Comment le secteur du tourisme se prépare à un été sous le signe du coronavirus
by Virginie Jacoberger-LavouéDans le secteur touristique, l'été s'annonce comme celui de la cohabitation avec le Covid-19, mais les professionnels sont fortement motivés. Témoignages d’Henri Giscard d'Estaing, Emmanuel Foiry, Hervé Bellaiche, Franck Gervais, Jean-François Rial, et Lionel Rabiet.
Les restrictions de voyage en place depuis le mois de mars ont eu un impact sans précédent pour le tourisme qui représente 10 % du PIB mondial et constitue « l'un des fleurons de l'économie française », a rappelé Édouard Philippe, faisant de son sauvetage une priorité avec un « plan Marshall du tourisme » et un engagement public de 18 milliards d'euros. L'été se profile désormais en “bleu, blanc, rouge” et chacun espère désormais partir en villégiature bien au-delà des 100 kilomètres à la ronde. Les professionnels du tourisme sont dès à présent prêts à agir pour faire redécouvrir à quel point la France regorge de destinations sublimes. Ils veulent aussi rassurer grâce à un fort engagement pour assurer la sécurité sanitaire de chaque client. Enfin, ils envisagent aussi l'après, avec des propositions de voyages à l'étranger qui se seront densifiées dès le printemps 2021. Entretiens.
Henri Giscard d'Estaing, président du Club Med : « Nous voyons bien qu'après cette période de confinement, l'envie de revivre et de profiter de lieux exceptionnels est forte. »
L'effondrement de votre secteur est sans précédent ; quels sont les remèdes ?
Le tourisme va devoir s'adapter à une situation que l'on n'avait jamais vue, en tenant compte de deux sentiments contradictoires. D'une part, le sentiment d'être dans un monde dans lequel il y a toujours des risques, même imprévisibles ; donc un sentiment d'incertitude qui appellera sans doute à la prudence dans les déplacements et au respect de normes d'hygiène et de sécurité beaucoup plus strictes. D'autre part, une plus grande envie de profiter à fond du moment présent, de vivre pour sa famille, ses enfants, ses proches une expérience de vacances unique, dans des lieux exceptionnels, combinant l'espace et le confort. Une tendance plus marquée qu'auparavant sera l'ouverture sur la culture locale et l'environnement naturel du lieu de séjour.
Quelles sont vos priorités face à la crise ?
La priorité pour le Club Med demeure le bien-être et la santé de nos clients et de nos équipes. Au début de la crise, nous avons mené de nombreuses opérations pour rapatrier au plus vite et dans les meilleures conditions nos clients et nos “gentils organisateurs”.
Par ailleurs, dans ce contexte de crise sans précédent, le Club Med a dû s'adapter extrêmement rapidement pour assurer sa pérennité économique. Nous avons pris très rapidement des mesures fortes, dont le report de projets d'investissements à 2021 (notamment numériques) et la fermeture de nos resorts devenus inaccessibles.
Comment envisagez-vous l'après ?
Notre objectif est de rouvrir le plus grand nombre de nos resorts dès que cela sera possible. Nous avons rouvert avec succès quatre resorts en Chine depuis mi-avril : c'est à partir de l'expérience acquise par la réouverture de ces resorts que nous travaillons actuellement sur de nouvelles normes d'hygiène et de sécurité. Nous voyons bien qu'après cette période de confinement, l'envie de revivre, de profiter en famille et entre amis de lieux exceptionnels est forte. La formule “all inclusive” proposée par le Club Med est la bonne réponse aux attentes des clients, qui souhaitent vivre en famille et en sécurité une expérience de vacances unique. Le fait que le séjour se déroule dans un seul lieu, au cadre sanitaire strict, représente une sécurité supplémentaire. Nos grands espaces, largement tournés vers le plein air, offrent un autre avantage majeur. Et, à cet égard, la destination montagne nous paraît être particulièrement attractive.
Franck Gervais, directeur général Europe d'Accor : « Il faut que chacun puisse se sentir en sécurité et profiter pleinement de son séjour, où qu'il se trouve. »
Pour votre secteur, qui fait face à un effondrement sans précédent, quels sont les remèdes ?
Nous vivons une situation inédite avec un choc d'une amplitude et d'une rapidité sans précédent pour notre industrie. Cette période nous oblige à repenser nos modes de fonctionnement, à anticiper les attentes, qui seront différentes au cours d'une période de reprise qui va sans doute se révéler progressive. C'est aussi une période d'opportunités à saisir. Il va nous falloir rassurer. En Europe, nous avons, par exemple, mis en place un partenariat avec Bureau Veritas pour assurer une qualité d'hygiène et sanitaire irréprochable dans nos hôtels. Il s'agit de s'adapter à ces nouvelles attentes pour que chacun puisse se sentir en sécurité et profiter pleinement de son séjour, où qu'il se trouve. Tout cela sans oublier de continuer à faire vivre des expériences et des moments uniques. Chaque client doit pouvoir continuer à se réjouir de son séjour chez nous et sentir qu'il compte personnellement. Je suis convaincu qu'il y aura un avant et un après, les voyageurs seront plus attentifs à profiter de l'instant, à donner du sens à leur voyage. Nous avons toutes les ressources pour répondre à cela.
Quelles sont vos priorités face à la crise ?
Le groupe a multiplié les initiatives solidaires, ces derniers mois, et je citerai à titre d'exemple que la plupart de nos hôtels qui sont ouverts à travers le monde sont utilisés pour soutenir le personnel médical et tous ceux qui sont en première ligne de la lutte contre le Covid-19, ainsi que les populations les plus vulnérables (femmes battues, personnes sans domicile fixe). Le conseil d'administration a par ailleurs décidé de renoncer au dividende et de réallouer 25 % de son montant, soit 70 millions d'euros, au soutien au personnel en détresse.
