https://www.lopinion.fr/sites/nb.com/files/styles/w_838/public/styles/paysage/public/images/2020/05/prefets_sipa.jpg?itok=qAheM5pc
Préfets lors de l'anniversaire de la 74e libération de Paris
© Sipa Press

«Préfets, ces autres invisibles…». La tribune de Brice Soccol

by

On a vu et entendu beaucoup de monde dans les médias, en ce temps de crise sanitaire. Pourtant, le Covid-19 a révélé des invisibles, dont on n’avait pas conscience. Nous n’avions jamais pris la mesure de tout le travail qu’ils effectuaient : les caissiers, les aides-soignants, les rippers ou encore les femmes de ménage. La société a enfin commencé à s’intéresser à eux et à leur rendre hommage. Mais parmi ces invisibles, il y a d’autres invisibles, ceux qui organisent la vie quotidienne des Français, en silence. Ces invisibles, dont le grand public ne connaît que le visage sécuritaire, sans percevoir qu’ils participent aussi à l’aménagement des territoires, ce sont les préfets.

Rambuteau, Haussmann, Cambon, Lépine, Poubelle, Carnot, Moulin… Tout le monde connaît, au moins de nom, ces préfets, qui ont joué un rôle majeur dans notre histoire. Mais au fil du temps, les préfets se sont incarnés dans un collectif et, tout en demeurant les référents de la République, ils se sont fondus dans l’anonymat de l’institution, étiolée par les différentes lois de décentralisation. Comme l’explique Jacques Aubert dans Les préfets en France, ces derniers ont perdu depuis 1982 leur « position stratégique de clef de voûte du système local » et s’en est suivie une « véritable crise d’identité ».

Aujourd’hui, il leur est confié l’organisation du pays ; et donc une responsabilité immense. Ennemis du peuple jaune il y a quelques mois, - certains allant jusqu’à brûler une préfecture en Haute-Loire -, ils sont pourtant aux côtés des citoyens, des travailleurs, des soignants. La crise révèle ces invisibles aux côtés des élus, mandatés par le Premier ministre dans le cadre du confinement, comme du déconfinement. Les préfets se voient confier des missions essentielles : « organiser la vie quotidienne ; accompagner la reprise de l’activité économique et sociale du pays ; prendre en compte les publics les plus fragiles ; appuyer les opérations de tests et de prévention ».

Certains se révéleront, d’autres non ; mais ils sont pendant cette crise la clé de voûte d’un pouvoir politique abasourdi. Les territoires bruissent d’initiatives locales, départementales, régionales. La proximité a repris de la vigueur ; les élus, de la responsabilité ; les préfets, des couleurs. Un couple s’est reformé. « Un bon préfet sait écouter ses maires et un bon maire a naturellement l’oreille de son préfet », écrivaient Crozier et Thoenig. Il faut prendre désormais la mesure du rôle des préfets et de la place qu’ils occupent dans nos vies, aux côtés des élus locaux.

Les vedettes médiatiques, loin des réalités sociales, donnent des leçons de reconstruction. Mais les bâtisseurs d’un monde nouveau se trouvent d’abord dans nos territoires. Les préfets remplissaient déjà cette mission, sous le Consulat et l’Empire, - comme le préfet Haussmann - ; ils étaient des « aménageurs ». Cette identité retrouvée augure de nouvelles relations entre les secteurs privé et public. Pour répondre aux injonctions contradictoires des habitants, pouvoirs publics et opérateurs privés devront révolutionner leur stratégie territoriale.

Dans le domaine de l’urbanisme commercial, par exemple, c’est par une méthode de concertation étroite entre préfets, élus et entreprises qu’il pourra y avoir la meilleure prise en compte possible des enjeux de notre temps. Bâtisseurs, les préfets peuvent amener les parties prenantes à réaliser des partenariats de projet, favoriser les investissements patrimoniaux durables, dans une logique de long terme.

L’Etat ne peut pas tout, ne peut plus tout. Néanmoins, ré-industrialisation, relocalisation, organisation agile de l’administration ou encore développement du numérique nécessiteront une hybridation des compétences, des savoirs, des institutions, des responsabilités publiques et privées. Ces invisibles seront peut-être demain les garants d’une nouvelle République décentralisée.

Brice Soccol est conseiller en développement territorial, président du Cabinet Public & Private link.