Violences policières aux Etats-Unis : "La peur et les préjugés conduisent les policiers à mal réagir"
by Thomas LiabotCharlotte Recoquillon, chercheuse rattachée à l'Institut français de géopolitique, spécialiste des violences policières aux Etats-Unis, revient sur la mort lundi soir de George Floyd, un homme noir tué par la police dans le Minnesota.
La mort de George Floyd, un homme noir tué lundi soir lors d'une interpellation musclée par la police de Minneapolis (Etats-Unis), a provoqué des émeutes dans cette ville du Minnesota. La scène a été filmée par une passante sur Facebook Live : elle montre un homme plaqué au sol sur le ventre par un policier qui l'immobilise avec un genou sur le cou. L'affaire rappelle celle d'Eric Garner, lui aussi décédé après avoir été asphyxié lors de son arrestation par des policiers à New York en 2014. Charlotte Recoquillon, chercheuse rattachée à l'Institut français de géopolitique, spécialiste des violences policières aux Etats-Unis, analyse ce nouveau drame.
Pourquoi de telles drames ont-ils encore régulièrement lieu aux Etats-Unis?
Parce que le racisme y est encore très profondément ancré et que c'est une société violente. Ce problème se manifeste structurellement dans la police mais c'est un problème général. Des études montrent que la peur et les préjugés sont des facteurs qui conduisent les policiers à mal réagir et que cela a plus tendance à se produire lorsque les suspects sont noirs que lorsqu'ils blancs. La peur est un facteur décisif puisqu'elle détermine la violence de la réponse. Or le niveau de peur est lui-même déterminé par des préjugés racistes, parfois inconscients, et des processus de déshumanisation visant principalement les hommes noirs : les policiers vont être moins sensibles à la douleur des hommes noirs, ils vont plus souvent présumer qu'ils sont armés, etc.
Le problème du racisme est-il plus important au sein de la police que dans le reste de la société?
La police compte un certain nombre d'individus problématiques parce qu'en tant que force de l'ordre, elle attire des profils de gens violents. Mais aussi des suprémacistes blancs et des gens d'extrême-droite. Le problème est aussi structurel puisque ces policiers bénéficient souvent d'une très grande impunité. C'est d'ailleurs très difficile pour des policiers qui voudraient dénoncer des dérives de se faire entendre. Ils sont souvent stigmatisés voire mis au placard. Le fait qu'à Minneapolis, les policiers aient agi aux yeux de tous, alors qu'ils se savaient filmés, montre que l'impunité est très profondément inscrite dans leur culture.
Cette fois, ils ont été limogés dans la foulée.
Oui, et c'est nouveau. Cela dit, un syndicat a fait appel et il faudra suivre ce qui en ressort. Il est déjà arrivé que des policiers soient suspendus puis réintégrés, ou qu'ils soient limogés d'un commissariat et embauchés dans un autre. Ce qui est aussi nouveau dans ce cas, c'est que plusieurs autres chefs de la police à travers le pays ont condamné fermement l'action de ces policiers et soutenu le chef de police qui les a limogés. C'est très rare.
Comment expliquer la disproportion, une nouvelle fois, entre les faits reprochés à George Floyd et la violence de son interpellation?
Là encore, cette disproportion se manifeste plus souvent contre les Africains-Américains. L'inverse de Minneapolis, ce sont ces vidéos de suspects blancs très agités et violents qui sont maîtrisés avec beaucoup de professionnalisme et rigueur. Certains policiers américains baignent dans une culture de fascination pour la figure du justicier ou du cowboy, ce qui les autorise, dans leur psychologie, à intervenir de manière violente. Il faut ajouter à cela tout le processus de militarisation de la police qui a conduit au transfert de matériel de guerre vers les commissariats. Or le suréquipement provoque des dérapages. On a par exemple constaté qu'un policier qui n'était pas surarmé ne se comportait pas du tout de la même manière que lorsqu'il était casqué, muni d'une protection lourde, et surtout quand son visage était dissimulé.
Pourquoi les policiers sont-ils aussi rarement condamnés?
C'est déjà très rare qu'ils soient inculpés, et donc condamnés. Quand ils le sont, ce sont souvent des peines très légères et elles sont parfois commuées. Cela s'explique en partie par le poids des syndicats de police, qui permet aux policiers d'être très bien défendus. Il y a aussi le problème de la proximité entre la police et la justice, qui crée un déséquilibre des pouvoirs. Enfin, il faut rappeler que les policiers sont autorisés à utiliser la force s'ils se sentent en situation de danger immédiat. Or les termes juridiques font appel à la perception et au ressenti du danger, ce qui est très subjectif.