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Une partie de la lettre qu’Antoinette Lamontagne a écrite à ses parents le 28 mai 1890 de Kamloops. Elle parle notamment de l’état de santé de ses enfants. «Les enfants, dit-elle, ont été bien malades de la croupe dernièrement.» (Il s’agit d’une forme de laryngite.) «C’était extraordinaire pour le temps que nous avions. Une chaleur écrasante de 96 à l’ombre. (Il s’agit de degrés Fahrenheit. Ils correspondent à 35,5 Celsius.) Mais les nuits étaient bien fraîches et c’est à quoi on attribue cette maladie.»

Sur les routes de l’Amérique

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Au 19e siècle, 9 frères et sœurs ont quitté leur Gaspésie natale et une vie confortable pour prendre part à l’exode massif des Canadiens français sur le continent

0Ce contenu est produit par l'Université Laval.

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«Bien chers parents, je crains que depuis longtemps vous soyiez dans l’inquiétude à notre sujet. J’aurais dû, je le sais, écrire il y a plusieurs semaines et vous remercier de toutes vos bonne lettres. Mais je remettais d’une journée à l’autre et ainsi le temps s’écoula. Comment êtes-vous tous?»

Ces quelques phrases écrites avec style et empreintes d’amour filial frappent par leur modernité. Pourtant, la lettre dont elles sont extraites a été écrite presque jour pour jour, il y a 130 ans, le 28 mai 1890, à Kamloops, en Colombie-Britannique. Son auteure, Antoinette Lamontagne-Saucier, était une Gaspésienne de Sainte-Anne-des-Monts partie faire fortune à l’autre bout du continent avec son mari, un horloger-bijoutier originaire de Matane.

«Cet entrepreneur dans l’âme, après avoir ouvert une boutique d’horloger-bijoutier, se lancera dans la spéculation foncière, achetant successivement des terres, des parts dans des mines, ainsi que des terrains miniers susceptibles de renfermer du charbon, explique Mario Mimeault, diplômé en histoire de l’Université Laval. Il fondera aussi une compagnie de téléphone, une compagnie d’électricité et une compagnie de transport maritime. Antoinette, pour sa part, était la fille de l’homme d’affaires le plus prospère du nord de la Gaspésie. Instruite et ambitieuse, elle participait aux décisions d’affaires de son mari, fait rare pour l’époque. Dans sa correspondance, elle parle de leurs affaires en utilisant toujours le «nous» et non le “il a décidé”, “il a fait”.»

Ces informations sont tirées de L’Exode québécois 1852-1925, sous-titré Correspondance d’une famille dispersée en Amérique. Ce gros livre de 452 pages, publié en 2013 aux éditions du Septentrion, est présentement finaliste pour la médaille François-Xavier-Garneau, le plus prestigieux des prix de la Société historique du Canada. L’ouvrage reproduit le contenu de la thèse de doctorat en histoire de Mario Mimeault, historien, chercheur et auteur, aujourd’hui retraité de l’enseignement.

«Antoinette et son époux Joseph Ernest Saucier, dit-il, sont l’exemple d’un jeune couple ambitieux qui réussira à force de patience à une époque où environ un million de Canadiens français quitteront le Québec dans l’espoir d’améliorer leur condition socio-économique ailleurs au Canada et aux États-Unis. Antoinette avait ceci de particulier qu’elle était issue de la bourgeoisie, bien loin du portrait du migrant canadien français typique de l’époque. Autre caractéristique: huit de ses frères et sœurs ont fait comme elle et quitté la Gaspésie pour diverses raisons. Enfin, grâce à la solidité des liens familiaux, parents, frères et sœurs alimenteront une impressionnante correspondance durant des décennies.»

