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La réputation des entreprises est de plus en plus scrutée et évaluée avec diverses approches et sous divers prismes. - IStock

Réputation des entreprises : l'ère du bulletin de notes

Chronique La société réclame plus de transparence sur ce qu'accomplissent, ou pas, les entreprises en faveur des salariés, des clients ou de l'environnement. A l'instar de Glassdoor ou Moralscore, des services de notations voient le jour.

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Bien qu'il soit encore malaisé de tracer exactement les contours de son impact, la pandémie du Covid-19 pourrait contribuer à accélérer une tendance déjà plus que latente : la notation croissante de la réputation des entreprises sur des critères éthiques et durables. Ceci est d'autant plus envisageable que, pour la première fois au monde, la santé a globalement primé sur l'économie face à la propagation du virus .

Une chose est d'ores et déjà acquise : durant la crise sanitaire, les entreprises ont redoublé d'attention dans leur manière de communiquer auprès de leurs différents publics. Il a fallu osciller entre la nécessité de ne pas disparaître des radars pour tenter de maintenir tant bien que mal les ventes et l'exigence d'apparaître comme solidaire et responsable mais sans opportunisme mercantile déplacé ou effet d'aubaine abusif. Hormis quelques exceptions qui se sont pris les pieds dans le tapis, aucun abus manifeste n'est à déplorer. Pour autant, l'équation délicate perdure. La réputation est de plus en plus scrutée et évaluée avec diverses approches et sous divers prismes.

Le cadre s'élargit

Dans l'édition 2019 de sa lettre annuelle toujours très commentée, Larry Fink, PDG de Black Rock, plus grosse société d'investissement financier sur la planète, avait exhorté les entreprises à exercer et élargir leurs responsabilités environnementales et sociétales  : « La société, usée par les grands changements qui ont lieu au sein de l'économie et par l'incapacité des gouvernements à fournir des solutions pérennes, s'attend de plus en plus à ce que les entreprises, publiques comme privées, s'attaquent aux problèmes sociaux et économiques les plus urgents […] Alimentée en partie par les réseaux sociaux, la pression du public sur les entreprises s'accroît et se propage dorénavant plus vite […] Les entreprises qui accomplissent leur raison d'être et leurs responsabilités envers leurs parties prenantes en récoltent les fruits à long terme ; celles qui les ignorent trébuchent et échouent. Cette dynamique devient de plus en plus évidente à mesure que les exigences du public pour les entreprises s'accroissent ».

Remises dans le contexte de crise du coronavirus que la planète subit encore, ces lignes n'ont rien d'anodines. Bien que d'aucuns persistent çà et là à revendiquer le « business first » comme ligne de conduite irréductible de leur entreprise, confinement et pandémie ont rebattu des cartes. Pour s'en convaincre, il suffit de se référer à l'énorme polémique sur les masques sanitaires qui a éclaté au sujet des capacités de production déficientes de la France. Il n'y a pas si longtemps, peu de dirigeants se préoccupaient de savoir où et par qui étaient fabriqués ces accessoires devenus soudainement urgents. Tellement urgents que les mots de « souveraineté industrielle » et « relocalisation » ont à nouveau jailli dans le débat, soulignant ainsi que l'entreprise ne pouvait plus se contenter d'être un agent purement économique, mais bien un acteur avec des responsabilités éthiques et durables étendues.

Des chiffres et des notes

La pandémie du Covid-19 va sans nul doute réactiver cette exigence déjà contenue en substance dans les notions de développement durable, de responsabilité sociétale et de raison d'être des entreprises. Il ne s'agit plus désormais de faire des mesurettes « vertes » ou des effets d'annonce pour être perçu comme responsable en tant qu'entreprise. La société - au sens large du terme - entend disposer de plus de transparence et de concrétude sur ce qu'accomplissent vraiment (ou pas) les entreprises. Et le meilleur moyen d'y parvenir est d'attribuer des scores et des jauges sur ce qui est réellement fait… ou pas !

C'est dans cette optique que n'a cessé de grandir l'influence de B Corporation en termes de référent absolu. Fondé en 2006 aux Etats-Unis, ce mouvement accompagne et certifie les entreprises qui souhaitent faire progresser leur impact positif en étant évaluées sur leur performance globale tous les trois ans. Aujourd'hui, plus de 3.000 entreprises dans le monde (dont 600 en Europe et plus de 100 en France) ont décroché le label B Corp et sa vision holistique exigeante. Un label qui est loin de s'obtenir facilement. Il faut passer par un exhaustif questionnaire en ligne de 200 questions autour de 5 thèmes : gouvernance, collaborateurs, communauté, environnement et clients. Sur 70.000 entreprises qui ont passé l'examen, moins de 5 % ont réussi à avoir la note impérativement requise de 80 .

M. et Mme Lambda évaluent aussi

Au-delà de ce type de processus encadré et rigoureux, d'autres services de notations des entreprises ne cessent de voir le jour. Avec une idée constante : ne plus se contenter des discours de façade mais procurer des éléments chiffrés de notation qui éclaireront la réputation d'une entreprise sous un autre jour.

Depuis 2015 en France, la plateforme web américaine Glassdoor propose aux collaborateurs actuels, ou anciens de moins de trois ans, d'évaluer leur environnement de travail selon la progression des salaires, les conditions de travail, la qualité du management, l'évolutivité des carrières. Dans son palmarès des meilleurs employeurs en France 2019 , le site a ainsi distingué Salesforce et Hermès, qui ont tous les deux reçu la note de 4,4 sur 5 avec notamment une mention sur les bien-être des salariés.

Fin 2018, un autre acteur s'est également lancé sur le créneau de la notation des entreprises. Il est tricolore et s'appelle Moralscore. Sa proposition de valeur est plutôt inédite : établir grâce à son algorithme une liste de plusieurs dizaines de critères éthiques (en partant de bases de données et de rapports disponibles publiquement) pour chaque secteur d'activité et les sociétés qui s'y rattachent. C'est ainsi qu'entrent en compte des items comme le paiement de l'impôt société en France, la juste rémunération de ses fournisseurs ou encore le niveau de protection sociale des salariés. A l'autre bout de l'application, l'utilisateur sélectionne un domaine d'activité et indique les valeurs qui lui sont les plus importantes. Lui est alors envoyé un classement issu du croisement de ses préférences et de la notation moyenne opérée par Moralscore.

Il n'y aura pas de marche arrière

Ces initiatives où la note est le pivot pour évaluer la réputation effective d'une entreprise (ou ses marques) indiquent clairement qu'une appétence de plus en plus éthique et durable est train de s'accentuer. Au même titre que les restaurants, les hôtels et autres acteurs du tourisme ont été les premiers à se faire noter en fonction de la perception et de l'expérience de leurs clients, les entreprises entrent de plus en plus dans cette spirale chiffrée susceptible en permanence d'être remise en cause ou au contraire améliorée.

Pour Alban Peltier, PDG d'Antvoice, une start-up spécialisée dans le ciblage marketing digital, il va s'agir dorénavant de montrer patte blanche sur ce que l'entreprise apporte à la société au-delà de ses produits et ses services  : « Le néoconsommateur post-covid 19 deviendra Raisonnable, Réfléchi, Responsable et Respectueux. La marque suivra le mouvement et s'appliquera également ce concept des 4 R ». Même si les facteurs prix et expérience client resteront des indicateurs influents pour la réputation, la sensibilité du corps sociétal s'accroît toujours plus et peut faire bouger les lignes réputationnelles.

Olivier Cimelière est directeur adjoint d'ESJ Pro Entreprise

@olivcim