Enseignement à distance ou cours à distance ?

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Au Maroc comme dans beaucoup d’autres contrées, suite à l’expansion de la pandémie du coronavirus et la nécessité de restreindre les déplacements et les regroupements de la population et réduire autant que possible l’activité sociale, la vie scolaire n’a pas fait l’exception. Ainsi, presque tous les systèmes éducatifs dans les différents pays du monde se trouvent - bon gré mal gré - contraints à recourir à la potion magique que représente ‘’l’enseignement à distance’’ comme ultime issue afin d’assurer ,dit-on, la continuité du processus enseignement apprentissage, de garantir une certaine progression relative à l’acquisition de nouvelles connaissances, favoriser autant que possible la perpétuation des apprentissages et aspirer au développement des compétences, et ce de la maternelle jusqu’au supérieur. Nombreuses sont par la suite les réactions des uns et des autres qui ne cessent de surgir et qui viennent ou bien louer les bienfaits et les avantages d’un tel choix et d’une telle décision ou au contraire la mettre en doute en insistant notamment sur ses limites en dépit des efforts déployés à cet égard. Moult interrogations, dans cette perspective, se sont déjà dégagées et vont continuer de se manifester pendant un certain temps quant à la nature, la progression et la portée de cette nouvelle action/pratique plus au moins efficacement entreprise.
Il importe de prime abord de signaler que le concept d’enseignement à distance sous ses différentes formes n’est pas du tout récent. Il s’agit là d’une pratique que beaucoup de pays adoptent parallèlement au déroulement normal de l’action éducative en présentiel dans les établissements scolaires soit pour maintenir et corroborer une forme autonome d’apprentissage à domicile après les cours formels, soit pour servir et répondre aux besoins des élèves dans les zones les plus reculées en garantissant une interaction leur permettant de bénéficier amplement d’un enseignement adapté, durable et concluant. Outre la télévision scolaire (en dépit des remarques que l’on pourrait souligner à son égard) présentant dans cette vision un modèle général ciblant tous les cycles et toutes les matières mais ,inévitablement, en l’absence d’une certaine planification progressive, le contexte marocain a bel et bien connu un autre modèle, dans le cadre du programme ‘’GENIE’’ malheureusement non généralisé au début de son adoption comme expérience voire inachevé subitement et complètement par la suite; en l’occurrence: ‘’La télévision interactive’’ qui constitue une forme d’enseignement à distance par excellence dont pourraient tirer profit principalement les élèves du monde rural et auquel on aurait dû recourir actuellement et pourquoi pas ultérieurement sous prétexte que sa conception et sa finalité soient réajustées, réorientées et redéfinies…
Par ailleurs, il est incontestablement vrai que le recours à l’opération d’enseignement à distance n’est arrêté, sans atermoiement, que suite à des conditions préventives et des circonstances objectives imposées par la pandémie ’’Covid-19’’ sans aucune réflexion sereine ni préparation minutieuse au préalable, ce qui a conduit par conséquent à une certaine ruée invitant à marier précipitamment la didactique à la technologie et à l’audiovisuel dans le dessein d’enfanter des cours plus au moins adaptés, plus au moins cohérents, plus au moins réussis uniquement pour combler un vide et pallier une carence.
Il est toujours vrai, de surcroît, que cette opération adoptée par le ministère de l’Education nationale a connu certaines contraintes technologiques telles que:
- La carence quant à la possession par des familles des outils et moyens technologiques les plus indispensables,
- Le manque de généralisation d’une connexion internet avec un débit suffisamment convenable surtout lors des moments du pic,
- La non maîtrise par beaucoup de monde (parents, enseignants et élèves) des habilités technologiques les plus fondamentales et les plus nécessaires.