Un corpus de plus de 1000 lettres

Pour sa thèse, Mario Mimeault a étudié plus de 1000 lettres. «La correspondance qui subsiste contiendrait environ 4000 lettres, souligne-t-il. J’ai eu accès à environ 2000 lettres et j’en ai trié 1057 écrites par les neuf frères et sœurs qui ont quitté la Gaspésie, ce qui donne quelque 4000 pages d’informations qui débordent le factuel pour entrer dans l’intime des personnes. Dans le monde francophone, à ce jour et parmi les correspondances qui sont connues, celle de la famille Lamontagne est la plus considérable.»

Sur les neuf enfants, sept sont revenus au bercail au bout de plusieurs années, notamment Antoinette et son mari. Seuls Emma et Ephrem se sont enracinés dans leur milieu d’accueil. Tous ces expatriés n’ont jamais brisé le lien épistolaire, la correspondance soutenue qui les unissait.

«Pour ces migrants, soutient l’historien, la lettre devient substitut familial, support psychologique et source de délivrance. Ces migrants s’écrivent par nécessité. La lettre constitue un espace de solidarité et le lieu de leur expression identitaire. C’est un outil de la continuité familiale et un outil de cohésion. Loin du Québec, tous conservent les valeurs qui en font des Gaspésiens, des Canadiens français et des catholiques romains.»

Dans une lettre destinée à son père et datée du 23 novembre 1886, Emma Lamontagne décrit son arrivée par train à Vancouver avec son mari et ses enfants.

«Il faisait un temps d’été quand nous sommes arrivés ici. La ville actuelle est sur un joli site, une presqu’île, et ça se bâtit à la course. C’est quasiment surprenant pour une ville de quatre mois d’existence. La population est de 3000 âmes, les bâtisses grandes et jolies, les rues larges ainsi que les trottoirs. Il y a de tout, magasins, marchés, pharmacie, médecins, magasins de musique aussi, de grands hôtels, trois églises protestantes et une catholique en construction. La messe va se dire pour le 1er décembre. J’en suis pas fâchée.»

Le 29 décembre de la même année, Émile Lamontagne, un commerçant établi à Sturgeon Falls, dans le nord de l’Ontario, écrivait à son père pour lui faire part de ses problèmes financiers. Il lui rappelle avoir ouvert un magasin à Sudbury et là comme à Sturgeon Falls, les affaires vont mal. «Je ne sais que faire, dit-il. Bien vite je crois que je serai obligé de me défaire d’une section de mes biens. […] Je dois beaucoup, environ 3000,00$.»

«Émile est l’exemple d’un fils qui veut chausser les bottes de son père, mais qui n’en a pas la stature, indique Mario Mimeault. Il connaîtra un échec malheureux. Sa correspondance est abondante. Il parle de sa famille, mais aussi beaucoup de ses affaires. Commissaire d’école, conseiller municipal comme son père, il a voulu reproduire le modèle paternel. Pour diverses raisons, son séjour en Ontario sera un échec. En revenant au Québec, il prendra la gestion des installations de sciage de son père aux Escoumins.»

Le 9 juin 1918, Ephrem Lamontagne écrit une lettre à son frère Georges, le responsable des activités de l’entreprise familiale à Sainte-Anne-des-Monts. Ephrem vit à New York où il est à l’emploi de la Pathé Frères Phonograph Company, une entreprise française. Dans sa correspondance, il écrit souvent vouloir revenir au Canada.

«Je t’avais écrit il y a quelques temps que j’aimerais décendre faire un tour dans les parages que je n’ai pas visités il y a si longtemps. […] J’aimerais savoir le moyen le plus pratique pour arriver à Ste-Anne. Il y a-t-il des bateaux? Ou s’il faut faire trajet par terre? […] J’ai bien besoin de vacances et si c’est possible pour moi j’aimerais bien faire le voyage et pense je pourrai faire le passage par eau et par terre afin de voir tous les parents.»

