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Samir Slim de FO et Philippe da Silva de la CFDT, devant leur usine de Choisy-le-Roi, vendredi. Les salariés viennent d’apprendre que leur activité sera transférée dans les Yvelines.
Photo Marc Chaumeil pour Libération

Renault serre la ceinture

Le constructeur automobile a présenté vendredi un sévère plan d’économies, avec près de 15 000 postes supprimés, dont 4 600 en France, où il ne pourrait garder à terme que deux sites d’assemblage.

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Renault tourne enfin la page de l’ère Carlos Ghosn et au bout du compte c’est l’emploi qui trinque. En présentant un sévère plan d’économies qui va se traduire par la suppression de 15 000 postes dans le monde (sur 180 000) dont 4 600 en France (sur 48 000) d’ici à 2022, le président du groupe au losange, Jean-Dominique Senard, et sa directrice générale, Clotilde Delbos, ont clairement signifié «l’urgence» qu’il y avait à rompre avec le règne passé misant sur la course aux volumes et le mirage d’une croissance illimitée dans les pays émergents. «Ce plan n’a qu’un seul objectif : réduire les coûts fixes et permettre à l’entreprise de renouer avec la profitabilité», a expliqué l’ancien dirigeant de Michelin. De fait, Renault n’a pas su s’adapter au retournement du marché et doit maintenant faire face à d’importantes surcapacités de production dans l’Hexagone : les stocks s’accumulaient avant même la crise sanitaire. Bien qu’il affiche une marge opérationnelle encore proche de 5 % - «il n’y a pas le feu au lac», a assuré Senard -, le constructeur a fini 2019 dans le rouge en raison d’un abandon de créance fiscale pour 753 millions d’euros. Une première depuis dix ans. En 2018, Renault affichait encore 3,4 milliards d’euros de profits.

Kangoo

Ce plan de rigueur, dont le projet avait été annoncé dès la fin janvier et qui n’est donc pas directement lié au coronavirus, va se traduire par 2 milliards d’euros d’économies dans les trois prochaines années. La réduction des effectifs à hauteur de 10 % dans l’Hexagone se fera sans licenciements secs ni «souffrance sociale», a promis Jean-Dominique Senard : la direction mise sur «des mesures de reconversion, de mobilité interne et des départs volontaires». Plusieurs des quatorze sites français de la marque au losange n’en sont pas moins directement menacés, même si un seul fermera à l’horizon 2022 : Choisy-le-Roi (Val-de-Marne, 260 salariés) dont l’activité de recyclage sera transférée à Flins (Yvelines, 2 600 salariés), où l’arrêt de la production automobile est programmé vers 2024, après la mise à la retraite de la Zoe électrique (lire notre reportage ci-contre). Transformée en un encore très flou «écosystème d’économie circulaire», cette usine symbole de la marque ne conservera que 1 600 employés…

A terme, Renault pourrait ainsi ne garder en France que deux grands sites d’assemblage : Douai (Nord) pour les véhicules individuels, et Sandouville (Seine-Maritime) pour les utilitaires. Le site de la Fonderie de Bretagne (près de 400 salariés) à Caudan (Morbihan), va être soumis à une «revue stratégique», ce qui signifie qu’il sera reconverti avec un possible changement d’actionnaire, tout comme celui de Dieppe en Seine-Maritime (400 salariés également) après la fin de l’Alpine A110 qui n’est produite qu’à raison de sept véhicules par jour. Dans le Nord, l’usine de Maubeuge va perdre la chaîne des Kangoo qui sera transférée à Douai : le site est à l’arrêt depuis vendredi matin depuis que l’intersyndicale (CGT, CFDT, CFTC, CFE-CGC, SUD) a appelé à la grève et à une manifestation samedi.

Au total, l’objectif du plan Senard est de ramener les capacités de production en France à 830 000 véhicules contre 1,1 million aujourd’hui. En 2021, le constructeur aux cinq marques (avec Alpine, Dacia, Lada et Samsung Motors) ne devrait plus peser que 3,3 millions de véhicules par an contre 4 millions aujourd’hui. Côté international, les projets d’augmentation de capacité des usines Dacia du Maroc et de Roumanie sont suspendus et des ajustements auront également lieu en Russie et en Chine où la production d’un nouveau moteur électrique 100 kilowatts sera relocalisée en France. Cette unique annonce de relocalisation était une des conditions fixées à Renault par l’Etat actionnaire (15 % du capital) pour l’obtention du prêt de 5 milliards d’euros destiné à assurer sa survie.

Folle course

Cette réduction drastique de l’outil industriel représente environ un tiers des économies prévues. Le reste proviendra de la rationalisation des activités d’ingénierie pour 800 millions d’euros, avec notamment une réorganisation du technocentre de Guyancourt (Yvelines) et des coupes dans les frais généraux et marketing pour 700 millions d’euros. «Nous avions taillé nos coûts en fonction d’un pari sur une croissance record du marché qui n’est jamais venue», a justifié la directrice financière et générale par intérim, Clotilde Delbos. Son ancien patron Carlos Ghosn, qui avait lancé Renault dans une folle course aux volumes, visait 5,5 millions de véhicules vendus à l’horizon 2022. Mais le succès n’est venu que de la filiale roumaine à bas coûts Dacia qui a plus que doublé ses ventes, tandis que la marque au losange perdait du terrain. Renault a surtout complètement manqué le virage des SUV, ces voitures aux allures de 4×4 dont les ventes ont explosé. Et lorsque le marché s’est retourné à partir de 2018, le groupe a eu tendance à brader ses voitures, nuisant à la fois à ses marges et à son image. Et comme le résume Ferdinand Dudenhöffer, directeur du Center Automotive Research (CAR) basé en Allemagne, dans le contexte d’un marché saturé, Renault a «beaucoup trop de modèles différents pour des volumes trop faibles».

Les syndicats s’inquiètent évidemment des conséquences de ce tour de vis financier sans vrai nouveau cap stratégique. La CFDT a dénoncé un «projet de casse sociale et de désindustrialisation» tandis que la CGT a déploré une «stratégie assez suicidaire». Son délégué central, Fabien Gâche, a déjà prévenu qu’il refuserait tout accompagnement «en douceur» de ce plan. La direction cherche selon lui à privilégier les modèles à forte marge en cantonnant Renault à la production d’utilitaires et de petits véhicules, abandonnant toute ambition sur les segments plus haut de gamme du marché. «Contrairement à ce que Renault a promis au gouvernement, les gros volumes électriques qui constituent le marché de demain seront produits hors de France», prédit le syndicaliste. Attendu comme sauveur, l’Italien Luca de Meo, ex-patron de Seat (groupe Volkswagen), prendra les rênes du groupe à partir du 1er juillet. Il devra définir un nouveau cap pour l’ancienne régie Renault, qui fait pâle figure face à son rival PSA Peugeot-Citroën, sur le point d’avaler FCA Fiat-Chrysler.