Or, il est évident que la réussite de toute ‘’action à distance’’ digne de porter le nom d’enseignement est inéluctablement tributaire de deux conditions majeures, à savoir :
1- La capacité de cibler et toucher tous les bénéficiaires dans le respect absolu et inconditionnel de l’équité et de l’égalité des chances comme valeur éducative incontournable entres tous les apprenants des différents cycles sans aucune distinction d’ordre socioéconomique, socioculturelle, régionale ou autres. C’est d’ailleurs dans ce sens que Philipe Mérieux évoque dans un récent entretien publié le 12/04/2020 les inégalités scolaires qu’un tel enseignement risque d’engendrer (https://www.leberry.fr/bourges
18000/actualites/pour-philippe-meirieu-specialiste-des-sciences-de-l-education-lecole-a-distance-doit-rester-collective_13777987/). Le rapport du Haut-commissariat au plan sur l’opération de ‘’l’enseignement à distance’’ (https://lakome2.com/decryptage/181755), rappelle ,quant à lui, que 29 % des élèves du monde rural n’ont bénéficié d’aucune action en leur faveur. Le rapport en question révèle, dans ce cadre, des données quantitatives qu’il faut bien méditer, analyser et exploiter sur le taux des familles ayant pu effectivement bénéficier de cette opération qui demeure pour le moins insatisfaisante. (Une fois quantifié le nombre d’enfants bénéficiaires de cette action et non pas le nombre de familles, ce taux sera certainement plus élevé …). L’étude menée par M. Abdennasser En Naji sur la période allant du 24 mars au 20 avril selon
(https://www.hespress.com/societe/471278.htm) montre une très faible fréquentation de la plateforme ‘’telmidtice’’ par les élèves et que les visites généralement effectuées restent très courtes et ne durent que quelques instants, ce qui ne favorise pas bien évidemment une implication autonome d’autoapprentissage.
2- La capacité de mesurer l’impact de l’action entreprise et estimer par la suite les répercussions des dispositions et des mesures prises en compte à un moment donné. Afin de pouvoir avancer ainsi et surmonter tout ce qui pourrait entraver cette expérience, il reste nécessaire de songer à évaluer 
objectivement et perpétuellement - ne serait-ce que pour des raisons principalement empiriques - les acquisitions/apprentissages censés être construits tout au long de la période du confinement car il semble inopportun de continuer de véhiculer des chiffres plus au moins réels, plus au moins crédibles (quantification) dans l’unique but d’édifier et de véhiculer un succès chimérique et louer une réussite éphémère et incertaine sans prêter ,en revanche, la même préoccupation à l’aspect qualitatif qui mérite également d’être sondé, estimé et pérennisé.
Toujours dans le cadre de l’opération ‘’enseignement à distance’’ entreprise actuellement, Il va sans rappeler qu’un processus d’enseignement apprentissage pour qu’il soit opérant, fiable, efficace, rentable, productif… doit inévitablement se caractériser entre autres par:
1- La globalité: Le fait de toucher tout un programme, donc toutes les matières, toutes les leçons d’un cours donné et ne plus se contenter de leçons en îlots, sélectionnées presque sans lien ni complémentarité entre elles. Il faut que chaque manoeuvre puisse se fonder sur la précédente et préparer la suivante dans une cohérence logique et une régularité indispensable à l’intérieur d’un programme donné.
2- La progression: Sans aucune planification périodique, hebdomadaire ou quotidienne susceptible de baliser le parcours en termes d’objectifs réalistes et réalisables, tout effort risque de ne jamais aboutir. Une acquisition reste par essence un cumul d’expériences, de connaissances, de savoirs, d’habiletés, d’attitudes qui doivent se réaliser progressivement selon une cadence prédéterminée tout en prenant en compte la particularité de ce genre d’enseignement.
3- L’interaction: Dans son acception la plus simple, la plus réduite et la plus directe, un ‘’enseignement’’ n’est que la ‘’facilitation d’un apprentissage’’. Il s’agit là effectivement pour l’enseignant ,d’une part, de sélectionner des objectifs, des contenus, des activités, des démarches, des moyens, des styles et des modes d’intervention pouvant aider l’apprenant à progresser merveilleusement - selon son propre rythme - dans la construction de son savoir, savoir-faire ou savoir-être… et ,d’autre part, pouvoir assurer même à distance une interaction - audiovisuelle et verbale - déterminante verticalement (enseignant/enseigné) et horizontalement (enseigné/enseigné) car c’est par le biais de l’échange, de la rétroaction de la confrontation des représentations dans un conflit socio cognitif que s’illumine l’esprit, se dévoilent les notions, jaillit la connaissance, se clarifie la perception et se construit le savoir.
