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Les énergies renouvelables enrichissent quelques promoteurs visés mais ne présentent aucun intérêt industriel ou énergétique. Photo © Pascal GUYOT / AFP

Croissance verte : Quand Greta s’allie aux requins, bonjour les dégâts

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Moteur de la transition écologique, la croissance verte est une forfaiture, qui enrichit quelques hommes d’affaires et favorise les projets des écologistes radicaux.

S’il fallait donner à voir la « croissance verte » en une image, on pourrait dire que c’est un trader qui serre la main à un zadiste. Ce nouveau concept à la mode, qui semble parfois être l’autre nom du Bien, cache en fait l’alliance du capitalisme mondialisé et de l’écologie radicale. La croissance verte offre à certains des rendements à 12% en même temps qu’elle accélère le déclin de la vieille Europe. Un business florissant et un projet mortifère : le mélange paraissait infaisable. La “croissance verte” l’a fait.

“Croissance verte”, la formule magique

Au départ, pourtant, ce n’était qu’une formule, presque un tour de passe-passe sémantique. On est à la fin des années 1990, Greta Thunberg n’est pas encore née mais les écologistes les plus clairvoyants réalisent que leur projet de sobriété heureuse ne convainc personne. La décroissance (car c’est déjà de cela qu’il s’agit) est trop contraire à l’aspiration au confort qui caractérise encore la population européenne. Il faut trouver autre chose. Ce sera la “croissance verte”. En gros le message est le suivant : on fait comme d’habitude, on ne renonce pas au chauffage, à la voiture et au supermarché mais on fait ça en mieux, on ne pollue plus, on gâche moins etc.

Qui serait contre ? « S’il s’agit d’essayer de donner, à l’horizon 2050, un niveau de vie correct à neuf milliards de personnes en évitant de saccager l’environnement, je crois que tout le monde est d’accord », note Michel Negynas, qui a passé l’essentiel de sa carrière d’ingénieur à développer les questions d’écologie au sein de grands groupes industriels. Mais il y a un problème, comme souvent avec les bons slogans, c’est le flou. « Croissance, c’est quoi ? Et surtout vert, c’est quoi ?, questionne le spécialiste. Dire que quelque chose est intrinsèquement vert n’a pas de sens. Pour prendre des exemples concrets, on peut produire de l’acier de manière très propre et des éoliennes de façon dégueulasse… »

Car, évidemment, le flou entourant cette question de ce qui est vert et ce qui ne l’est pas n’a pas profité à tout le monde. Une ligne de démarcation s’est rapidement mise en place pour séparer le bon grain de l’ivraie. D’un côté le naturel, le bio, le vent, le soleil, la frugalité, le local, le vélo ; de l’autre la chimie, l’industrie, le nucléaire, l’agriculture conventionnelle, la voiture, l’avion etc. Aussi peu fondée que puisse être cette ligne de partage, elle s’est fortement imprimée dans l’imaginaire des sociétés occidentales.

Un système très vite perverti

Comme tout système arbitraire, ce classement en vert/pas vert s’est rapidement trouvé perverti. « Au Grenelle de l’environnement, un groupe comme Vinci s’était servi du soutien donné à la croissance verte pour licencier les employés des péages et les remplacer par des automates, se souvient Gil Rivière-Wekstein, spécialiste des problématiques agricoles. Les voitures passaient moins de temps devant la barrière, elles émettaient moins de gaz, c’était bon pour l’environnement, donc c’était subventionné. » Comme si remplacer des humains par des machines pour un travail de ce type devait nécessiter un label « écologiste » et des subventions publiques. « Cette histoire assez savoureuse donne bien à voir ce que peut recouvrir cette croissance verte », continue Gil Rivière-Wekstein.

Qu’ils se trouvent a priori du mauvais côté de la barrière, comme le géant du BTP Vinci, ou du bon côté, comme les constructeurs d’éoliennes, les industriels ont vite compris la règle du jeu que l’air du temps leur imposait : mettre autant de couches de vert que nécessaire et, pour le reste, “business as usual” : continuer leurs affaires. “Croissance verte” est devenu un label, un laisser-passer pour continuer à travailler ou, pour les plus habiles, un tampon destiné à recueillir de l’argent ou de la notoriété, les deux allant souvent ensemble. Tant pis pour l’hypocrisie, le mensonge parfois, tant pis même pour la vacuité du but prétendument poursuivi. Le mot d’ordre « en vert pour la planète » ne se discutait même plus.

Parmi toutes les entreprises ayant d’emblée été classées comme œuvrant à l’avènement de ce nouveau monde, les sociétés d’éoliennes ou de panneaux solaires (les énergies dites « renouvelables » – là encore une définition arbitraire) ont su admirablement tirer leur épingle du jeu. Etant “vertes” par décret fondateur, elles ont pu se concentrer sur “croissance” en soutirant tout ce qu’elles pouvaient de subventions à des Etats désormais soumis. Le résultat est brillant.

