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Le message d’avertissement s’affichant au-dessus du tweet de Donald Trump posté vendredi 29 mai, et considéré comme dangereux par Twitter. OLIVIER MORIN / AFP

Twitter masque un message de Donald Trump sur Minneapolis jugé à risque

Le bras de fer entre le président américain et le réseau social s’intensifie : Twitter a, pour la première fois, appliqué une mesure de modération sur le compte personnel de Trump, afin de limiter la « glorification de la violence » contenue dans l’un de ses tweets.

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Pour la première fois depuis sa création, Twitter a masqué un message publié par le président des Etats-Unis, vendredi 29 mai, sans le supprimer complètement, mais en l’accompagnant d’un avertissement :

« Ce tweet a enfreint les règles de Twitter relatives à la glorification de la violence. »

Publié dans la nuit, le message en question, posté par le compte principal de Donald Trump @realdonaldtrump, concernait les violences touchant la ville de Minneapolis, théâtre de violentes tensions ces derniers jours après qu’un homme noir a été tué par un policier blanc lors d’une interpellation.

Un tweet à « risque »

En 280 caractères, Donald Trump inscrit dans ce message deux allusions racistes, menace d’envoyer l’armée pour reprendre le contrôle de la ville et affirme que « si des émeutes commencent, on commencera à tirer » : une citation connue aux Etats-Unis car employée par le chef de la police de Miami lors des violences raciales survenues dans cette ville de Floride à la fin des années 1960. Le chef de la police en question, Walter Headley, avait à l’époque été dénoncé par les défenseurs des droits civiques pour la manière dont la police de Miami avait contribué à attiser les tensions avec les communautés noires de la ville.

« Ce tweet est contraire à nos règles sur l’apologie de la violence (…) » et porte « le risque qu’il puisse inspirer d’autres actions violentes », a expliqué officiellement Twitter après avoir décidé de limiter la visibilité du tweet de Donald Trump sur sa plate-forme. « Nous avons laissé le tweet en ligne parce qu’il est important que le public puisse toujours le consulter, vu son intérêt pour comprendre des questions importantes d’actualité », a justifié le réseau social – il n’est, en revanche, plus possible pour les utilisateurs de Twitter de le partager ou d’y répondre.

Donald Trump a réagi vendredi en accusant Twitter de « cibler les républicains, les conservateurs et le président des Etats-Unis », alors que, selon lui, l’entreprise californienne ne « fait rien pour les mensonges et la propagande de la Chine et du Parti démocrate d’extrême gauche ». Dans le même temps, un autre compte Twitter de la présidence américaine – celui de la Maison Blanche – a posté exactement le même message problématique que celui qui avait été écrit par Donald Trump. Quelques dizaines de minutes plus tard, Twitter a apposé à ce message la même signalétique.

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Le message de la Maison Blanche que Twitter a lui aussi masqué pour « glorification de la violence ». Il avait été posté quelques heures plus tôt par Donald Trump lui-même.

Un texte « sorti du tiroir »

Dans ses derniers reproches postés contre Twitter après cet épisode, Donald Trump a également appelé le Congrès à « annuler la section 230 », affirmant que, dans l’intervalle, « il y aurait une régulation ». Cette section 230, un texte-clé du droit qui encadre Internet aux Etats-Unis, est au cœur du bras de fer qui oppose depuis plusieurs jours le président des Etats-Unis et son réseau social préféré. Jeudi 28 mai, Donald Trump a, en effet, signé un executive order qui charge notamment le régulateur des télécommunications, la FCC, d’enquêter et de prendre des mesures pour s’assurer que les réseaux sociaux n’appliquent pas de « censure » politique dans leurs pratiques de modération.

Le président des Etats-Unis n’a pas vraiment cherché à cacher que cet executive order était une mesure de rétorsion directe contre Twitter, qui, deux jours plus tôt, avait pour la première fois de son histoire signalé que deux messages publiés par Donald Trump étaient « trompeurs », provoquant la colère de Donald Trump et de ses soutiens.

