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Le 2 avril dernier, une femme remplit de fruits et légumes le panier d'un membre de l'AMAP de Campbon, dans l'ouest de la France.
Photo Loïc Venance. AFP

Si tu n’es pas toi, qui ? Si pas maintenant, quand ?

Nous n’avons pas d’autre choix que de quitter l’Anthropocène, l’ère où l’action humaine détruit le berceau de son développement, pour entrer dans le Symbiocène…

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Conférence dans une école. Un garçon demande à Yann Arthus-Bertrand : «Monsieur, c’est quand la fin du monde ?» Interloqué, le photographe demande aux autres enfants si eux aussi croient en la fin du monde. 70% des bras se lèvent… Cette anecdote relatée par Laure Noualhat dans son dernier livre montre la toile de fond de la profonde interrogation du sens de nos sociétés et l’angoisse immense tapie dans le silence. Ces deux mois de confinement et d’arrêt de l’économie ont fait naître d’intenses réflexions dans nos foyers, sur les réseaux et dans la presse entre un monde d’avant et un monde d’après.

Le retour à un monde d’avant est illusoire : ce que nous montre le Covid est que l’économie actuelle n’est pas résiliente face aux chocs. Elle s’écroule. Aussi, revenir au monde d’avant ne fait que nous emmener vers la succession d’effondrements sous des chocs de toute nature. Et tant que nous connaîtrons ces effondrements tels, c’est que nous y serons restés. A force de s’accrocher à un avant perdu, nos enfants croient que l’avenir n’existe plus.

Secret

L’incantation pour un monde d’après est aussi illusoire. Car incanter n’est pas agir mais attendre. Comme le dit le philosophe Alain, «le secret de l’action, c’est de s’y mettre». Notre secret est d’agir sur le présent pour un monde différent de celui d’avant.

Prenons nos leçons dans le vivant. Lui aussi a connu des effondrements majeurs au cours de son histoire. Il y a survécu en engendrant des innovations de rupture qui ont réorganisé le monde au service de bonds extraordinaires de développement de la vie. L’une de ses plus grandes innovations est la symbiose : lorsque deux êtres participent au développement l’un de l’autre tout en restant chacun soi-même. La symbiose est à l’origine du développement de l’ensemble du végétal sur Terre, elle est à l’origine de la capacité des cellules à s’assembler et à former des organismes, et non plus de simples bactéries ; elle est aussi à l’origine de la respiration et du fleurissement des formes de vie qui l’ont suivie car elle a conduit à un saut radical d’efficience dans l’utilisation de l’énergie disponible.

Nous n’avons pas d’autre choix que de quitter l’Anthropocène, l’ère où l’action humaine détruit le berceau de son développement, pour entrer dans le Symbiocène, comme l’appelle le philosophe Glenn Albrecht, une ère où les activités humaines rejoignent le bal de l’ensemble des espèces vivantes qui, toutes et ensemble, régénèrent la fertilité du milieu dont elles dépendent.

Valeurs

Ce présent sur lequel nous pouvons agir est déjà là. Des milliers d’acteurs l’ont déjà entrepris selon leurs valeurs et leurs convictions. Ils ont à cœur la régénération de ce à quoi ils tiennent : leur lieu de vie, les gens avec qui ils travaillent et leur planète, la Terre. Ils sont agriculteurs, énergéticiens, fabricants de smartphones et d’ordinateurs, d’automobile, ils sont commerçants, ils sont maires, ils sont publicitaires, ils sont financiers. Ils mettent en place jour après jour une économie du cœur, une Economie qu’on aime, pour reprendre le titre d’Amandine Barthélémy, Sophie Keller et Romain Slitine. Ils forment une économie qui concilie facilement deux choses qui nous semblaient contradictoires, le respect et l’amour que nous portons au vivant, notre volonté d’avancer et de faire grandir ce monde pour le bien tous. Parce que c’est une économie de réseau et d’écosystèmes, elle permet d’agir chacun à son échelle du bas de chez soi à celle du monde. Et à la très petite échelle, qui que nous soyons, nous vivons dans un village ou un quartier.

Lorsque nous rouvrirons petit à petit nos portes, de nombreux petits commerces et petites entreprises autour de nous risquent de devoir fermer les leurs. Utilisons les outils de cette économie du présent pour enclencher la même solidarité que celle qui a sauvé des vies, sauvons ces entreprises que l’on aime et qui font la vie de nos quartiers. Nous avons acclamé nos soignants pour leur solidarité envers la vie de nos proches. C’est à notre tour d’être solidaires pour aujourd’hui sauver des milliers d’entreprises de la mort économique.

Bio et local

Près de chez moi, à Roubaix, le restaurant Baraka a été sauvé par ses clients et ses salariés. Ils en sont tous devenus les actionnaires en le transformant en coopérative. Aujourd’hui, c’est un lieu de rencontre, d’éducation populaire et d’innovation sociale et économique. Sa transformation l’a réinventé. On y mange bio et local pour les plus bas prix de la ville, parce que les mêmes usagers ont formé une épicerie solidaire qui les fournit eux comme le restaurant, et tout simplement… On débarrasse soi-même les assiettes.

En 2016 à Aurillac, la librairie la Plume violette n’a pas transformé son statut juridique mais plutôt que de fermer, elle a fait appel au financement participatif via une plateforme de crowdfunding comme Ulule, Kisskissbankbank ou Tudigo. Ces plateformes, souvent fondées par des banquiers reconvertis de la banque de masse à la banque des gens, permettent de financer la création d’un projet ou de sauver de la difficulté les artisans par le don-récompense.

Vous aussi, boulangers, bouchers, modistes, bistrotiers, restaurateurs, agriculteurs, nous vous en prions, emparez-vous des outils de cette économie régénérative pour que nous, vos clients amoureux de vos lieux et de vos produits, puissions vous sauver ! Il y a 60 milliards dans nos poches, 60 milliards de ce qu’on appelle «l’épargne forcée» des Français que ces deux mois de confinement ne nous ont pas permis de dépenser. Tu nous offriras une brioche ou notre café demain matin. Et si ce n’est pas demain ce sera quand tu pourras. Tiens, mieux que cela : organise-nous une fête de quartier, tu nous paieras la première tournée ! Et j’espère bien que monsieur ou madame le maire – du village de la ville ou de l’arrondissement – sera de la partie. On a 10 000 choses à lui proposer pour faire ensemble l’économie qu’on aime, une économie symbiotique où, parce que tu te développes, nous nous développons.

Et encore…

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En attendant le festival Agir pour le vivant, initialement prévu mi-avril et reporté à cet été, à Arles (Bouches-du-Rhône), en partenariat avec les éditions Actes Sud, la rédaction de Libération propose à ses lecteurs tribunes, interviews et éclairages, ainsi qu’une sélection d’articles sur le thème de la biodiversité issus de nos archives ou de notre rubrique «le Fil vert». A retrouver ici.