Emmanuel Foiry, président de Kuoni France : « Il y aura une accélération des tendances que nous observions avant la crise, […] mais je reste très réservé sur l'idée d'un “big bang” qui voudrait que tout soit différent demain. »
Pour votre secteur, quels sont les remèdes à l'effondrement qu'il connaît ?
Devant la violence et la soudaineté de cette crise, à court terme, aucun. Nous ne pouvons que nous appuyer sur les mesures de soutien, efficaces je dois le reconnaître, mises en place par l'État pour tenir et attendre un avenir plus propice aux voyages à l'étranger. Seules les avancées en matière de lutte contre le virus (un vaccin, notamment) pourront, éventuellement, ramener notre secteur à la normale.
Comment envisagez-vous l'après ?
Indiscutablement, je pense qu'il y aura une accélération des tendances que nous observions déjà avant cette crise : le développement d'un tourisme plus respectueux de la planète, plus doux et que tout notre écosystème (avions, hôtels) a commencé à prendre en compte. Verra-t-on à nouveau un jour 30 millions de visiteurs par an à Venise ? Je ne le souhaite pas, mais je reste très réservé sur l'idée d'un “big bang” qui voudrait que tout soit différent demain, surtout à un moment où le pouvoir d'achat sera fortement attaqué par la crise économique qui se profile. Beaucoup voudront essayer de rattraper le retard et on peut craindre le retour d'un tourisme de masse débridé qu'il sera difficile de combattre compte tenu de ses retombées économiques.
Jean-François Rial, président-directeur général de Voyageurs du monde : « Réinventer un tourisme populaire accessible à tous qui ne soit plus du tourisme de masse. C'est l'enjeu de demain. »
Pour votre secteur, quels sont les remèdes à la crise qu'il traverse ?
Aucun, sauf attendre. Deux scénarios cumulables sont possibles. Le Covid-19 disparaît et on redémarre normalement. Le virus perdure et on s'adapte, le voyage y compris. Une première phase est celle de la cohabitation avec le virus, une période dont on ne connaît pas la durée, pendant laquelle notre secteur devra composer avec le virus, évoluer au ralenti. Si la chute de l'activité se poursuit jusqu'au printemps 2021, il faut s'attendre à de grosses difficultés, des faillites. Selon l'évolution des situations sanitaires locales, il faudra peut-être envisager le voyage de manière inédite, avec de nouvelles frontières locales, comme on l'a vu avec le déconfinement par régions.
Quelles sont vos priorités face à la crise ?
Préserver la trésorerie de l'entreprise, maintenir l'emploi et ne pas perdre le savoir-faire et l'ADN de l'entreprise. Le marché se réduira du fait de la sérieuse crise du pouvoir d'achat qui va suivre à la sortie de cette crise. Et si les écologistes gagnent les élections, ce que j'appelle de mes vœux, des taxes écologistes diverses seront mises en place et augmenteront le prix des voyages. Et le tourisme de masse en subira le premier les conséquences. Les opérateurs devront réinventer un tourisme populaire accessible à tous, qui ne soit plus du tourisme de masse. C'est l'enjeu de demain.
Lionel Rabiet, président de Croisières d'exception : « Les nouvelles attentes des clients seront la sécurité, l'humanité, l'intimité. »
Pour votre secteur, quels sont les remèdes à la crise actuelle ?
Il n'y a pas de remèdes connus à cette crise à nulle autre pareille ; il faut cesser d'asséner des vérités sur “le monde d'après”. Certains s'en sortiront et d'autres non. Dans cette période incertaine, ils devront faire preuve d'audace et de persévérance pour s'en sortir. L'écosystème du tourisme s'est profondément transformé. Il faut être agile et s'adapter.
Quelles sont vos priorités face à la crise ?
Mon entreprise, mes salariés, mes partenaires, mes clients. Préserver l'entreprise “quoi qu'il en coûte”. Choyer aussi les partenaires, car ils sont parfois plus encore en difficulté que nous ; notamment nos réceptifs hôteliers, restaurateurs dans nos pays de destinations, qui n'offrent pas tous la protection sociale que nous avons en France. Croisières d'exception est une entreprise capable de se réinventer. Nos futures croisières vont répondre aux nouvelles attentes des clients qui seront la sécurité, l'humanité, l'intimité.
Hervé Bellaïche, directeur général adjoint ventes et marketing de Ponant : « Conserver la confiance de nos passagers »
L'effondrement de votre secteur est sans précédent ; quels sont les remèdes ?
L'excellence des protocoles sanitaires et l'innovation seront des éléments clés. Tout au long de la crise sanitaire que nous sommes en train de vivre, Ponant a su conserver la confiance de ses passagers. Pour la reprise d'activité, nous établissons des protocoles qui vont bien au-delà des normes du secteur. En partenariat avec l'institut Méditerranée Infection et le bataillon des marins-pompiers de Marseille, nous travaillons à un protocole “Covid safe” avant l'embarquement et à bord.
Comment envisagez-vous l'après ?
Aujourd'hui, nous constatons une réelle envie de repartir de la part de nos passagers. Dans l'industrie de la croisière, les navires de petite taille seront probablement encore plus recherchés, car ils permettent encore plus de flexibilité, un suivi personnalisé et des activités privatives ou en groupes réduits. Cette crise contribuera peut-être au renforcement d'un tourisme responsable et durable, que Ponant prône depuis sa création.
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