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Capture d ecran de l interview exclusive du professeur Didier Raoult sur l evolution de l epidemie de covid 19 en France sur BFM TV

Docteurs et médias : le fol amour

Avec Didier Raoult en tête de gondole, les rédactions offrent des espaces jamais vus aux scientifiques. Non sans problèmes de nuances.

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Mardi, Didier Raoult a affolé les compteurs médiatiques. Son interview par David Pujadas, forcément «exclusive», sur LCI a été regardée en avant-soirée par plus de 700 000 téléspectateurs. L’émission, 24H Pujadas, a réalisé sa meilleure audience, grâce au truculent professeur marseillais, qui a fait la couverture de l’Express jeudi avec ce titre : «Raoult tire à vue.» A l’occasion, la chaîne d’information en continu de TF1 a dépassé le score de sa rivale BFM TV.

Surgissement

Cette dernière avait eu recours à la même cartouche le 30 avril, en proposant une grande interview, là encore «exclusive», du même personnage. A 21 heures, la plus grosse heure d’écoute, Didier Raoult avait déjà fait accourir les curieux. Environ 1,2 million de Français étaient devant le poste pour l’écouter disserter sur la chloroquine. Une telle «événementialisation» d’un propos scientifique est rare à la télévision. Si elle tient beaucoup à la personnalité clivante de Raoult et la conviction qu’il manifeste, en dépit des réserves émises contre sa méthode, elle illustre la place prise par la science, comme un surgissement inattendu, dans le champ médiatique.

En temps normal, le sujet ne passionne guère les plateaux audiovisuels et les rédactions sont rarement bien dotées en journalistes scientifiques. Depuis le début de la crise sanitaire, des figures sont devenues familières, telles que le président du Conseil scientifique, Jean-François Delfraissy, la directrice de recherche à l’Inserm, Vittoria Colizza, ou encore le professeur à l’Institut Pasteur Arnaud Fontanet. Habitué aux politiques, l’intervieweur matinal de RMC et BFM TV, Jean-Jacques Bourdin, a ouvert son micro à des personnes qui n’avaient pas l’habitude d’y parler. Dans un autre genre, le journaliste Patrick Cohen s’est offert un retour de hype dans C à vous grâce à ses papiers précis sur ces sujets compliqués.

«Le fait qu’il existe autant de chaînes d’info et que les réseaux sociaux soient devenus si puissants […] a produit une quantité inattendue de sciences dans les médias, constate Dominique Leglu, directrice de la rédaction du magazine Sciences & Avenir. Avec une qualité variable : tout vient parfois à se mélanger, entre rumeurs et informations recoupées. Pour nous qui travaillons cette matière depuis des années, c’est parfois étonnant.» Pour la journaliste, ce débarquement massif a surtout fait surgir un écart évident entre le temps médiatique contemporain, très rapide, et le temps scientifique. «Il y a une course aux chiffres, à trouver une solution et à la clamer. Mais la science demande du temps. Regardez Alzheimer : on cherche depuis longtemps des traitements…»

«Incertitude»

L’autre hiatus entre les deux domaines concerne l’exigence de nuance, pas toujours la qualité première de l’époque médiatique… Or «en science, plusieurs choses contradictoires peuvent être vraies en même temps, rappelle Dominique Leglu. C’est tout le problème lorsque l’on prononce le mot "incertitude".» Au vu des dernières semaines, le mot ne semble pas le plus pertinent pour qualifier le professeur Raoult. Pourtant, ce dernier a même fait la leçon à Pujadas sur ce thème : «Le problème des médias, c’est l’espèce de simplification extrême. Si vous comptez le nombre de fois où je dis "Je ne sais pas", vous serez surpris.» Osé.