Ça fait quoi d’être le premier à piloter un nouveau vaisseau spatial ?
by Brice Louvet, rédacteur sciencesCe samedi, et si la météo le permet, Bob Behnken et Doug Hurley grimperont dans la capsule Crew Dragon de SpaceX, direction l’ISS. Les deux astronautes vont, à cette occasion, intégrer le club très fermé des sept astronautes ayant piloté pour la toute première fois un nouveau vaisseau spatial.
La dernière fois que des Américains sont montés à bord d’un vaisseau spatial pour la première fois, c’était en 1981, lorsque les astronautes John Young et Robert Crippen ont intégré la navette spatiale Columbia. John Young, qui a également effectué la première mission du programme Gemini de la NASA, est décédé en 2018. Cela fait de Robert Crippen, âgé de 82 ans, le seul astronaute encore vivant à avoir jamais piloté ce type d’engin pour la première fois. Dans un récent entretient accordé à WIRED, l’astronaute est revenu sur son expérience.
« Lorsque vous êtes une recrue qui monte, c’est bien d’avoir un pro avec vous »
Crippen a été sélectionné comme astronaute à la NASA quelques mois seulement après que Neil Armstrong et Buzz Aldrin aient posé les pieds sur la Lune. À l’époque, le programme Apollo était toujours en cours, mais l’agence américaine portait déjà son attention sur un tout autre projet d’envergure : le programme de la navette spatiale.
Crippen a ensuite été engagé pour son premier vol d’essai avec Young, un astronaute vétéran qui a lui aussi marché sur la Lune (avant-dernière mission Apollo, en avril 1972).
Associer une vieille main à un astronaute débutant était un choix inhabituel à l’époque, mais Crippen souligne que c’était nécessaire. « Lorsque vous êtes une recrue qui monte, c’est bien d’avoir un pro avec vous », se souvient-il. Ces binômes ont ensuite été la règle pendant plusieurs années, permettant ainsi aux plus expérimentés de transmettre leur savoir aux “bleus”.
En comparaison, le premier vol d’essai de la capsule Crew Dragon de SpaceX impliquera cette fois deux astronautes chevronnés.
D’un côté nous avons Bob Behnken. Sélectionné en 2000, l’astronaute a effectué deux vols en navette spatiale (mission STS-123 en mars 2008 et mission STS-130 en février 2010). Il a également trois sorties dans l’espace à son actif. D’un autre côté nous avons Doug Hurley. Sélectionné lui aussi comme astronaute en 2000, il a notamment piloté la mission STS-127 en juillet 2009, puis la mission STS-135, la dernière de la navette spatiale, programmée en juillet 2011.
Des milliers d’heures passées en simulateur
Si Behnken et Hurley piloteront brièvement la capsule durant leur mission, la Crew Dragon volera de manière autonome durant une grande partie du voyage. En ce sens, l’expérience de Crippen fut un peu différente dans la mesure où le pilotage des navettes spatiales nécessitait davantage de contrôles manuels, notamment durant l’atterrissage (tandis que la capsule doit amerrir en libérant un parachute).
Ainsi, comme Behnken et Hurley au cours de ces derniers mois, Crippen et Young ont également passé un nombre incalculable d’heures dans des simulateurs, de manière à se préparer à toutes les éventualités. L’astronaute explique en effet avoir atterri au moins 1500 fois virtuellement avant d’intégrer la navette Colombia pour son vol inaugural en 1981.
« Nous avions confiance »
À noter également que, à la différence des programmes précédents (Mercury, Gemini et Apollo), Crippen et Young ont piloté leur vaisseau alors qu’aucun vol d’essai sans équipage n’avait été effectué auparavant. Cela paraît impensable aujourd’hui. Avant que Behnken et Hurley ne grimpent dans la capsule Crew Dragon, celle-ci a bien évidemment été déployée, seule, pour une mission d’essai vers la station spatiale (l’année dernière).
Malgré cette prise de risque, Crippen souligne qu’il n’était pas plus inquiet que ça. Au contraire, il s’est dit « très excité ».
Comme Behnken et Hurley, qui ont agi en tant qu’agents de liaison entre la NASA et SpaceX, Crippen avait également passé beaucoup de temps à travailler avec les entreprises chargées de construire la navette. « Nous avions confiance, explique-t-il. Certaines personnes étaient préoccupées par le fait qu’il n’y avait pas eu de vol habité auparavant, mais John [Young] et moi pensions tous les deux qu’il y avait de meilleures chances de succès si nous étions à bord ».
En plus de participer à la mission de la première navette, notez que l’astronaute a également été membre du tout premier équipage de cinq personnes (STS-7, avec la première femme américaine dans l’espace, Sally Ride). Il a aussi participé à la première opération de réparation de satellites (mission STS-41-C, qui a réparé le satellite Solar Maximum Mission) et a été membre du tout premier équipage de sept personnes (mission STS-41-G). Oui, ça fait beaucoup de premières pour un seul homme.
Enfin concernant le prochain vol de ses compères dans la capsule Crew Dragon qui aura lieu ce samedi, Crippen n’a qu’un seul conseil : « profitez-en ! ».