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A Minneapolis, jeudi.
Photo Jerry Holt. AP

Les élections dans le viseur, Trump attise la colère raciale

Le Président a publié un tweet considéré par le réseau social comme une «apologie de la violence», au moment où les Noirs paient un lourd tribut au Covid-19, ainsi qu’à la pauvreté et aux violences policières.

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A-t-il lu la formule dans un article ? Ou lui a-t-elle été soufflée par un conseiller ? «Quand les pillages démarrent, les tirs commencent», a tweeté jeudi soir Donald Trump, menaçant les «voyous» de Minneapolis d’une intervention de l’armée. Peu après, ce message a été masqué (mais laissé accessible) par Twitter qui y a vu, comme beaucoup, une «apologie de la violence». Choquants, les mots exacts du président américain – «When the looting starts, the shooting starts» – le sont d’autant plus qu’ils ont été empruntés à un certain Walter Headley, chef de la police raciste de Miami qui, fin 1967, les prononça pour justifier sa répression des quartiers afro-américains. «Cela nous est égal d’être accusés de brutalité policière. Ils n’ont encore rien vu», avait ajouté Headley.

Plus d’un demi-siècle plus tard, beaucoup de choses ont changé aux Etats-Unis. Et si peu à la fois, comme le prouvent, dans un enchaînement au goût amer de déjà-vu, la mort de George Floyd, les manifestations - parfois violentes - et cet emprunt rhétorique par un président dont la victoire il y a quatre ans a donné espoir et légitimité aux suprémacistes blancs, traumatisés par les deux mandats d’Obama. Alors que la campagne pour l’élection de novembre, mise en sourdine par le coronavirus, va reprendre progressivement, Trump profite des événements de Minneapolis pour ressortir sa panoplie du shérif implacable. «Le crime et la violence qui accablent aujourd’hui notre nation prendront fin bientôt. […] Je restaurerai la loi et l’ordre», promettait-il lors de la convention républicaine en 2016, dans un discours d’une rare noirceur. «Ces voyous déshonorent la mémoire de George Floyd, et je ne les laisserai pas faire», martèle-t-il aujourd’hui. 

«Nationalisme blanc»

Pour la militante afro-féministe et professeure de droit Kimberlé Crenshaw, le tweet de Donald Trump s’inscrit clairement - comme presque toujours avec le milliardaire - dans une logique électoraliste. «Ne vous y trompez pas. Le président des Etats-Unis menace de tuer des Américains. Cela ne va faire qu’empirer, et il va dériver de plus en plus, à l’approche de l’élection, vers un nationalisme blanc autoritaire. Il considère que c’est son chemin vers la victoire», analyse celle qui théorisa en 1989 le concept d’«intersectionnalité», qui s’intéresse à la pluralité et au croisement des discriminations - de classe, de sexe, de race…

Encore vives dans l’Amérique de 2020, ces discriminations - raciales en tête - continuent d’endeuiller la communauté noire, dont des membres perdent régulièrement la vie lors d’interactions violentes avec des policiers ou des «justiciers» autoproclamés. La mort de George Floyd fait ainsi écho à deux drames récents. Le décès, fin février en Géorgie, d’Ahmaud Arbery, pourchassé et abattu par un ancien policier et son fils alors qu’il faisait son jogging. Et celui, en mars à Louisville (Kentucky) de Breonna Taylor, ambulancière noire de 26 ans tuée de huit balles dans son appartement par des policiers entrés en pleine nuit, sur la base d’un mandat erroné.

A l’été 2013, en réponse à l’acquittement de George Zimmerman, qui avait tué en Floride l’adolescent Trayvon Martin, le mouvement Black Lives Matter («la vie des Noirs compte») avait vu le jour pour dénoncer la violence policière et judiciaire envers les Noirs. Très actif après les décès de Michael Brown à Ferguson (Missouri), Eric Garner à New York ou Freddie Gray à Baltimore, le mouvement a contribué à une médiatisation et une prise de conscience accrues du phénomène.

Fragilité systémique

Mais sur le plan statistique, l’échec est flagrant. Ni le port renforcé de caméras par les forces de l’ordre ni les programmes de formation antipréjugés mis en place dans de multiples polices du pays n’ont permis d’enrayer le fléau. Le projet Mapping Police Violence a comptabilisé 1 099 personnes tuées par la police en 2019. Un chiffre quasiment stable depuis 2013, tout comme l’est la vulnérabilité des Noirs, qui ont trois fois plus de risques d’être tués que les Blancs. Treize fois plus à Minneapolis, «l’une des plus fortes disparités raciales» du pays, note Samuel Sinyangwe, cofondateur du projet.

Pourquoi un tel échec ? Car les policiers impliqués ne sont que très rarement jugés, encore moins condamnés. Et parce que le problème est profond, soulignent à l’unisson les spécialistes du sujet. «Toute solution à long terme doit s’attaquer aux conditions dans lesquelles vivent les communautés marginalisées, écrivait ainsi en février dans The Conversation la criminologue Jennifer Cobbina. Les Noirs aux Etats-Unis vivent de manière disproportionnée dans des quartiers caractérisés par des inégalités systématiques, le chômage, la pauvreté et des services publics inadéquats - autant de conditions dans lesquelles le crime a traditionnellement prospéré.»

«Péché originel»

Vendredi, le futur adversaire démocrate de Donald Trump à la présidentielle, Joe Biden, a dénoncé «la plaie béante» du «racisme institutionnel» aux Etats-Unis. «Le péché originel de ce pays souille encore notre nation», a t-il ajouté, en référence à l'esclavage. Très populaire au sein de l'électorat noir, qui a relancé au printemps sa campagne des primaires moribonde, l'ancien vice-président de Barack Obama a toutefois soutenu, tout au long de sa longue carrière de sénateur, des lois punitives qui ont largement contribué à l'incarcération massive des Afro-Américains. Appelant à une «véritable réforme de la police», Joe Biden a confié s'être entretenu avec la famille de George Floyd, à qui il a promis de tout faire «pour que justice soit rendue»

L’épidémie de coronavirus, qui a fait au moins 100 000 morts dans le pays, a illustré de manière criante la fragilité systémique de la communauté noire, la plus durement touchée sur les plans sanitaire et économique. Les morts successives de Ahmaud Arbery, Breonna Taylor et George Floyd ne font qu’attiser les angoisses, conclut Riana Anderson, professeure à l’université du Michigan : «L’idée que je ne serai peut-être plus là demain est une peur omniprésente chez les Noirs américains, que ce soit à cause de policiers, de l’épidémie de Covid-19, d’une espérance de vie plus courte ou de facteurs environnementaux, comme l’empoisonnement au plomb. Les Noirs sont atteints de tous les côtés par la menace de perdre la vie. C’est épuisant. Exténuant. Déprimant.»