Happn, le nouvel art de la drague à la française
Cette application conteste la suprématie américaine sur le marché de la rencontre. Sa promesse : identifier des cœurs à prendre près de chez soi.
Mis à part sa paire de blue-jeans sombres et ses quelques anglicismes, Didier Rappaport ne coche guère les cases du parfait startupeur. "Ce sont les ‘‘people’ qui construisent Happn, moi je ne suis que le chef d’orchestre", se défend le patron. Avec sa voix grave, son regard perçant et ses cheveux gris qui ne sont "pas bons pour moi, mais bons pour l’entreprise", le boss sexagénaire de l’application de rencontre a plutôt des airs de businessman aguerri. Le genre qui sait garder les pieds sur terre, même s’il a réussi à hisser l’appli française parmi les grands du secteur, aux côtés des Tinder, Bumble, Once, Meetic et autres. "Je n’aime pas parler de succès, je préfère parler de travail", prévient-il d’emblée.
Depuis son lancement en 2014, Happn a pourtant connu une ascension fulgurante : 1 million d’utilisateurs la première année, 10 la troisième et 77 millions aujourd’hui. Les célibataires ont eu le coup de foudre. Les investisseurs aussi : la start-up a déjà levé 35 millions d’euros. “Leur croissance est assez unique”, souligne Guillaume Durao, associé chez Idinvest, le fonds qui a participé à leur deuxième levée de fonds. Une prochaine tournée est d’ailleurs prévue dans quelques mois. "Mais la solidité d’une entreprise ne se mesure pas à ses levées de fonds, tient à rappeler Didier Rappaport, ce qui importe c’est notre rentabilité et je vous le dis, nous sommes rentables". Sans donner de détails, le patron indique un chiffre d’affaires de "plusieurs dizaines de millions d’euros".
Au quatrième étage de la Maison Mozart, dans ses lumineux bureaux en plein cœur du Sentier parisien, les signes de la réussite ne trompent pas : passée en l’espace de six ans de 5 à 100 salariés, la jeune pousse vient d’investir ce nouvel étage. Cette belle histoire, a commencé en 2013, par une rencontre. Pas amoureuse mais de business. Anthony et Fabien Cohen, deux frères entrepreneurs, avaient créé un réseau social original, Whoozer (nom à vérifier, note du correcteur), basé sur la géolocalisation. Leur promesse : savoir tout ce qui se passe à proximité et voir où se trouvent les amis proches.
- 2014 : 1 million d’inscrits
- 2019 : 77 millions d’inscrits
Nombre d’utilisateurs gratuits ou payants dans le monde.
Gratuite, l’appli peinait toutefois à trouver son modèle économique. C’est alors que les frères Cohen sont allés frapper à la porte de Didier Rappaport. Le businessman avait déjà une autre success story française accrochée à sa boutonnière, la plateforme de streaming Dailymotion. A force d’insistance, Anthony et Fabien sont parvenus à l’embarquer. Mais le senior de la tech a posé une condition : qu’ils changent complètement de projet. Tous trois ont alors planché sur une nouvelle application. Son credo ? “Rencontrez qui vous croisez”. Autrement dit, contrairement à Meetic ou même à Tinder, la plateforme place l’hyper-géolocalisation au cœur de sa promesse. Autre décision prise dès le début : si ça marche, l’appli serait lancée simultanément dans plusieurs pays.
Concrètement, Happn propose aux utilisateurs des profils qu’ils ont croisés au cours de la journée dans un rayon de 250 mètres et qui leur correspondent – une fois déclarées ses préférences (âge, sexe, passions), à l'inscription. Capital en a fait l’expérience : nez à nez avec un fringant jeune homme dans le métro parisien, malheureusement trop occupé à scroller sur son smartphone, nous avons eu la surprise de le recroiser quelques minutes plus tard sur l’application. Dans sa version gratuite, l’appli permet d’envoyer un cœur quand un profil apparaît sur sa “timeline”. Et s’il a fait de même, un gratifiant “It’s a crush !” apparaîtra à l’écran. Il appartient alors aux protagonistes d’écrire la suite de l’histoire…
Pour bénéficier de fonctionnalités supplémentaires, il faut s’abonner ou payer des packs qui permettent de maximiser ses chances de rencontrer l’âme sœur. Pour quelques euros par mois, on peut voir qui vous a “liké”, cacher son profil à certains moments (pour éviter de croiser un collègue de travail par exemple), ou encore gagner dix “hellos” par semaine pour signifier sa flamme à autant de ‘‘happner’’. Les abonnements, proposés pour un, trois ou six mois sans engagement varient entre 6,66 et 22,99 euros mensuels et évoluent au gré des offres promotionnelles, de l’âge, et aussi des tests effectués. En effet, "les équipes cherchent en permanence les meilleures techniques pour monétiser les utilisateurs sur la durée”, explique Guillaume Durao, une success story française accrochée à sa boutonnière, la plateforme de streaming Dailymotion.
