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Ambiance à Saint-Raphael, avant la réouverture du camping 5 étoiles Estérel caravaning.
Photo Laurent Carré pour Libération

Pour les propriétaires de camping, enfin la fin de l'attente

Dans le Sud, ils attendaient avec impatience la réouverture et préparent leurs établissements qui accueilleront tentes et caravanes à partir du 2 juin.

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Il y a les campeurs qui le traînent à la piscine et à la plage, à la supérette et au lavomatique : le sac est donc salé, mouillé, usé. Et il y a ceux qui ne l’abîmeraient sous aucun prétexte : ils en font collection. A Estérel caravaning, un cabas est distribué à chaque client, comme une trace de son passage dans ce camping de Saint-Raphaël (Var). «C’est historique. Chaque année, on donne un sac de couleur différente. Les gens se reconnaissent : "Ah, il est fuchsia ? Tu étais là en 2019"», aime raconter la patronne des lieux, Aurore Laroche. Cette année, le cabas est jaune fluo mais Aurore Laroche n’a pas encore pu le distribuer : comme les 311 campings de la Côte d’Azur, son établissement 5 étoiles est fermé. En attendant de pouvoir accueillir de nouveau ses clients, à partir du 2 juin (le 22 juin en zone orange), elle a glissé dans le fond de ses sacs masques, gants, gel hydroalcoolique et stylo : «Ça, c’est Covid. On s’est adapté comme des dingues.»

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Dans le camping 5 étoiles d’Estérel caravaning le 25 mai. Photo Laurent Carré pour Libération

Si Aurore Laroche a pris les devants, c’est qu’elle veut rouvrir «au plus vite». Mardi, ce sera donc enfin possible mais depuis le début du confinement, chaque jour qui passe creuse un peu plus son déficit : ses pertes d’exploitation s’élèvent à 900 000 euros entre le 1er avril et le 15 mai. «Au début, j’ai été assommée. Etre confinée deux semaines avant l’ouverture, ça m’a flinguée. C’est comme si vous étiez sur la ligne de départ et que l’on vous coupait les jambes, raconte-t-elle. Au bout d’un moment, il faut se réveiller et se battre. Alors j’ai écrit au président de la République. Il avait complètement oublié le monde du camping.» Dans sa lettre, Aurore Laroche réclamait «annulation des charges», «report des crédits bancaires» et «calendrier méthodique» : «La seule chose que l’on demandait, c’était une date. Impossible de relancer la machine du jour au lendemain. Je ne pouvais pas ouvrir la piscine sans embaucher de maître-nageur, je ne peux pas ouvrir le restaurant sans passer les commandes. Gérer, c’est prévoir. Anticiper, c’est rassurer.»

«Pilier de l’économie»

Estérel caravaning a une capacité de 1 200 personnes, du 1er avril au 30 septembre. Avant de les accueillir, il faudra encore nettoyer 331 mobil-homes, tondre 164 emplacements de caravane, aspirer les feuilles, chlorer les piscines. «J’ai besoin de relancer la commercialisation : pour le moment, je ne suis qu’à 40 % de remplissage pour juillet et août, calcule celle qui devrait être en train de distribuer ses cabas jaunes à tour de bras. D’habitude, pendant les week-ends prolongés du printemps et les vacances, on est complets. Aujourd’hui, je suis seule au monde.»

Même les cigales ne se sont pas encore remises à chanter. Estérel caravaning est un coin de garrigue avec vue sur la mer. ­Chaque emplacement fait face aux roches rouges de l’Estérel, ce massif montagneux varois qui borde la Méditerranée. Il faut monter dans sa voiture ou dans une navette pour aller à la plage, 3 kilomètres en ­contrebas. Cannes est à 35 kilomètres, Saint-Tropez à 45 kilomètres. Ici, on pose sa caravane sous un palmier, on loue un mobil-home à l’ombre d’un pin. Aurore Laroche a donné aux quartiers les noms des arbres qu’elle a plantés : Chênes, Eucalyptus, Oliviers, Cyprès, Lauriers-roses… Le camping a tantôt des airs d’île thaïlandaise, tantôt de parc aquatique.

