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Photo Stéphanie Para

Une "immunité collective passive" fait-elle spontanément barrage au Covid-19 ?

L’épidémiologiste Laurent Toubiana ne croit pas à une deuxième vague de Covid-19 en France. Pour ce chercheur, le virus est en train de s’éteindre de lui-même après avoir « glissé » sur une partie de la population. 

« Un peu spécial », certes, mais « pas marginal » pour autant. Voilà comment se présente Laurent Toubiana. Ce docteur en physique, spécialiste des modélisations, travaille à l’Inserm et a fondé l’Irsan, l’Institut de recherche pour la valorisation des données de santé.

Comme des dizaines de ses collègues, il se « tord les neurones », jour après jour, pour tenter de percer en temps réel les mystères du Sars-CoV-2. Ses hypothèses alimentent le débat.

Le premier cas de Covid-19 a été détecté en France le 24 janvier. Vous soutenez pourtant que le virus a commencé à circuler « à bas bruit », en amont…

Les chiffres officiels auxquels j’ai accès, comme tout citoyen, permettent d’appréhender la partie visible de l’épidémie. On y retrouve les patients qui ont été à peine malades et qui ont consulté les médecins généralistes, ainsi que ceux qui ont été hospitalisés. Parmi ces derniers, certains sont allés en réanimation, certains sont morts.

Mais ce qui m’intéresse surtout, ce sur quoi je réfléchis, c’est toute la partie invisible. Avant d’arriver dans le système de santé, les premiers infectés ont traversé une période d’incubation.

Si l’on applique un « rétro calcul » très simple, on peut dire que le virus circulait sans doute dès l’automne en Chine et dès fin décembre en France. D’autres que moi l’affirment, y compris le réseau de surveillance Sentinelles.Laurent Toubiana (chercheur à l'Inserm)

Le chef de réanimation de l’hôpital de Bobigny s’est d’ailleurs rendu compte, a posteriori, qu’il avait probablement vu passer un cas de coronavirus le 27 décembre. Le souci, c’est que pendant plusieurs semaines, les médecins ont posé des diagnostics de simple syndrome grippal. Il a fallu des semaines pour qu’un diagnostic spécifique « Covid-19 » soit mis en place. D’où ce décalage.

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Photo Stéphanie Para

Si le virus est apparu plus tôt, cela signifie également qu’il a touché beaucoup plus de personnes qu’on ne le croit ?

Là-dessus, il faut se montrer très humble et prudent. Pour être totalement transparent, je suis en train de revoir mes premières estimations drastiquement à la baisse.

Je pense aujourd’hui que nous sommes en réalité face à une épidémie tout à fait banale, de l’amplitude d’une très forte grippe.Laurent Toubiana (épidémiologiste)

Qu’est-ce qui vous amène à cette conclusion étonnante, pour ne pas dire choquante au vu du nombre de victimes ?

J’étudie les syndromes grippaux depuis trente ans. Ils font en moyenne deux millions de cas par an, dont certains mortels. Ce sont les plus faibles qui sont éliminés, conformément au très cynique « PPH » (« Passera pas l’hiver », NDLR).

Le phénomène passe généralement inaperçu, sauf lorsque l’on approche des 3 millions de malades. Les urgences tirent alors la sonnette d’alarme, car elles sont submergées de patients. C’est ce que l’on a vu en 2015 ou en 2017. Là, c’est le même processus, avec quelques nuances bien sûr.

Le virus est différent, il n’arrive pas au même moment de l’année et provoque plus de formes sévères. Mais en termes de quantité et de trajectoire, on est sur un schéma identique à celui la grippe. Je suis désolé, mais 28.000 morts, c’est faible.Laurent Toubiana (épidémiologiste)

On est très loin de la catastrophe redoutée et des 500.000 morts annoncés par certains. Le Covid-19, ce n’est pas la grippe espagnole…

Vous affirmez également qu’une forme d’immunité collective « passive » fait barrage au virus. Comment est-ce possible, si très peu de Français ont été infectés à ce jour ?

Cette hypothèse n’est pas simple à démontrer, je l’avoue. Mais je pense que le virus a en quelque sorte « glissé » sur une partie non négligeable de la population, qui bénéficie de défenses immunitaires naturelles.

Ces gens-là, que je distingue des malades asymptomatiques, sont d’une certaine façon à l’abri du Covid-19 et « non susceptibles » de le contracter. Leur organisme a répondu si vite au virus qu’il lui a aussitôt fermé la porte, empêchant sa pénétration.Laurent Toubiana (épidémiologiste)

Tous ces cas-là, on ne les verra jamais, faute de séroconversion (*) : si vous leur faites un test, il sera négatif. Mais ils forment aujourd’hui une sorte de barrage contre le virus.

Pour vous, l’épidémie va donc s’éteindre d’elle-même ?

Il est encore trop tôt pour le dire avec certitude. Mais après presque trois semaines de déconfinement, je n’observe aucun signe de redémarrage. Idem en Allemagne, en Italie ou même en Chine. Même si la vigilance et les gestes barrière exigés doivent rester de mise, je suis à peu près sûr qu’il n’y aura pas de deuxième vague. En tout cas, je ne la vois pas.

Stéphane Barnoin

(*) Phase, au cours d’une maladie infectieuse, lors de laquelle les anticorps apparaissent suffisamment dans le sang pour qu’on puisse les doser.

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