A force d’insistance, Anthony et Fabien sont parvenus à l’embarquer. Mais le senior de la tech a posé une condition : qu’ils changent complètement de projet. Tous trois ont alors planché sur une nouvelle application. Son credo ? "Rencontrez qui vous croisez." Autrement dit, contrairement à Meetic ou même à Tinder, la plateforme place l’hyper-géolocalisation au cœur de sa promesse. Autre décision prise dès le début : si ça marche, l’appli serait lancée simultanément dans plusieurs pays.
Payer quelques euros pour un flirt ? Ce modèle "freemium" semble fonctionner. En France, Happn arrive en septième position dans le classement des services numériques payant, Netflix et Deezer occupant les deux premières places. En Argentine, l’appli se classe même en troisième position. Bien sûr, tout dépend du profil cible : un(e) jeune étudiant(e) ne sera pas toujours prêt(e) à payer pour un simple rendez-vous. Pour un homme ou une femme plus matures, c’est une autre histoire. D’ailleurs l’application ne plaît pas qu’aux jeunes : 20% des inscrits ont plus de 40 ans.
Ainsi, sur les 77 millions de comptes enregistrés, entre 3% et 14%, suivant les périodes, acceptent de payer. "L’abonnement permet de faire des projections à deux, trois, six mois… C’est un gage de rentabilité”, analyse Thomas Labeyrie, spécialiste marketing mobile chez Digital Passengers. Tinder, Meetic ou Bumble… la plupart des applis de rencontre misent sur l’abonnement. En 2018, les recettes du top 10 des sites de rencontre ont atteint près de 1,3 milliard de dollars.
A contrario, Happn songe à se passer de la publicité, qui ne représente que 2% de son chiffre d’affaires, via la régie Google Ad Manager. Si ces encarts rapportent si peu, c’est parce que l’application refuse de profiter des données de ses utilisateurs, et notamment de la géolocalisation, à des fins marketing. “C’est un enjeu essentiel pour gagner la confiance des utilisateurs”, assure Mathilde Ferriol, qui s’est occupée de ce sujet chez Happn avant de rejoindre Vectaury, une société de ciblage publicitaire. Les données, en revanche, permettent à Happn de conquérir davantage d’utilisateurs – dans ce business, la taille critique est essentielle à la réussite – via les réseaux sociaux et en particulier Facebook. Et de relancer les membres peu actifs. “Ils savent très bien allouer leurs ressources au bon endroit”, résume Jérémy Uzan, associé chez Alven Capital, le premier investisseur de Happn.
Si la France reste le premier marché d’Happn, en termes de recettes, elle ne représente cependant que 10% des usagers. Disponible partout, officiellement, et active dans une quinzaine de pays, l’appli doit consentir de gros budgets pour conquérir le monde. Avant d’explorer un nouveau territoire, une partie de l’équipe est envoyée en amont avec pour objectif de repérer le terrain, les bars branchés, les influenceurs. Une méthode qui lui a par exemple permis de faire de la star de Bollywood Hrithik Roshan son ambassadeur pour séduire les jeunes Indiens. Mais le retour sur investissement n’est pas immédiat. Elle cartonne ainsi au Brésil, son deuxième débouché, et en Inde où elle compte déjà 20 millions de “happners”. Avec un revenu par abonné plus faible : par exemple, 149 roupies (environ 1,85 euro) pour un abonnement d’un mois en Inde.
"L’équation marketing doit être adaptée en fonction de chaque pays", confirme Jérémy Uzan. “Happn est une belle entreprise, mais elle n’atteint pas encore le niveau d’un groupe comme Match" (Tinder, Meetic et OkCupid, NDLR), rappelle Héloïse Desmontiers, qui travaille comme directrice France du concurrent Meetic. Un des défis à venir du français sera de percer aux Etats-Unis, où il a fait un premier essai peu concluant il y a quatre ans. Tinder y règne pour l’instant en maître. "Leur succès est indéniable. Mais je n’ai jamais eu peur de la concurrence", balaie notre président grisonnant.
L'appli incite à passer en version payante
- Dans la version gratuite, l’utilisateur envoie un cœur à la personne qui lui plaît. Si celle-ci a fait de même, "it’s a cruch" !
- Les profils proposés sont ceux de personnes croisées dans des lieux où l’on est passé.
- L’achat de packs ou les abonnements permettent d’adresser plus d’invitations à d’éventuels partenaires et de bénéficier d’autres fonctionnalités.
Une appli bien placée parmi les services numériques payants
N°1 : Netflix
N°2 : Deezer
…
N°7 : Happn
En France en 2019.