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La réalisatrice française Jacqueline Audry (1908 - 1977).
Photo Rue des Archives

Jacqueline Audry, bandes de filles

Elle est la première réalisatrice à participer au jury du Festival de Cannes en 1963. Son film «Olivia», écrit avec sa sœur et qui fit scandale à sa sortie en 1951, décrit l'ambiguïté et l'attirance sexuelle dans une école privée pour jeunes filles. A voir sur Arte.

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Un grand film à nul autre pareil, tombé dans l’histoire du cinéma en plein milieu de siècle comme un météorite, Olivia: des filles et des femmes entre elles, un gynécée littéraire. Trois ou quatre succès et réussites d’adaptations «Belle Epoque». Seize longs métrages en tout et, sur le tard, à la fin des années 60, deux séries télévisées. Et puis des nanars et la tangente de ratages efflanqués, en sous-budget (ainsi de la Garçonne, troisième des quatre adaptations du best-seller de Victor Margueritte). Mais au centre, toujours, de sacrées «animales» sauvages, spécimens de femmes libres ou en voie de se désentraver.

1951, dans le dossier de presse accompagnant la sortie d’Olivia, on pouvait lire à la fin de la mini-bio de sa réalisatrice: «Jacqueline Audry, qui manifeste une activité débordante, est toujours vêtue d’un pantalon de velours et d’une veste de daim, mais elle choisit ses robes chez un grand couturier parisien! […] Sur le plateau elle ne jure jamais et ne fait jamais recommencer une scène, car son slogan favori est: "Dix mois de préparation, deux mois de travail."» Une femme de tête, casual débraillée, mais une femme –n’oublions pas– coquette, haute couture quand il faut, qui sait se tenir et ne pas se montrer caractérielle entre deux prises. Ainsi se présentait, en France, au milieu du XXe siècle, une cinéaste qui faisait un métier pour lequel, de femmes, il n’y avait pratiquement pas. 

Née en 1908 à Orange. Morte soixante-huit ans plus tard dans un accident de voiture aux environs de Paris. De bonne famille, républicaine, laïque, de gauche, Jacqueline Audry fréquenta tôt, et dès qu’elle pouvait s’échapper de l’école, les salles obscures. Montée à Paris, elle pratiqua plusieurs petits boulots, couturière, dactylo, antiquaire, avant le cinéma, où elle commença scripte, puis assistante à la réalisation pour rien moins que Max Ophüls, et au début des années 40, aux côtés de filmeurs renommés tels Georges Lacombe ou Yves Mirande.

Jacqueline Audry a eu deux femmes dans sa vie, deux Colette, et un mari. Le mari, Pierre Laroche, est le scénariste avec qui elle écrivit la plupart de ses films. La première Colette est l’auteure des Claudine et du Pur et l’Impur, la seconde est sa sœur aînée, Colette Audry, auteure elle aussi, ardente militante de gauche, féministe amie de Beauvoir, et aussi, à demi-mot, lesbienne. C’est elle qui parla à sa sœur d’Olivia, le roman de Dorothy Bussy paru anonymement à la Hogarth Press de Leonard et Virginia Woolf en 1949. Et c’est elle, bien des années plus tard, qui publia un roman, la Statue (1983), aussi autobiographique que l’avait été celui de Bussy, sur l’amour fou qu’elle éprouva adolescente pour sa professeure. Colette, l’immense styliste et la femme libre, Jacqueline l’adapta à trois reprises: Gigi, Minne et Mitsou, en donnant à chacune de ces trois héroïnes espiègles ou languides les traits permanents de Danièle Delorme, qu’Audry découvrit.

Ces deux Colette-là furent ainsi sa meilleure part, celle du succès lumineux comme des vraies inconvenances d’une œuvre relativement tombée dans l’oubli –sauf Gigi. Avant qu’Olivia ne réapparaisse, fin 2018, restauré, doué d’une Edwige Feuillère dans son rôle clé d’un sensuel assumé et blêmi. Le plus beau film de Jacqueline Audry est donc celui au plus intime qu’elle créa avec sa sœur: elles en furent les initiatrices productrices. Après tout, le cinéma est rempli de fratries, des frères Lumière aux Coen en passant par les frères Marx ou Maysles. Il s’agirait à présent de faire l’histoire secrète des sœurs, tout reste à faire pour les Audry, ces inconnues aux destins doublés, à contre-jour.

Olivia, sur Arte replay jusqu’au 7 juillet.

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