Vincent est pris "à tort" pour un manifestant, enfermé six heures en cellule et écope d'une amende de 250 euros: il porte plainte
Vincent Brichot ne comprend toujours et cela fait déjà presque un mois.
Le 1er mai, en plein confinement coronavirus, ce Français qui habite Bruxelles depuis de nombreuses années est interpellé par une patrouille alors qu'il effectue une balade à vélo. Une balade avec un ami qui a en fait pour but de "récupérer une commande de bières artisanales", chaussée d'Alsemberg à Saint-Gilles.
Vincent s'arrête rue de la Jonction, cherche son chemin, consulte Google Maps "lorsqu’une voiture de police banalisée s'est arrêté à mon niveau". S'en suivent une arrestation et une mise en cellule pendant six heures. "Tout cela sans la moindre explication."
J'ai d'abord cru à une blague, une caméra cachée
Vincent, 32 ans, qui travaille dans une importante banque, se remémore l'interpellation. "Deux policiers en civil sont sortis d'une voiture pour venir m’arrêter. Dans un premier temps, j'ai cru à une blague, une caméra cachée. Mais ils ne riaient pas. J'ai été plaqué au mur, fouillé. Puis ils m'ont dit qu'ils devaient me priver de liberté. Ils m'ont menotté puis rentré dans leur voiture. A ce moment-là, aucun motif et aucun questionnement n'ont eu lieu, je ne savais donc pas pourquoi on m’arrêtait."
Mais que faire du vélo de Vincent? "Un des policiers a, dans un premier temps, songé à traîner mon vélo par la fenêtre du véhicule. Mais le second agent a vu un citoyen qui passait par là et il lui a demandé de mettre mon vélo dans son garage. C'est un quidam, donc comment savoir qui c'était par après." La police part alors à toute vitesse "avec moi à l’arrière avec les menottes mais sans ceinture de sécurité".
Non-respect des distances
Dans le brouillard, Vincent tente d'avoir des explications. "Rien", raconte-t-il. Le déplacement en voiture n'est pas long: Vincent est déposé devant la prison de Saint-Gilles et rejoint d'autres personnes arrêtées "sans respecter les distances pour le Covid 19". Sur place, des voitures de police en nombre.
"Il venait de se passer quelque chose". Vincent comprendra plusieurs heures après que les forces de l'ordre ont interrompu des manifestations non autorisées devant l'établissement pénitentiaire et rue du Monténégro, dans le bas de la commune. Ces rassemblements organisés par des militants d'extrême gauche réclamaient la fermeture des prisons. En plein confinement, la police a dû intervenir sur place pour disperser les participants et a vraisemblablement interpellé Vincent, qui passait dans le quartier, pas erreur. "Pourtant, ça se voyait que je n'avais pas look d'un manifestant mais plutôt d'un sportif sur son vélo."
J'ai dû me mettre à nu, faire des flexions
Toujours est-il que sur place, Vincent n'a plus de menottes, remplacées par des colsons. Il est embarqué une nouvelle fois direction un commissariat de la zone Midi, à Anderlecht. "Sur le trajet, on m'a quand même donné un masque." Au commissariat, l'ambiance est moins tendue reconnaît Vincent qui espère une issue rapide. Mais les agents doivent encore procéder à sa fouille. "J'ai du me mettre à nu, baisser mon caleçon, faire des flexions, un peu comme un trafiquant de drogues". Vincent dit avoir ressenti cela comme une humiliation.
Dix-sept en cellule
En cellule avec quatre autres personnes puis 17, les minutes deviennent des heures. Vincent veut prévenir ses proches, dont sa compagne "qui a dû s'inquiéter. Mon ami qui m'accompagnait ce jour-là lors de la balade vélo avait pris de l'avance. Il a assisté à mon arrestation mais de loin. Il a raconté ce qui m'est arrivé à ma copine qui elle a passé son après-midi à appeler toutes les polices, paniquée. En cellule, j'avais droit à un appel mais je ne connais pas le numéro de ma copine par cœur. J'ai demandé à la police de me laisser regarder dans mon GSM. Refusé!"
Derrière les barreaux, Vincent ne rit pas, d'autant qu'il voit sortir des personnes mises en cellule bien après son arrivée. Et quand la nourriture arrive, ce sont "trois gamelles, des conserves au poulet, pas de couverts pour chacun. Pas de précautions sanitaires. Je n'ai pas mangé, je vous avoue."
20h30 sonne et Vincent est enfin relâché. Mais pourquoi a-t-il été arrêté? Toujours pas de réponse et Vincent n'a pas été auditionné. La seule trace de son passage au commissariat, c'est l'inventaire après fouille, reprenant la liste des objets en sa possession au moment de son arrestation: un smartphone, une montre connectée, des écouteurs, son portefeuille... Au dessus du document, une première indication: "Motif: perturbation de la tranquillité publique."
Dans ce commissariat, on m'a enfin écouté
"Je sors du commissariat et je marche à pied jusque Saint-Gilles. Je me rends à l'endroit où la police a donné mon vélo. Il y a une maison, un garage, je sonne. Personne!" Vincent est encore sous le choc, il ne veut pas en rester là. Il décide dans la foulée de porter plainte pour arrestation arbitraire dans un commissariat tout proche. "Là, on m'a écouté. Je me suis senti beaucoup mieux. On a acté ma plainte et expliqué qu'elle serait traité par le service interne. On m'a également conseillé de porter plainte auprès du Comité P", la police des polices. Vincent le fera en rentrant chez lui. D'ailleurs, "c'est une patrouille qui me déposera jusque chez moi, à Saint-Josse", où il peut enfin tout raconter à sa compagne.
Vincent n'est pas quitte avec cette histoire. S'il a bien reçu des confirmations de la réception de ses plaintes, il reçoit, il y a quelques jours à peine, une amende à payer. "250 euros pour non-respect du confinement, le 1er mai. Je rêve! Tout d'abord, on dit que je manifeste alors que non. On dit aussi que j'aurais manifesté rue du Monténégro alors que ça s'est passé rue de la Jonction. Bref, tout est incorrect dans ce procès-verbal."
J'ai décidé de ne pas payer
Après avoir hésité (et tablé sur un éventuel remboursement), Vincent a finalement décidé de ne pas payer la sancton car il n'a rien à se reprocher. "J'ai un casier judiciaire vierge. Je ne fais pas de politique. Je suis impliqué et je ne milite d'aucune manière que ce soit. La seule et unique fois où j'ai manifesté de ma vie, c'était pour le climat."
Il espère que ses plaintes iront au bout. "Aujourd'hui, j'en rigole. Mais il y a quelques jours je ne rigolais pas. Ceci était, avec ce genre de dérapages, comme celui que j'ai vécu, la police ne doit pas s'étonner si parfois elle a une mauvaise image." Vincent l'admet: il n'y a pas eu de violences physiques.
Quant à son vélo, il a finalement pu le récupérer après quelques jours chez le riverain sollicité à la volée par la police le jour de l'interpellation. Quant à sa commande de bières, il a également pu aller la rechercher. "Ici aussi, quelques jours après. Mais je dois avouer que j'avais quand même peur de repasser par Saint-Gilles et de revivre ce que j'avais vécu le 1er mai. Un jour de congé que j'ai en fait passé au cachot", se désole Vincent.
Contactée par la RTBF, la zone de police de Bruxelles-Midi ne souhaite pas commenter à ce stade le fond du dossier. La porte-parole confirme le dépôt de la plainte de Vincent. "L'enquête est toujours en cours actuellement", nous dit-on.
K. F.