C’est avec sa voiture électrique, cadeau d’anniversaire pour ses 51 ans, qu’Aurore Laroche parcourt les allées. La surface est si grande qu’il serait impossible de gérer l’établissement à pied. «J’aime la nature qui dégueule, les plantes luxuriantes, reconnaît la gérante. Mais là, ça a vraiment trop poussé. Je n’ai jamais eu un gazon aussi vert. C’est mieux qu’en Bretagne.» Personne pour piétiner la pelouse, personne pour l’entretenir. Aurore Laroche attendra que les barrières de l’entrée d’Estérel caravaning se relèvent pour appeler l’entreprise d’entretien et passer un coup de tondeuse.

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Aurore Laroche, patronne d’Estérel caravaning. Photo Laurent Carré pour Libération 

Sur les 7 910 campings français, 236 sont installés dans le Var. «Ils représentent 56 % des lits marchands. Les campings sont un des piliers de l’économie du département car ils font travailler [directement et indirectement] plus de 5 000 personnes et représentent 500 millions d’euros de retombées, compte Michel Nore, propriétaire de neuf campings et président du syndicat de l’hôtellerie de plein air dans le département. On est autour d’une perte de 150 millions d’euros.» Avec ses 138 000 lits, le camping est d’ailleurs le premier mode d’hébergement du Var, un mode de tourisme plutôt approprié aux conséquences du Covid : des lieux ouverts et aérés. «Dans l’hôtellerie de plein air, il y a de l’espace, expose Michel Nore. L’inquiétude porte surtout sur les sanitaires communs. On passera plusieurs fois par jour pour la désinfection. Dans les mobil-homes, on aura le même système de désinfection que celui utilisé pour les ambulances. Sans date du gouvernement, les gens ne déclenchaient pas la réservation. Et nous, nous ne pouvions pas déclencher l’embauche de dizaines de milliers de saisonniers.»

Gel et plexiglas

A Estérel caravaning, sur les vingt-cinq salariés à l’année, les trois quarts sont au chômage partiel. La quarantaine de saisonniers n’a pas encore été réembauchée. «C’est une catastrophe humaine, regrette Aurore Laroche. Mon maître restaurateur n’est pas revenu. Son chômage s’arrête le 18 juin.» Tout dépendait de la possibilité d’ouvrir, ou non, le restaurant, désormais autorisé par le gouvernement.

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Entrée du camping 3 étoiles de Villeneuve-Loubet : le Parc des Maurettes. Photo Laurent Carré pour Libération

Au Parc des Maurettes, les saisonniers n’ont pas encore été rappelés non plus. Yves Monferran, patron de ce camping 3 étoiles de Villeneuve-Loubet (Alpes-Maritimes), attendait de connaître la date d’ouverture pour recruter deux gardiens et deux agents de nettoyage. Ses six salariés à l’année ont repris le travail à mi-temps la semaine dernière. C’est qu’il fallait répondre aux «deux ou trois appels par jour pour des renseignements» et mettre le camping aux normes d’hygiène. Comme partout : gel et plexiglas. Mais ici, «il n’y aura pas de flèches, tranche Yves Monferran. Je ne vais pas faire le gendarme. Je ne peux pas mettre un employé devant chaque sanitaire pour dire aux gens de reculer». Cela fait trente-cinq ans qu’Yves Monferran a repris ce camping à 500 mètres de la plage, monté par son père en 1950. A l’ombre des pins, les vacances sentent bon la nostalgie : des tentes qui rappellent les colonies de vacances, une salle télé vintage, un sauna et des barbecues communs. Yves Monferran se souvient des glacières en bois qu’il fallait remplir de pains de glace et des repas préparés sur un Campingaz.

