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Le déconfinement n’avait pas encore commencé que déjà on entendait des entreprises se plaindre d’avoir du mal à convaincre certains employés de revenir au travail.Photo: Associated Press

Analyse: l’aide aux chômeurs et le «triangle d’impossibilité»

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Les programmes d’aide d’urgence des gouvernements, adoptés en réponse à la pandémie de COVID-19 et à l’impact de leurs propres règles de confinement, ont suscité un engouement presque immédiat d’un peu tout le monde au Canada.

La Prestation canadienne d’urgence (PCU) et son rejeton destiné aux étudiants privés d’emploi d’été (PCUE) ont été de ces mesures saluées pour leur simplicité et leur rapidité d’action à un moment où il y avait lieu de craindre les effets économiques et sociaux dévastateurs d’un arrêt forcé de pans entiers de l’économie.

Certains ont vu dans ces transferts financiers — pas vraiment inconditionnels ni universels, mais relativement larges et substantiels malgré tout — une étape importante pouvant mener à la mise en place permanente d’un revenu minimum garanti. Des experts avaient beau rappeler le caractère exceptionnel des circonstances et les écueils à long terme de telles mesures, tout cela apparaissait comme des considérations bien lointaines et théoriques.

Pourtant, le déconfinement n’avait pas encore commencé que déjà on entendait des entreprises de secteurs essentiels se plaindre d’avoir du mal à convaincre certains de leurs employés de revenir au travail au lieu de rester à la maison tout en continuant de toucher leurs chèques de la PCU. Cette inquiétude chez les employeurs se fait de plus en plus pressante à mesure que des secteurs économiques émergent du coma artificiel dans lequel on les avait plongés.

Un frein « astronomique »

Une simulation de l’impact de l’aide d’urgence sur les revenus des travailleurs conclut à « une incitation quasiment jamais vue à ne pas retourner au travail : le travailleur perd de l’argent en augmentant ses heures ou en entrant sur le marché du travail », rapporte une analyse préliminaire de la Chaire de recherche sur les enjeux économiques intergénérationnels (CREEi), qui doit être dévoilée vendredi. Cet impact « astronomique » a été observé, en fait, sur les travailleurs les plus modestes, un célibataire sans enfant qui renonce, par exemple, à la PCU (2000 $ par mois) pour un emploi à temps plein (35 heures par semaine) au salaire minimum (13,10 $ l’heure) y perdant plus de 900 $ au change. Un étudiant faisant de même cet été au lieu de se contenter de la PCUE (1250 $ par mois) travaillerait, quant à lui, pour l’équivalent de 1,59 $ l’heure.

Ces effets disparaissent graduellement à mesure que le salaire horaire augmente, expliquent les chercheurs. Ils étaient aussi connus des gouvernements, qui ont décidé de passer outre compte tenu du problème extraordinaire (et temporaire) auquel ils faisaient face.

Ils illustrent, disent-ils, le « triangle d’impossibilité » auquel fait face n’importe quelle forme de soutien au revenu, c’est-à-dire qu’elle « ne peut être à la fois généreuse pour les plus démunis (sans revenus d’emploi), peu coûteuse pour les trésors publics, et inciter au travail. Il est impossible de réaliser tous ces objectifs à la fois. Un difficile équilibre doit être trouvé ».

L’aide à venir

Ayant profité jusqu’à présent à 8,25 millions de personnes pour une facture totale estimée à plus de 40 milliards, la PCU arrivera au terme de sa phase initiale en juillet. Le premier ministre Trudeau a indiqué cette semaine que de l’aide aux travailleurs continuera d’être nécessaire, mais il a laissé entendre qu’Ottawa préférerait qu’elle passe désormais principalement par un autre programme, celui-là de subvention des salaires des entreprises s’étendant jusqu’à la fin d’août et dont le coût a été estimé à 73 milliards.

Une sorte de PCU devra quand même être reconduite, a toutefois expliqué le président du Conseil du Trésor, Jean-Yves Duclos, sans toutefois en dire plus sur ses conditions exactes.

Il faudrait qu’elle soit moins généreuse et qu’elle vienne en complément aux autres mesures existantes, nouvelles et anciennes, comme l’assurance-emploi, recommandent les experts de la CREEi.

D’un autre côté, le prochain portrait de l’emploi nous montrera probablement encore une fois, la semaine prochaine, que les premières et principales victimes économiques de la pandémie de COVID-19 sont les travailleurs les plus modestes et les plus vulnérables. C’est-à-dire ceux-là mêmes à l’égard desquels on craint, aujourd’hui, d’être trop généreux.

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