La crise sociale exige l'abrogation de la réforme de l'assurance chômage

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La pandémie mondiale du coronavirus annonce une crise économique et sociale qui commande l'abrogation de la réforme de l'assurance chômage.

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- Par Romain Jehanin, avocat au Barreau de Paris, spécialisé en droit du travail, membre du collectif Chronik

Pandémie mondiale, à l’origine d’une crise sanitaire inédite, le coronavirus mute peu à peu en crise économique. Demain, la crise sera malheureusement sociale.

Les chiffres du chômage publiés par le Ministère du travail ce 28 mai 2020 l’illustrent à eux seuls : + 246 100 demandeurs d’emploi de catégorie A en mars, + 843 000 en avril (soit une augmentation de 22,6% pour ce seul mois). Et ce n’est hélas que le début, les prochains mois risquant d’être tout aussi terribles.

Avocats et juristes spécialisés en droit social, nous le constatons tous les jours ; les promesses d’embauche sont annulées ou reportées au lendemain, les ruptures de période d’essai se multiplient, les CDD arrivant à leur terme ne sont pas renouvelés, les licenciements pour motifs personnels « douteux » sont plus importants qu’à l’accoutumée, et nombre de nos clients nous indiquent déjà entendre évoquer à mots couverts la perspective de nombreuses suppressions de poste dans leurs entreprises respectives.

D’ici la fin de l’année, c’est une véritable explosion du chômage qui menace. A plus long terme, nous allons probablement connaître une crise de l’emploi sans précédent, tant certaines entreprises risquent de mettre du temps à réembaucher, après avoir débauché.

Face à cette crise, notre système d’assurance chômage constituera un rempart essentiel. C’est pourquoi il nous paraît indispensable d’en alléger les règles, durcies il y a quelques mois par le gouvernement actuel.

Entré en vigueur le 1er novembre 2019, le premier volet de la réforme de l’assurance chômage a en effet durci les conditions d’ouverture des droits à une allocation chômage et de rechargement des droits, tout en abaissant le niveau de cette indemnisation. Sensé initialement prendre effet le 1er avril 2020, le second volet de cette réforme durcit encore le calcul de l’allocation pour les travailleurs précaires, alternant contrats courts et périodes de chômage, nombreux dans les secteurs les plus touchés par la crise sanitaire, comme le tourisme, la restauration ou l’événementiel.

Outre la régression des droits des chômeurs qu’elle a introduite, cette réforme constitue ainsi rétrospectivement, à l’aune de la crise, une profonde erreur. Bien consciente des conséquences sociales néfastes de cette réforme, la Ministre du Travail appelle désormais à assouplir les conditions d’éligibilité à l’assurance-chômage qu’elle a elle-même durcies, et a reporté du 1er avril au 1er septembre 2020 l’entrée en vigueur du second volet. Difficile de ne pas y voir un aveu implicite de l’effet néfaste de cette réforme, notamment pour les plus fragiles. Pour autant, la ministre du Travail a exclu toute abrogation du premier comme du second volet de la réforme.

C’est pourquoi nous appelons le gouvernement à revenir sur cette réforme, dont la crise actuelle et à venir nous démontre de manière implacable l’absurdité, en l’abrogeant purement et simplement.

En temps de crise, comme en temps normal, dans une société caractérisée par un chômage de masse, durcir les conditions d’éligibilité aux allocations chômage et le niveau d’indemnisation a pour seul effet d’impacter durement les demandeurs d’emploi, en particulier les plus précaires d’entre eux.

Certains soulèveront le problème du financement de l’assurance chômage. Qu’il nous soit permis de leur rappeler que ce financement était bien supérieur il y a moins de trois ans, et que ce sont avant tout les pouvoirs publics qui ont décidé de l’affaiblir. Cet affaiblissement s’est opéré en deux temps ; d’abord la reprise en main du financement de la protection sociale par l’Etat, avec la suppression en 2018 d’une part importante des cotisations chômage, qui finançaient directement l’assurance chômage, et l’augmentation, en parallèle, de la CSG. Puis l’exigence immédiate par le gouvernement Macron/Philippe de plus de 3 milliards d’euros d’économies sur le régime d’assurance chômage, conduisant à l’affaiblissement des droits et du niveau d’indemnisation des chômeurs imposés par la réforme de l’assurance chômage.

Si les faits sont têtus, il serait cependant sans doute trop facile de demander à abroger une réforme sans rien proposer à côté. C’est pourquoi nous lançons deux propositions dans le débat. Celles-ci visent, non pas à alourdir les contraintes des entreprises dans cette période, mais simplement à durcir les sanctions à l’encontre des comportements abusifs.

Nous proposons ainsi d’abord de généraliser et d’alourdir le malus à l’encontre des entreprises ayant recours régulièrement et abusivement aux contrats précaires. Les sommes récoltées seraient ainsi affectées au financement de l’assurance chômage. A l’heure où une crise des embauches en CDI s’annonce, cette mesure nous semble plus que justifiée, et favorisera au demeurant les entreprises privilégiant les emplois pérennes et durables.

Nous proposons également de faire contribuer davantage les entreprises se livrant à des licenciements abusifs au financement de l’assurance chômage.

En effet, lorsque certaines entreprises procèdent à des licenciements sans motif légitime, elles font peser sur Pôle emploi, et donc sur la communauté nationale, le poids de leurs manquements, dans la mesure où les salariés concernés, dont le contrat de travail a été injustement rompu, demeurent parfois au chômage durant des années. Une telle situation n’est pas forcément la plus juste. C’est pourquoi le législateur a inséré en 2008 dans le Code du travail l’article L 1235-4, qui donne la possibilité au juge de condamner l’employeur coupable de licenciement abusif à rembourser à Pôle emploi les allocations versées au salarié injustement licencié, dans la limite de 6 mois.

Il apparaît aujourd’hui nécessaire, à l’heure où la crise sociale menace, de réhausser ce plafond de 6 à 12, voire à 18 mois.

Ce d’autant plus que les barèmes issus des Ordonnances Macron encadrent désormais par des planchers et des plafonds stricts les indemnités prud’homales dues aux salariés abusivement licenciés, rendant parfois dérisoire, et donc insuffisamment dissuasive, la sanction des licenciements abusifs.

L’augmentation de ce remboursement des allocations versée par Pôle emploi se justifie particulièrement pour les salariés séniors, dont les statistiques prouvent que beaucoup resteront au chômage jusqu’à la retraite. Elle se justifie également, à titre d’exemple, en cas de « licenciement boursier ».

De telles mesures, si elles ne constituent pas le remède à tous nos maux, permettraient néanmoins d’atteindre un double objectif : responsabiliser les entreprises, en prévenant les abus, et en les faisant davantage contribuer au financement de l’assurance chômage en cas de manquement.

- Photo : afp-archive