Aujourd’hui, les vacanciers débarquent avec leur camping-car tout équipés – de l’aspirateur au congélateur, «et les plaques électriques pour la cuisine». Il y a une quinzaine d’années, le camping a perdu son restaurant et son épicerie : ce n’était plus rentable. C’est à cette époque qu’Yves Monferran est devenu le président du syndicat de l’hôtellerie de plein air des Alpes-Maritimes. Il se dit «soucieux» pour la profession. «On n’a pas de perspective par rapport à la fréquentation : ça va être flou pour la trésorerie et on sera bloqué pour les investissements jusqu’à l’hiver 2021, anticipe-t-il. Ça pourrait même précipiter certains établissements à fermer ou à vendre : la pression foncière est tellement grande sur la Côte d’Azur.» Cette pression foncière et les récentes inondations ont déjà porté le nombre d’emplacements à 6 357, soit 4 000 de moins qu’il y a trente ans. L’offre est désormais modeste par rapport à celle du Var. Alors pour sauver ses campings, la mairie de Villeneuve-Loubet mise sur la publicité. «Dans notre commune, on a l’habitude de venir en camping-car. On a une forte clientèle allemande, belge et française, des Hauts-de-France, de la région lyonnaise et de Paca, détaille la directrice de l’office de tourisme, Patricia Brégère. On a lancé une opération de promotion sur Facebook en ciblant ces régions.» La ville invite aussi les campeurs à raconter leurs souvenirs et les gérants leur histoire sur les réseaux sociaux. Il faut recréer du lien : le camping, c’est d’abord la convivialité.

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Yves Monferran, le patron du camping le Parc des Maurettes. Photo Laurent Carré pour Libération

Retour à Saint-Raphaël. C’est en 1974 que la famille Laroche achète 12 hectares dans le massif de l’Estérel. Les parents d’Aurore, Jean et Jacqueline, s’attellent à créer leur «caravaning de luxe». Deux ans après, le camping ouvre avec déjà deux piscines chauffées, un bar, un restaurant, des mobil-homes et 30 000 arbres plantés. «Mon père a inventé le concept de salle de bains privée sur chaque emplacement de caravane», vante Aurore Laroche. Une idée qui pourrait bien sauver Estérel caravaning quarante-quatre ans plus tard : ces sanitaires individuels garantissent un niveau d’hygiène supplémentaire. «Les gens ont leurs propres toilettes, salle de bains, barbecue, lave-vaisselle, lave-linge», pointe la gérante.

«Obligés de se réinventer»

Estérel caravaning n’est pas le camping des Flots bleus de Franck Dubosc. Certes, ici aussi, les nuits d’été finissent en soirée blanche ou ambiance disco. Mais l’établissement dispose d’un parc aquatique de 5 000 m² avec ses toboggans et ses 500 transats, de deux restaurants et d’un bar, d’une plage de sable blanc artificielle et d’un studio de gaming. Certains bungalows ont des jacuzzis privatifs, d’autres des solariums sur le toit. Aurore Laroche n’a pas attendu la réponse du gouvernement pour s’adapter : la gérante a ajouté huit sanitaires privés. Elle ouvrira jusqu’au 31 octobre, un mois supplémentaire pour contrecarrer la perte d’un quart de sa clientèle, 100 mobil-homes appartenant à un tour-opérateur anglais.

Aurore Laroche a également doublé la surface du restaurant, du mini-club et du club ado. Le spa a été transformé en permanence médicale et un emplacement de caravane en mini-terrain de foot un contre un. Sur les 800 000 euros de prêt contracté pendant la crise sanitaire, 20 000 sont directement partis pour les investissements de la lutte contre le virus. Dans son sac jaune fluo 2020, Aurore Laroche a enlevé le programme des activités proposées. Cet été, il sera impossible d’assister aux spectacles sur scène, d’accéder au club fitness, de prendre la navette gratuite pour la plage, de jouer au basket, au beach-volley ou au foot en groupe. «On est obligés de se réinventer. A nous de donner à nos clients l’idée des vacances et du plein air, sans subir les conséquences du virus. J’ai envie de dire aux gens : "Venez, je m’occupe de tout"», rassure la propriétaire au volant de sa voiture électrique. D’ailleurs, Aurore Laroche a une saison d’avance : elle a déjà pensé à la couleur du sac de l’été 2021. Il sera vert d’eau.