Les huit mille éoliennes françaises ont bénéficié de 120 milliards d’euros d’argent public, elles ne produisent que 5% de l’électricité française.

Prenons-en une au hasard. Neoen, par exemple. Photovoltaïque, éolien, stockage, grande ferme solaire près de Bordeaux. Neoen est une boîte française, cotée en bourse, ce qui permet d’avoir accès à un certain nombre d’informations, chose rare dans ce domaine où l’opacité prévaut ; on découvre ainsi que Neoen est l’une des rares sociétés à ne pas avoir vu son cours se dégrader à l’occasion de la crise sanitaire mondiale. Quand on se nourrit de vent, de soleil et d’argent public, on ne craint rien. On apprend aussi que, pourtant présente dans une quinzaine de pays, Neoen n’emploie même pas 200 personnes… dont seulement 4 experts techniques ! Inutile de compter sur elle pour renforcer le tissu industriel français. « Ce sont des promoteurs, rien d’autre, tranche Lionel Taccoen, ancien grand cadre d’EDF. Ils cherchent les bonnes affaires, les marchés juteux, les législations les plus souples et ils sous-traitent au maximum. » Maison-mère « diluée » en dizaines de petites filiales, avocats de haut rang, financiers hors-pair, ouvriers polonais ou hongrois, terrains acquis pour des bouchées de pains, électricité vendue deux fois et demie le prix du marché : de quoi assurer des rendements en or. Et tout est légal puisque le droit a été réécrit pour eux : on est priés d’applaudir les artistes !

Comme le martèle Jean-Louis Butré, président de la Fédération environnement durable (Fed) et farouche opposant à l’éolien, « les huit mille éoliennes françaises ont bénéficié de 120 milliards d’euros d’argent public, elles ne produisent que 5% de l’électricité française, une électricité qui n’est disponible qu’un jour sur cinq mais qui est prioritaire sur le marché, et rachetée très cher par l’Etat… » Le résultat industriel est nul (les éoliennes sont danoises ou allemandes comme les panneaux solaires sont chinois), les dommages environnementaux importants, l’irritabilité sociale au plus haut. Et grimpe la facture d’électricité ! Plusieurs enquêtes, notamment parlementaires, ont éclairé ce qui s’apparente à un scandale d’Etat, Emmanuel Macron lui-même avait senti le vent tourner : rien n’y fait. En pleine crise sanitaire, où la fragilité industrielle française est apparue au grand jour, nos gouvernants ont décidé d’ouvrir la voie à un doublement du nombre d’éoliennes en France, dans le seul objectif de passer sur le corps de notre industrie nucléaire, cette ancienne fierté aujourd’hui en lambeaux.

Entrent les zadistes

Et c’est précisément là que l’on retrouve le zadiste, la jeune Greta Thunberg ou Nicolas Hulot. Contrairement à certains de leurs aînés en écologie, eux n’ont jamais cru (ni même feint de croire) à l’idée d’une croissance qui puisse être verte. Que le progrès technique et scientifique, bien utilisé, puisse être bon pour l’environnement et pour l’homme, que la croissance économique, industrielle soit écologique par définition est quelque chose qu’ils n’accepteront jamais. La recherche d’un équilibre entre le matériel, le social, l’environnement, que poursuivent états, entreprises ou particuliers, leur est étrangère. Le compromis ne fait pas partie de leur vocabulaire.

« L’écologie radicale ne veut pas de quelque chose dont s’accommode le système, confirme Michel Negynas. Elle veut une société totalement écologiste qui renverserait ce système. » Les zadistes ne veulent donc pas d’une croissance verte : ils veulent du vert (teinté de rouge) partout et la décroissance pour tous. Ainsi les hommes d’affaires de l’éolien et du solaire sont leurs ennemis naturels mais ils se gardent bien de le clamer partout car ils ont compris. Ils ont compris que ces promoteurs rusés et gloutons mènent le pays où ils souhaitent eux-mêmes le mener : vers le gouffre.

Car ce qui est vrai pour le secteur crucial de l’énergie et qui nous vaudra bientôt quelques pannes géantes, l’est aussi pour l’agriculture, le transport, le commerce. Remplacer tout ce qui fonctionne par un système plus coûteux et moins efficace, mais toujours au nom de la croissance verte. Exit le nucléaire, le pétrole, le charbon et le gaz. Exit les camions, les avions. Exit aussi les tracteurs ! Comme le suggérait récemment Dominique Bourg, pour le « jour d’après », il faudrait commencer par renvoyer les hommes dans les champs. Le grand sociologue en réclame sept millions, rien que pour la France. Et ceux qui ne veulent pas ? Dominique Bourg n’en dit rien mais il n’est nul besoin d’être prophète pour deviner le sort qui les attend. Comme il faudrait être fou pour ne pas vouloir sauver la planète, les réfractaires auront le choix entre l’asile et le camp. Vous n’y croyez pas ? Patience. Sur le chemin de la croissance verte, la longue marche ne fait que commencer…