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Une chaîne d’assemblage de l’usine Renault de Maubeuge.
© Sipa Press

«Le retour du made in France passe par un grand choc fiscal». La tribune de Anthony Escurat

« L’industrie tricolore a peu à peu déserté nos territoires depuis une trentaine d’années dans une indifférence quasi générale »

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L’épidémie que nous traversons aura eu le mérite de jeter une lumière crue sur un mal français : la désindustrialisation du pays. Représentant aujourd’hui seulement 12 % de notre produit intérieur brut (contre plus de 20 % en 1975, soit l’équivalent du niveau actuel de l’Allemagne), l’industrie tricolore a ainsi peu à peu déserté nos territoires depuis une trentaine d’années dans une indifférence quasi générale.

Longtemps présenté comme un phénomène inéluctable, le « made in France » s’est étiolé mezzo voce comme peau de chagrin. Mais le Covid-19 est passé par là et ce repli productif est désormais pointé du doigt. Un virage à 180 degrés que seule une diminution drastique de la fiscalité qui pèse sur la production pourra rendre tangible.

Car derrière le sacro-saint « made in France » se cache une litanie d’acronymes – C3S, CFE, CVAE, TFPB, TICPE, VT… – méconnus du grand public : celui de la fiscalité de production. Eclatés en une myriade d’impôts nationaux et locaux, sept fois plus élevés qu’en Allemagne et deux fois plus qu’en Europe, frappant aveuglément les entreprises avant même la constitution du moindre chiffre d’affaires ou bénéfice, les impôts de production représentaient 72,1 milliards d’euros en 2017 contre « seulement » 35,7 milliards pour l’impôt sur les sociétés.

Dans ce contexte, la fiscalité sur la production pénalise fortement les marges des entreprises françaises (établies à 33,1 % au premier trimestre 2019 contre 38,6 % en moyenne dans la zone euro et 40,6 % en Allemagne) et les rend, de facto, moins compétitives que leurs concurrentes étrangères.

Exemple archétypal de cette bérézina économique, la production automobile tricolore a chuté de moitié en quinze ans

Désavantage compétitif. Par effet pendulaire, moins de 10 % de la valeur ajoutée tricolore provient aujourd’hui de l’industrie manufacturière (contre 19 % en 1995) alors que celle-ci se hisse à environ 20 % en Allemagne où la fiscalité sur la production pèse dix milliards d’euros seulement. Par conséquent, depuis 2007, la production industrielle a progressé de 27 % outre-Rhin alors qu’elle a fondu de 3 % dans l’Hexagone. Exemple archétypal de cette bérézina économique, la production automobile tricolore a chuté de moitié en quinze ans.

En d’autres termes, beaucoup plus douloureux que les fiscalités directe ou de consommation, les impôts de production figurent au premier rang des accusés. Représentant 3,2 % du PIB (contre 1,6 % dans la zone euro), 10 % de nos recettes fiscales (contre 2 % en Allemagne) et 25 % de la totalité de la fiscalité économique (contre 5 % outre-Rhin), la fiscalité sur la production a progressé en France de 12 milliards d’euros entre 2007 et 2016, soit une augmentation de 20 % largement supérieure à la hausse de la richesse nationale sur la même période (14,2 %).

Autrement dit, contrairement à la majorité de ses principaux voisins qui ont décidé depuis dix ans de la réduire significativement, la France a quant à elle privilégié la fiscalité de production ; lestant ainsi notre secteur industriel d’un désavantage compétitif majeur et faisant fuir hors des frontières hexagonales nos fabricants.

La France a favorisé la kyrielle de délocalisations qui a, ces dernières décennies, dépouillé nos territoires de leur tissu productif et la France d’une partie de sa souveraineté

Subvention aux importations. En définitive, déjà médaille d’or des zones euro et OCDE en termes de prélèvements obligatoires, la France se distingue une nouvelle fois à travers son niveau très élevé d’impôts frappant la production ; au second rang en Europe derrière la Suède. Frein à l’investissement et à la compétitivité de notre industrie, totalement déconnectée de la vie réelle de l’entreprise, agissant comme une subvention aux importations et une taxe sur les exportations, la fiscalité de production aggrave dès lors notre balance commerciale et, parallèlement, obère le développement du tissu d’ETI que « l’entreprise France » peine à faire éclore depuis de nombreuses années : seulement 5 800 dans l’Hexagone contre 8 000 en Italie et 13 000 au sein du Mittelstand allemand.

Pis encore, elle a favorisé la kyrielle de délocalisations qui a, ces dernières décennies, dépouillé nos territoires de leur tissu productif et la France d’une partie de sa souveraineté.

Les appels du 18-Juin à la « souveraineté industrielle » et aux « relocalisations » resteront dès lors lettre morte tant qu’une réforme profonde de cette « exception française » n’aura pas vu le jour. Un choc fiscal d’une ampleur pouvant aller jusqu’à vingt milliards d’euros, que viendrait compenser un relèvement de 0,5 point de la TVA afin de ne pas grever davantage des dépenses publiques déjà endolories et taxer un peu plus nos importations. Une arithmétique qui permettrait de faire du retour du « made in France » non plus un simple slogan mais une réalité.

Anthony Escurat, membre du conseil scientifique de la Fondation Concorde, enseignant à Sciences Po Aix.