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L'usine Renault à Choisy-le-Roi, aujourd'hui.
Photo Marc Chaumeil pour Libération

A l'usine Renault de Choisy-le-Roi : «On nous efface d’un coup de gomme»

Les 360 salariés et prestataires du site spécialisé dans l'échange standard de moteurs et pièces défectueuses sont sous le choc : leur usine sera la seule fermée par Renault, son activité transférée à Flins, sans grande garanties pour l'avenir.

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Séparés d’une cinquantaine de kilomètres, les sites Renault de Choisy-le-Roi (Val-de-Marne) et de Flins (Yvelines) ont, depuis ce vendredi matin, destins liés. La direction de Renault a en effet officialisé son intention de fermer le premier au cours des prochaines années pour transférer ses activités au second. A Choisy, où plusieurs salariés assurent qu’«aucun écho» d’une telle décision n’était arrivé à leurs oreilles avant un article du Canard enchaîné la semaine dernière, quelque 260 postes disparaîtraient dans l’opération, sans compter l’abandon des prestataires extérieurs et des intérimaires, qui représentent plus de 100 personnes à l’année selon le syndicat majoritaire, FO.

«On nous efface d’un coup de gomme», dit estomaquée Karine Six, la secrétaire (FO) du CSE, près de la cahute d’accueil où siège un agent de sécurité qui n’a pas non plus la moindre idée de ce qu’il adviendra de lui. C’est l’heure du déjeuner et les salariés sont toujours sous le choc de l’annonce faite le matin même par la direction de Renault : Choisy-le-Roi sera le seul site sacrifié dans le cadre du plan d’économies du groupe. Ahmed et Brice tournent la tête. «Elle est belle notre usine, non ?» soupire le premier en regardant les façades couvertes de lierre du plus ancien des bâtiments. Certains se souviennent qu’elle fut construite à l’emplacement des jardins de Louis XV et rappellent que, durant l’occupation, des tanks allemands étaient parqués à l’endroit même où l’on se parle.

Après avoir compté jusqu’à 2 000 salariés, le site de Choisy s’est reconverti, depuis le nouveau millénaire, dans la rénovation de pièces usagées – ce que l’on appelle «l’échange standard» : des moteurs défectueux et autres boîtes de vitesses esquintées que l’on désosse et remet à neuf avant qu’ils retrouvent leur place d’origine. Au point que l’usine est devenue, défendent ses salariés, un «modèle de l’économie circulaire». «En fait, c’est pas logique», cogite Ahmed : selon les élus, l’usine est rentable et embauche chaque année. Y compris un nouveau directeur arrivé en janvier et qui, selon un salarié, «pleurait ce matin» en annonçant la nouvelle aux équipes par petits groupes – règles de protection anti-Covid oblige.

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Photo Marc Chaumeil pour

«Ils diront "il faut transférer en Roumanie"» 

Se pose aussi la question de la nature même des activités de Choisy. La semaine dernière au téléphone, Samir Slim, représentant FO du site, se montrait catégorique : «L’échange standard ? C’est un métier complètement à part, des formations très lourdes. Il faut déménager tous les salariés de Choisy, ou bien ça ne sera pas possible. A Flins, ils ne pourront pas faire sans nous. C’est comme quelqu’un qui n’a jamais cousu dans sa vie et à qui vous donnez une aiguille en lui disant : "Allez-y."» Mehdi, un ingénieur de 29 ans qui travaille à Choisy depuis deux ans, abonde : «C’est une activité très manuelle, vous ne pouvez pas tout automatiser. S’ils transfèrent à Flins, ils vont se retrouver avec une masse salariale qui coûtera très cher. Et là, ils diront "il faut transférer en Roumanie".» 

Là-dessus, ceux de Flins sont sur la même longueur d’onde. Au milieu des préfabriqués abritant les locaux syndicaux de ce gigantesque site, Yassine Aldidi, élu CFDT (le syndicat majoritaire) au CSE, expliquait un peu plus tôt à Libération, ce vendredi matin, que cesser la production de véhicules pour y installer les activités de Choisy ne serait en fait que la première étape d’une fermeture définitive. Si bien que les annonces de la direction, même si elles semblent épargner Flins, n’ont en rien rassuré les équipes : «On n’a pas de réponse sur ce que sera l’activité après 2024. La seule confirmation qu’on a, c’est qu’on produira la Zoé et la Nissan Micra jusqu’à leurs fins de vies.»

«Ici, on pouvait se projeter»

Le confinement n’étant pas vraiment terminé, ça roulait bien ce vendredi midi sur la route entre Flins et Choisy. Mais tout de même, il a fallu cinquante minutes sur des A13, A12 et A86 dépeuplées comme rarement. A Choisy, l’idée de se farcir cette même route en temps normal, avec heures de pointe à l’aller et au retour, n’a rien d’excitant pour des salariés qui, dans leur écrasante majorité, se sont installés dans ce coin du Val-de-Marne avec leur famille. «Ici, on pouvait se projeter. Beaucoup de gens ont contracté des prêts pour leur maison il y a moins de cinq ans», explique Ahmed. D’autres sont installés de longue date : selon Samir Slim de FO, la moyenne d’ancienneté sur le site est de vingt ans.

Tous les salariés interrogés voient leur usine comme un lieu à part, presque une PME au sein du mastodonte qu’est Renault. «Ici, le savoir-faire c’est Choisy, pas Renault», dit Zakharia, ingénieur lui aussi, qui travaille avec Mehdi. Dans les bouches reviennent ces mots : «Ici, on est une famille.» Ce qui n’est pas qu’une image : à Choisy, des pères et leurs fils travaillent ensemble, et le grand-père avant eux était déjà là. Certains font vacances communes. Et se voient déjà batailler côte à côte, «jusqu’à Boulogne-Billancourt», pour défendre leur usine.