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Photo Jerome Delay. AP

Afrique du Sud : la pandémie de Covid, un triste déjà-vu…

Chaque semaine, la chronique «Vu du monde» se penche sur un pays émergent. Aujourd’hui, focus sur l'Afrique du Sud, où l'épidémie du coronavirus rappelle douloureusement celle du sida.

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Parfois, les mémoires encore taboues, qu’on a tenté d’enfouir, resurgissent. Il y a une dizaine d’années, l’Afrique du Sud commençait à peine à sortir de la pandémie du sida, qui a tué 3 millions de personnes à ce jour dans le pays. Les scientifiques évoquent les leçons qui ont été tirées, les activistes mettent en garde contre les erreurs à ne plus commettre, les proches de tous ceux qui sont partis trop tôt se souviennent de la douleur. Depuis, des progrès énormes ont été faits, et des millions de patients ont enfin accès aux traitements antirétroviraux. Mais environ 70 000 personnes meurent encore, chaque année, de maladies opportunistes liées au VIH. Certaines victoires restent incomplètes.

Et personne n’a oublié. Un gouvernement qui s’obstinait dans le déni, des hôpitaux qui ne disposaient pas des médicaments nécessaires pour sauver des vies, la stigmatisation des malades, la frustration et l’impuissance devant les morts inutiles. Et les cimetières, les week-ends, avec leurs interminables rangées de familles éplorées, où les funérailles s’opéraient à la chaîne. Une génération décimée, dans une société, atteinte de stress post-traumatique permanent, encore hantée par les atrocités de l’apartheid.

Economie dévastée

«Ce virus est dangereux.» «Beaucoup de gens vont mourir.» En ces temps de nouvelle pandémie, ces messages, auxquels on voudrait ne pas croire, résonnent en Afrique du Sud. Dans les quartiers habités par la classe moyenne, et majoritairement par des Blancs, on flirte avec l’illégalité pour profiter d’un café au soleil, sur le tabouret installé devant le comptoir d’un restaurant, en se demandant si on ose enlever son masque et sortir le paquet de cigarettes acheté au marché noir. Dans les townships, on tente de survivre. Des gens ont faim. Beaucoup sont rongés par l’angoisse de ne plus être en mesure de subvenir aux besoins de leurs enfants, quand la tempête sera passée, laissant derrière elle une économie dévastée.

Les rues sont animées. Il y a ceux qui sortent par nécessité, ceux qui n’en peuvent plus de rester enfermés, ceux qui font passer le temps. Le déni, le sentiment d’invincibilité, l’envie de vivre normalement ne sont pas l’apanage des riches, ou des Blancs. Mais la peur transparaît aussi, parfois, dans les discours, vite repoussée. L’attitude proactive, cette fois, du gouvernement rassure un peu. On prend son mal en patience, on attend des aides promises, qu’on sait déjà insuffisantes.

Il n’y a, pour l’instant, pas eu de révolte. Un calme presque étonnant, dans un pays où la répression la plus brutale n’a jamais fait taire la rage et les toyi-toyi qui accompagnent les manifestations. Face au Covid-19, c’est une résignation teintée d’appréhension qui prévaut, alors que les autorités prédisent une récession et répètent que le pire de l’épidémie est encore à venir. La mort, le deuil, sont ici tristement familiers. Tout le monde espère ne jamais revivre l’hécatombe. Mais les «plus jamais ça» parlent encore moins aux virus qu’aux humains.