«J’ignore quel travail Ephrem faisait chez Pathé, explique l’historien. Il s’est toujours montré discret à ce sujet. Il occupait certainement un haut poste, puisque c’est lui qui allait rendre annuellement des comptes sur les opérations à la maison mère à Paris. Son avantage était qu’il parlait aisément le français comme l’anglais. Dans leurs lettres, ses sœurs mentionnaient occasionnellement ses voyages.»

Divers motifs de partir

La correspondance révèle que les neuf enfants ayant quitté la Gaspésie l’ont fait parce qu’ils croyaient ne pas avoir d’avenir dans l’entreprise familiale. Tous étaient instruits, ayant été formés dans les Maritimes, à Rimouski ou à Montréal. Chacun avait ses raisons propres de partir. Est-ce que certains étaient aventureux de nature? Pas nécessairement. Étaient-ils attirés par des aspects tels que le rêve américain? Oui, pour Éphrem Lamontagne. La vie dans les grandes villes? Plutôt ce qu’on pouvait y trouver, comme des emplois payants. Ressentaient-ils le besoin de s’affranchir de l’autorité paternelle? Non, car tous les enfants acceptaient le leadership de leur père. L’ont-ils fait par quête d’autonomie? Oui, pour Éphrem.
 
«Quand Antoinette s’est mariée en 1887, la ruée vers l’or battait son plein sur la côte ouest du pays, raconte Mario Mimeault. Pour elle et son frère Éphrem, qui a pris la route de New York, partir était la promesse de l’Eldorado. Emma, la sœur aînée, a suivi son époux, Édouard Vachon, un des barons du bois de la province de Québec, ruiné par la crise économique de 1877. Elle l’a suivi jusqu’à Vancouver, où Vachon sera reconnu plus tard comme un des pères fondateurs du nouveau Vancouver. Elle restera sur la côte ouest tout le reste de sa vie. Quant à Émile, qui ne s’en ouvre jamais, mais dont le parcours de vie nous le révèle, il voulait reproduire le modèle patriarcal. Après une banqueroute à Sturgeon Falls et une trop grande pression face aux obligations sociales qu’il s’est imposées, il reviendra au Québec.»

Mais que trouve-t-on dans ces lettres? On peut imaginer plein de choses comme l'enfant en bas âge qui se remet d'une maladie, un retour sur un accouchement difficile, une naissance nouvelle, un décès. On s’informe des développements du commerce familial en Gaspésie. On fait aussi des rêves de retour au pays, qui ne se réaliseront pas toujours. On décrit un beau voyage que l’on a fait, on parle de nouveaux amis que l’on s’est faits. Emma, notamment, à la demande de son père, a décrit son nouveau milieu de vie. Les expatriés font souvent des commentaires sur la vie politique dans le milieu d’accueil, surtout quand ces situations peuvent jouer sur leur destin personnel. Les Lamontagne étaient d'allégeance conservatrice. Ils s’échangeaient les journaux du Québec. Les campagnes électorales au Québec et au Canada suscitaient leur attention. Certaines des filles suivaient la politique de près.

«La clé de voûte de cette correspondance est le père de famille, Théodore-Jean Lamontagne, soutient Mario Mimeault. Il est celui sur qui, au-delà des distances, ses fils et filles s’appuient et par qui ils se définissent. Cet entrepreneur a monté une entreprise commerciale basée sur la pêche et la forêt, une entreprise d’importance nationale et même internationale entre 1852 et 1907, parmi les plus importantes du Québec en son temps.»

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Montage de photos de Théodore-Jean Lamontagne en 1907 et de sa fille Antoinette. À Sainte-Anne-des-Monts, en Gaspésie, Théodore-Jean a monté une entreprise commerciale basée sur la pêche et la forêt, une entreprise d’importance nationale et même internationale entre 1852 et 1907. Antoinette et son époux Joseph Ernest Saucier sont l’exemple d’un jeune couple ambitieux qui réussira à force de patience, sur la côte ouest du Canada d’abord, et ensuite au Québec après leur retour.Collection Mario Mimeault