4- L’évaluation: Elle doit demeurer principalement formative et formatrice à travers laquelle, l’enseignant et l’apprenant parviennent à s’informer instantanément ou en différé sur la progression dans un apprentissage en fonction de la spécificité de la matière et la nature de l’objectif fixé. Pouvoir, en revanche, intervenir en temps réel pour rappeler, orienter, motiver, expliciter, gratifier, encourager, conseiller, reste par conséquent une action indiscutablement payante que doit assumer l’enseignant et sans laquelle l’apprenant ne fait que se livrer à lui sans savoir à quel saint se vouer…
Le fait de ne jamais pouvoir recenser le nombre d’élèves ayant pu certainement recevoir, consulter, travailler, réussir même partiellement un cours envoyé sous un format quelconque (Fascicules, PDF, PPT, Audio, Audiovisuel…) que ce soit après sa diffusion sur la télévision ou à travers les différents réseaux sociaux ne permet aucunement d’avancer qu’il s’agit d’une action enseignante proprement dite. Nombreux sont les manuels scolaires et les différents ouvrages bourrés de contenus scolaires allant de la maternelle au supérieur qui sont à la disposition de l’élève, nombreux sont les contenus numériques à caractère éducatif empilés et éparpillés partout sur le net, que tout le monde pourrait consulter indépendamment et en tirer profit dans le cadre d’un autoapprentissage ou d’une autoformation mais sans pouvoir pour autant oser confondre une telle réalité à une pratique institutionnelle, intentionnée, planifiée, progressive et mise en exécution graduellement que l’on intitule ‘’enseignement à distance’’.
Durant la période du confinement, on note des initiatives fort encourageantes principalement menées par des professeurs du lycée ou du collège ainsi que par quelques enseignants du primaire (surtout à la 6 ème AEP) qui ont pu effectivement utiliser des plateformes facilitant davantage d’interactions (Teams, Zoom, google.classroom, WhatsApp…), ce qui a permis de parler sans équivoque et sans réticence d’une pratique d’enseignement à distance qui mérite dans ce cadre d’être louée, analysée et pourquoi pas institutionnalisée ultérieurement…. Des établissements d’enseignement privé, quant à eux, - sans extrapolation bien évidemment - ont apparemment récolté plus de succès dans cette option par rapport à plusieurs établissements publics… Ce sont certes des cas estimables, des initiatives engagées et des décisions inhabituelles qui se manifestent positivement et avec détermination en quête d’une réussite convoitée face aux défis divers. 
Elles restent nonobstant des exceptions qui ne feront jamais la règle dans l’attente d’une contagion technologique en espérant qu’elle touche la plupart des acteurs éducatifs notamment avec la création de plus en plus de plateformes variées dans cette perspective (koolskools, quizinière, learningApps….) qui proposent des techniques et des astuces non seulement pour l’installation des classes virtuelles, la production et le partage des contenus numériques mais également pour l’évaluation, l’accompagnement et l’assistance des élèves. Bref, elles facilitent davantage une interaction immédiate ou différée, directe ou indirecte qui ne serait en effet qu’en faveur d’un vrai ‘’enseignement à distance’’ intelligemment délibéré et agréablement mené dont les répercussions ne sauraient être que fructueuses. Reste à signaler que le questionnaire établi par l’inspection générale, destiné récemment aux différents acteurs éducatifs y compris les parents d’élèves et qui vise l’évaluation de cette expérience ‘’d’enseignement à distance’’, ne répond que partiellement à l’interrogation qu’essaie de mettre en lumière le présent article puisqu’il ne se contente que de sonder les positions, les observations, les avantages, les contraintes et les propositions sans aller plus loin et tenter de jauger le pertinence de cette pratique et ses retombées à travers le recensement, la quantification et l’analyse de son étendue (régions, cycles, rural, urbain), de sa couverture (niveaux, matières, cours, objectifs, contenus) ou de sa portée et de son ancrage (degré de développement et de fixation des performances sollicitées).
En guise de conclusion et pour réagir à la question constituant le titre de cet article, sans évoquer les merveilleuses et agréables initiatives qui ont pu enregistrer une avancée incontestable dans ce sens et sans faire allusion aux situations éducatives dont l’interaction constitue prioritairement, consciemment et pratiquement une pièce maîtresse, nombreux sont ceux et celles qui vont continuer de défendre inconditionnellement l’idée selon laquelle cette pratique même sans aucune interaction est bel et bien une pure incarnation de ‘’l’enseignement à distance‘’ au moment où bien d’autres voient clairement qu’il ne s’agit en fait que de simples et chétifs ‘’cours à distance’’ ni plus ni moins, dont la portée reste en définitive inopérante, limitée, sinon fallacieuse.

  * Inspecteur de l’enseignement 
primaire Khémisset