https://www.lopinion.fr/sites/nb.com/files/styles/w_838/public/styles/paysage/public/images/2020/01/laurent_gbagbo_sipa.jpg?itok=GSVVypyw
Laurent Gbagbo.
© Sipa Press

Laurent Gbagbo: les paramètres du retour en terre promise

Après avoir acquitté en première instance des accusations de crimes contre l’humanité l’ancien chef d’Etat, la Cour pénale internationale vient de lever ses restrictions de voyage

by

Libre... enfin presque. En levant une partie des restrictions de sa liberté très « encadrée » dans l’attente de la décision finale de sa procédure d’appel, les juges de la Cour pénale internationale (CPI) ouvrent la voie à un retour de Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire. L’ancien chef de l’Etat ivoirien est désormais libre de ses mouvements, va récupérer son passeport, n’aura plus besoin de se présenter chaque semaine aux autorités de son pays actuel d’accueil, la Belgique, ni à se soumettre à des conditions particulières.

Son avocat, Me Emmanuel Altit, salue « une victoire » pour son client. Le 28 mai, dans la matinée, il avait déposé une requête auprès de la présidence de la CPI, soulignant le déni de justice dont faisait l’objet l’ex président, soumis à un contrôle stricte alors que la jurisprudence internationale statue généralement plus rapidement dans le cas d’un acquittement. Dans l’après-midi, les juges de la Cour d’appel ont rendu leur décision. Toutes les restrictions n’ont pas été levées. En attendant, la fin de la procédure d’appel, Laurent Gbagbo devra résider dans un des 123 États membres qui reconnaissent la CPI, une manière de s’assurer de la poursuite de sa collaboration, ce à quoi il s’est engagé par écrit. Il devra aussi informer le greffe de la Cour du choix de son prochain lieu de résidence. Le greffe devra, de son côté, s’assurer que l’État demandé accepte de l’accueillir. Il lui est aussi interdit de voir les témoins du procès et de participer à des manifestations publiques.

Epée de Damoclès. Joint par L’Opinion, Jean-Paul Benoit, avocat de la Côte d’Ivoire, a expliqué que l’Etat ivoirien a pris acte de cette décision de l’aménagement de la liberté de l’ex--pensionnaire de Scheveningen et continuera à se conformer aux dispositions du statut de Rome. « Ce ne sera pas simple à gérer, admet toutefois un proche du président Ouattara. La pression va monter politiquement pour le retour de Laurent Gbagbo mais nous gardons des cartes en main ». L’ex-président a été condamné à 20 ans de prison en Côte d’Ivoire, une épée de Damoclès que compte bien utiliser le pouvoir pour négocier les conditions du retour de Laurent Gbagbo.

Les proches de Laurent Gbagbo ont prévu de « pousser à la roue » pour préparer la venue de celui que ses partisans appellent « le Christ de Mama », du nom de son village. Ils invoquent déjà la Constitution ivoirienne qui affirme qu’« Aucun Ivoirien ne peut être contraint à l’exil ». « Le retour de Laurent Gbagbo en terre africaine est inéluctable, assure Franck Hermann Ekra, analyste et membre du bureau politique du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI). Il a gagné la bataille de la réhabilitation politique auprès de l’opinion. »

La liberté de circulation retrouvée de Laurent Gbagbo rebat les cartes politiques à un peu moins de six mois de la présidentielle ivoirienne. Tout refus de retour des autorités sera interprété comme une volonté d’infléchir sur le court des évènements. Les détracteurs reprochent déjà à l’Etat d’instrumentaliser la justice pour écarter de la course des adversaires putatifs comme Guillaume Soro, l’ex président de l’Assemblée nationale. Le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) de l’ex président Henri Konan Bédié s’est félicité de cet assouplissement des conditions de liberté de Laurent Gbagbo. Mais les analystes voient une concurrence politique se dresser sur sa route alors qu’il devrait être investi par son parti, en juin prochain, pour mener la bataille présidentielle.

« Alassane Ouattara n’est pas fermement opposé à son retour, ajoute l’un de ses proches. Mais il pourra négocier en échange la promesse de Laurent Gbagbo d’abandonner la vie politique »

Un retour à très brève échéance de Laurent Gbagbo ne pourra non plus se faire sans obtenir l’aval d’Alassane Ouattara qui a déclaré en 2016, à la sortie d’un rencontre avec François Hollande, qu’il n’enverrait plus personne à la CPI, une mesure prise à l’époque pour soustraire Simone Gbagbo de tout jugement devant la juridiction internationale. « La CPI prendra-t-elle le risque de permettre le retour de Gbagbo alors que le pouvoir pourrait l’empêcher de se rendre à une éventuelle future convocation », se demande un proche d’Alassane Ouattara, replaçant le chef de l’Etat au centre du jeu.

Génération des héritiers. La CPI et les défenseurs Gbagbo devront donc négocier avec l’Etat ivoirien une garantie de représentation. Enfin, la justice ivoirienne est en mesure d’incarcérer Laurent Gbagbo après l’avoir condamné à 20 ans d’emprisonnement pour crimes économiques, une condition qui empêche théoriquement à se présenter au prochain scrutin présidentiel. Seule une grâce du chef de l’Etat peut permettre à Laurent Gbagbo de se soustraire à cette peine.

« Alassane Ouattara n’est pas fermement opposé à son retour, ajoute l’un de ses proches. Mais il pourra négocier en échange la promesse de Laurent Gbagbo d’abandonner la vie politique. » L’actuel président ivoirien souhaite l’élection de son dauphin, le Premier ministre Amadou Gon Coulibaly. Et, aimerait, autant que possible, empêcher la génération des héritiers du père de l’indépendance, Félix Houphouët-Boigny, de participer à ce scrutin.

Pour le Front populaire ivoirien (FPI, parti de Gbagbo), il n’en est pas question. Dans un communiqué, la formation insiste sur le retour de Gbagbo sur la terre de ses ancêtres, le triomphe de la vérité, le soutien apporté par la diaspora ivoirienne et les pays qui ont accueilli les exilés politiques ivoiriens après la chute de Laurent Gbagbo. Il appelle à une paix durable en Côte d’Ivoire et à la mise en œuvre des conditions d’un dialogue républicain. Nul doute que le sort de son champion sera au cœur de ce dialogue. Laurent Gbagbo se verrait bien jouer les premiers rôles au prochain congrès de son parti, probablement à l’automne, alors que son abscence avait laissé croire que sa place était vacante et attisait les convoitises. « On n’a peut-être pas encore soldé le cycle de la succession d’Houphouët-Boigny », conclut Franck Hermann Ekra.