France: le choc sera (au mieux) effacé en 2022
by Bruno Cavalier, ODDO BHF AMMême si l’économie revient sur sa tendance pré-crise, il faudra attendre 2022 pour retrouver le niveau d’activité de 2019.
L’économie française a touché son point bas en avril. Elle opérait alors à 66% de ses capacités utilisées avant le confinement. A la fin mai, l’activité est revenue à 80% de ce niveau. Les indicateurs avancés suggèrent qu’en juin on pourrait approcher de 90%. Quant au seuil des 100%, il est improbable de le retrouver de sitôt, et à plus forte raison de le dépasser. D’une part, une certaine dose de restrictions subsistera pour limiter le risque sanitaire. D’autre part, le choc a été si violent que ses répercussions durables sur les facteurs de production (pertes d’emploi, faillites) sont à venir. Le rebond s’annonce donc vif mais incomplet.
Ce qui fait l’intérêt, mais aussi la difficulté, de l’analyse des cycles économiques est que chacun mêle des régularités (ce qui se répète d’une crise à l’autre) et des singularités (ce qui les distingue). Les régularités sont à la base de la prévision à court terme, les spécificités y ajoutent une marge d’incertitude. Nul ne niera que la crise actuelle est tout à fait unique, par sa cause (le confinement), sa sévérité (un multiple des pires crises du passé), sa soudaineté (quelques semaines) et dans la chaîne de réaction qu’elle a mis en branle. Il faut garder cela à l’esprit maintenant qu’on aborde la phase de reprise.
Quand le confinement a débuté le 17 mars, l’activité a chuté d’un tiers en moyenne, bien plus dans l’industrie et la construction. Idem pour les dépenses des ménages. Certaines restrictions ont été levées depuis le 11 mai. Quel sont les premiers effets de cette libération? Selon l’INSEE, au 27 mai, le niveau d’activité a rebondi de 12 points, la consommation des ménages de 26 points (graphe de gauche). A ce jour, l’industrie produit à 24% sous son niveau pré-crise (+14pts), la construction à 38% (+37pts), les services marchands à 25% (+11pts).
Du côté de la demande, le rebond est la suite logique de la réouverture de la plupart des commerces, à l’exclusion des restaurants, salles de spectacles et de nombreux lieux touristiques. Les ménages avaient été forcés d’épargner pendant deux mois, c’est-à-dire de repousser leurs dépenses en biens et services jugés "non-essentiels". Il y a un fort rattrapage; c’est logique mais ne nous renseigne guère sur les dépenses à plus long terme. La consommation dépendra comme toujours du revenu disponible et donc des conditions d’emploi. À ce jour, le revenu des ménages a été largement protégé par la mise en place d’un chômage partiel extensif et généreux. Selon le Ministère du Travail, au 26 mai, 12.9 millions de demandes d’inscriptions au chômage partiel ont été enregistrées (graphe de droite). Ce nombre n’a pas baissé depuis le 11 mai, sans doute parce que ni les écoles, ni les transports publics n’ont retrouvé des conditions normales, loin s’en faut.
Sans une amélioration notable dans ces deux domaines essentiels, et en amont sans une réduction de l’anxiété sanitaire, la remise en route de l’activité en France restera bridée.
Les dernières enquêtes de l’INSEE et de Markit, faites en majorité avant le 11 mai, montrent que le climat des affaires a commencé à rebondir. Cela reflète avant tout une nette amélioration des perspectives de production. Par contre, la confiance des ménages s’est encore un peu dégradée. Les craintes de chômage bondissent à des niveaux inédits depuis 2009 et 2012. Lors du retournement des cycles, il faut toujours plusieurs mois voire trimestres avant que les répercussions complètes se fassent sentir. Il est inéluctable que de nombreuses entreprises ne survivront pas. L’enquête de l’AFTE signale une dégradation de la trésorerie des entreprises. Quand certaines mesures d’urgence prendront fin, il y aura une vague de dépôts de bilan. Les PME, dont les effectifs sont surreprésentés dans le chômage partiel, sont les plus exposées.
Après quinze jours de déconfinement partiel, la situation économique est mitigée. Dans l’ensemble, les indicateurs avancés sont bien mieux orientés. Le rebond est visible dans la majorité des secteurs. La réouverture plus complète de l’économie, espérée en juin, devrait amplifier le phénomène. Il est probable que le troisième trimestre verra un taux de croissance à deux chiffres, mais au préalable, on aura enregistré au deuxième trimestre une chute de l’ordre de 15 à 20%. En supposant que l’économie revienne sur sa tendance pré-crise en fin d’année, il faudra selon nous attendre 2022 avant de retrouver le niveau d’activité de 2019.