasse même les 70%. «Difficile de communiquer avec les prescripteurs du secteur public pour plusieurs raisons. Et pour le privé, dans la plupart du temps, nous avons du mal à joindre les médecins souvent occupés par des consultations, ou des opérations chirurgicales… », affirme Bouzoubaa.

Autre point de divergence : le taux de médicaments sans ordonnance. Si Dassouli estime que 80% des médicaments au Maroc sont délivrés sans ordonnance, en référence à une étude menée par un pharmacien en 2009, pour Bouzoubaa  ce taux concerne plutôt les médicaments pris sur la base de l’auto-médication. Un autre argument pour les pharmaciens qui insistent sur leur rôle de conseiller pour préserver la santé du patient. « Cette réalité fait que le pharmacien se trouve un prescripteur malgré lui, pratiquant un droit de substitution le plus souvent dicté par le faible niveau socio-économique des patients », reconnait Bouzoubaa.

Générique ou princeps ?

Pour promouvoir le médicament générique, plusieurs pays ont conféré le droit de substitution aux pharmaciens tels que l’Allemagne, les USA, l’Algérie, la Tunisie, etc. Cependant, le président du syndicat national des médecins du secteur libéral, assure que sur les 80% des médicaments vendus sans ordonnance, 72% sont des princeps. Autrement dit, pour lui les pharmaciens n’encouragent pas le recours aux génériques. Et que cette substitution va aggraver encore plus la situation. Le président de la confédération des syndicats des pharmaciens du Maroc, réfute catégoriquement cette hypothèse. D’après lui, on ne substitue jamais un générique par un princeps. «En règle générale, la substitution se fait toujours vers le bas. Si le médicament princeps est introuvable, on le remplace plutôt par un générique. Et pour le générique, on propose un autre, moins cher », affirme t-il. En gros, «ceci va bénéficier au citoyen en cas de remboursement par les mutuelles qui font supporter au patient un large différé entre  le prix de référence des médicaments et le produit prescrit », ajoute Bouzoubaa.

Jusque là, le projet d’amendement est toujours en cours de discussion. Rien de concret pour le moment. Mais une chose est sûre pour Dassouli, « on va lutter et aller jusqu’au bout pour bloquer le projet ».