La pandémie: grande révélatrice des injustices sociales qui perdurent

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OPINIONS / Les auteures sont Marie-Josée Drolet, professeure, ergothérapeute et éthicienne au Département d’ergothérapie de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), ainsi qu’Emmanuelle Jasmin et Annie Carrier, professeures et ergothérapeutes à l’École de réadaptation de l’Université de Sherbrooke.

L’actuelle pandémie de la COVID-19 bouleverse assurément nos activités quotidiennes et nos rapports sociaux. Comme toute crise, la COVID-19 révèle aussi au grand jour des injustices sociales qui, auparavant, demeuraient peu ou moins visibles. C’est ce que font les crises: elles révèlent, voire accentuent les injustices sociales.

La pandémie de la COVID-19 a d’abord mis en lumière la négligence, voire la maltraitance organisationnelle, à l’endroit des personnes aînées en hébergement. Bien que les piètres conditions de vie des aînés dans les CHSLD du Québec fussent dénoncées par plusieurs regroupements et associations depuis plusieurs décennies, la crise de COVID-19 a braqué les projecteurs sur cette injustice sociale préoccupante.

L’âgisme et le capacitisme sont des facteurs qui peuvent expliquer, du moins en partie, cette négligence et maltraitance envers les personnes aînées. Alors que «l’âgisme est un processus par lequel des personnes sont stéréotypées et discriminées en raison de leur âge», le capacitisme correspond à un système de croyances suivant lequel la personne considérée moins capable ou «handicapée est moins digne d’être traitée avec respect et égard». En tant que systèmes de croyances et d’oppression, l’âgisme et le capacitisme restreignent les possibilités offertes aux personnes de participer pleinement à la vie en collectivité et de voir leurs droits fondamentaux respectés.

La crise actuelle révèle de plus l’injustice qui touche les minorités culturelles. S’il est vrai que les impacts négatifs de la COVID-19 concernent en premier lieu les aînés, les membres des minorités culturelles du Québec font également partie des personnes qui subissent plus que d’autres les conséquences négatives de la pandémie. En effet, le taux d’infection et de mortalité est plus élevé chez ce groupe de personnes comparativement à d’autres. Cette réalité est notamment visible à Montréal. La distanciation physique, le télétravail et l’achat en ligne sont des luxes que plusieurs membres des minorités culturelles ne peuvent pas s’offrir en situation de pauvreté. Il est en effet beaucoup plus facile de vivre la distanciation physique dans une belle grande maison de campagne avec sa famille nucléaire que dans un petit logement en ville avec sa famille intergénérationnelle.

L’injustice de genre devient aussi plus apparente dans la pandémie actuelle. Comme le résume Françoise David, «au Québec, neuf emplois sur dix dans les services – privés ou publics – sont occupés par des femmes. (…) [Par exemple], les femmes fournissent plus de 80 % de la main-d’œuvre dans le secteur de la santé, 70 % en éducation et 88 % en travail social». Les emplois dans ces secteurs sont parmi ceux qui sont les moins reconnus et les moins bien payés. «Quand un gouvernement parle d’économie, c’est de métiers masculins qu’il parle, rarement de services prodigués par les femmes», écrit Mme David dans un texte paru dans Le Devoir.

Or, ces métiers du care sont essentiels. Nous en profitons tous, notamment dans le contexte actuel où les femmes contribuent majoritairement aux services sanitaires, éducatifs et sociaux, et ce, bien souvent en surplus de leurs responsabilités familiales. Cette injustice sévit également dans le monde universitaire où la productivité scientifique des hommes s’est vue en croissance depuis le début de la crise, contrairement à celle des femmes, en outre parce que ce sont généralement elles qui s’occupent des enfants à la maison. Encore de nos jours, un sexisme latent nous maintient dans des rôles sexuellement stéréotypés.

Enfin, les inégalités socioéconomiques entre les pays constituent la quatrième injustice révélée. L’actuelle demande de masques des pays développés engendre une pression énorme sur des entreprises des pays à faible revenu. «Avant la pandémie, au moins 25 millions d’adultes et d’enfants étaient déjà victimes de travail forcé à travers le monde. Cet esclavage moderne risque d’augmenter», estime Julie Miville-Dechêne. Connues depuis longtemps, ces inégalités perdurent néanmoins et sont même exacerbées par la crise actuelle.

À travers les drames qu’elle a générés, la pandémie a toutefois une conséquence positive: celle d’avoir révélé clairement ces injustices. Nous ne pouvons pas les nier, ni les balayer sous le tapis. Nos dirigeants devront agir, car maintenant nous savons et nous leur rappellerons l’urgence d’agir pour mettre un terme à ces injustices.

Les aînés, les membres des communautés culturelles, les femmes et les pays à faible revenus méritent – comme tout autre individu, groupe ou société – le respect de sa dignité et sa part du gâteau.