Le contenu de l’executive order n’a pas beaucoup surpris les spécialistes du secteur : il s’agit très largement d’un copier-coller d’un précédent projet de décret, préparé il y a un an, lors d’un des nombreux épisodes du mandat de Donald Trump durant lesquels la Maison Blanche accusait, sans preuves, les réseaux sociaux de discriminer les messages des républicains. « La consigne d’en haut était : “Faites quelque chose” », a expliqué au site d’information Protocol une source au sein de la Maison Blanche. « Ils ont récupéré ce texte qui dormait dans un tiroir et ils l’ont fait passer. »

Fragilités juridiques

Le texte lui-même fait plutôt l’unanimité contre lui, y compris auprès des juristes républicains et de ceux qui militent pour une remise à plat des règles de la section 230. Cette dernière permet aux réseaux sociaux et aux grandes plates-formes de bénéficier d’une responsabilité limitée quant aux contenus qu’ils hébergent : si les plates-formes ont une obligation de supprimer les contenus illégaux qui leur sont signalés, elles ne sont en contrepartie pas pénalement responsables des millions de messages publiés quotidiennement sur leurs services par des utilisateurs.

Certains élus américains, à droite mais aussi à gauche, considèrent que cette règle est trop favorable aux grandes sociétés du Web, mais les tentatives pour l’amender ont, jusqu’à présent, échoué.

Les adversaires d’une réforme de la section 230 – parmi lesquels figurent les principaux réseaux sociaux concernés – alertent sur le fait que si Facebook, YouTube ou Twitter devaient être considérés comme responsables de tous les contenus qu’ils accueillent, ils ne pourraient pas faire autrement que de supprimer tout contenu sur lequel existe le moindre doute : ce qui aboutirait à une censure généralisée.

Les chances que les modifications demandées par le président deviennent loi sont ainsi très faibles, notent la plupart des spécialistes du droit aux Etats-Unis. Une procédure de ce type aurait toutes les chances d’être invalidée par les tribunaux, au titre notamment du premier amendement de la Constitution, qui interdit à l’Etat d’interférer dans la liberté d’expression des particuliers comme des associations ou des entreprises. Dans un communiqué, Ron Wyden, sénateur démocrate influent et l’un des principaux architectes de la section 230, considère par exemple que le décret signé par Donald Trump est « illégal ».

Menaces politiques

Le texte signé par Donald Trump sous-entend, du reste, que les entreprises ne pourraient bénéficier du régime protecteur prévu par la section 230 qu’à condition de prouver qu’elles ne discriminent pas certaines tendances politiques. Cet executive order semble ainsi « conçu pour punir une poignée d’entreprises de ce que le président perçoit comme des affronts », a expliqué au New York Times Jon Berroya, le responsable de l’Internet Association, le lobby des entreprises des nouvelles technologies. « C’est un peu la même dynamique que dans une relation violente », estime, de son côté, Mary Anne Franks, professeure de droit à l’université de Miami et présidente de l’organisation Cyber Civil Rights Initiative.

Twitter ne semble, en tout cas, pas prêt à abandonner la partie. La première décision d’appliquer un avertissement à des tweets du président des Etats-Unis a été validée au plus haut niveau, par le fondateur et PDG Jack Dorsey en personne, rapporte le site spécialisé OneZero. Ceci alors que Donald Trump avait publié par le passé de nombreux tweets problématiques sans que Twitter n’intervienne. Mais ces dernières semaines, Twitter a fait évoluer ses règles de modération en raison de la pandémie de Covid-19 – ce qui a conduit, par exemple, à la suppression de deux messages du président brésilien, Jair Bolsonaro, remettant en cause le confinement. Le 11 mai, Twitter annonçait, dans ce contexte, qu’il afficherait des messages d’avertissement sous des tweets trompeurs ou dangereux sur le sujet – et précisait que d’autres thématiques pourraient, à l’avenir, être concernées par de tels avertissements.