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TVA Sports a proposé dans les derniers jours la diffusion des quatre victoires de la Coupe Stanley consécutives remportées par les Canadiens de Montréal de 1976 à 1979 (notre photo).Photo: La Presse canadienne

Nostalgie sportive, chercher au-delà du résultat

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Quand pratiquement toutes les ligues sportives du monde ont dû repousser ou annuler leur saison respective, et que même les Jeux olympiques de Tokyo ont été déplacés d’un an, les diffuseurs impliqués ont rapidement décidé d’ouvrir leurs boîtes d’archives pour combler une partie des trous de leurs grilles, en bonne partie par nécessité. Mais si le souffle de la nostalgie sportive peut être porteur, celle-ci peut aussi s’essouffler rapidement.

Les sportifs de salon auront pu se replonger ces dernières semaines dans différents événements. Après avoir présenté des matchs Canadiens-Nordiques, TVA Sports a par exemple proposé dans les derniers jours la diffusion des quatre victoires de la Coupe Stanley consécutives remportées par les Canadiens de Montréal de 1976 à 1979. RDS, de son côté, a aussi multiplié les archives de hockey, mais aussi de golf et même de mini-putt, au grand plaisir des fans du célèbre « birdie ! » de Serge Vleminckx. Quant à Radio-Canada, le diffuseur lance le samedi 30 mai Souvenirs olympiques, une série de 14 épisodes.

« La nostalgie prend tous les objets, et le sport est privilégié », lance au bout du fil l’anthropologue, auteur et animateur radio Serge Bouchard. L’homme de 72 ans est un amateur de la chose sportive — un indécrottable fan du Canadien — et aussi un grand nostalgique devant l’éternel.

« J’ai vu jouer Maurice Richard », dit lentement Bouchard de sa voix vibrante. Il laisse passer une petite seconde. « Quand on dit une phrase comme ça, ça peut paraître simple. Mais pour les gens qui connaissent le sport, qui en sont passionnés, c’est une phrase qui tombe comme un coup de tonnerre. J’ai vu jouer Maurice Richard, c’est de la nostalgie pure. Je revois dans ma tête les images en noir et blanc du hockey de l’époque, où on présentait une seule période. Tout le monde était excité quand on était petits garçons. »

Mon analogie n’est pas très bonne, mais c’est un peu comme quelqu’un qui est sorti avec une fille quand il était jeune, et qui la revoit 25 ans plus tard. Sur le coup, c’est l’"fun", tu as ben des affaires à te dire, mais au bout d’une heure et demie, tu commences à manquer de contenu!— Robert Turcotte

Équipe, émotion et histoire

Tous s’entendent sur un point : l’attrait principal du sport, c’est de ne pas savoir le résultat final. Parce que comme le dit l’adage, c’est pas fini tant que c’est pas fini. Alors à quoi bon revoir des moments sportifs dont on connaît la conclusion ?

« Le sport nous divertit et nous fait vivre de grandes émotions, affirme dans un courriel au Devoir la direction de TVA Sport. Nous souhaitons tous revivre les prouesses offensives de Guy Lafleur ou les arrêts spectaculaires de Patrick Roy. »

Catherine Dupont, première directrice des sports à Radio-Canada — qui est derrière Souvenirs olympiques —, croit aussi que le pointage final ne dicte pas tout. « Pour moi, l’écoute d’une performance sportive, c’est toujours lié à de l’émotion, et probablement que présentement, on est en manque de cette émotion-là. On n’a plus de nouveaux moments sportifs à se mettre sous la dent, c’est sûr, et donc on cherche à retrouver ça. »

Et chez RDS comme à Radio-Canada et à TVA Sports, les demandes viennent même du public. « Ce rapport nostalgique des Québécois se fait sentir dans nos cotes d’écoute ainsi que par l’engagement des fans et les interactions sur nos médias sociaux », explique TVA Sports, qui estime que les auditeurs étaient « contents de revoir leurs anciennes idoles et leurs équipes tant adorées ».

La notion d’équipe est en effet une carte clé, explique Serge Bouchard, qui note chez l’humain une tendance à l’« adhésion irrationnelle », voire « totémique » à des clubs. Il ajoute que si « le sport a toujours été une représentation symbolique de quelque chose de passionnant et de passionné », la nostalgie, elle, « est une petitebombe atomique ».

Catherine Dupont, de Radio-Canada, croit aussi que le sport « marque le temps », surtout les grands moments, comme les Olympiques, qui ne reviennent que tous les deux ans, toutes saisons confondues. « Comme c’est grandiose et mondial, on s’en souvient. On se souvient où on était, comment on l’a vécu, ce sont tous des moments qu’on veut revivre. » L’émission Souvenirs olympiques montrera notamment la victoire d’Alexandre Despatie à Pékin en 2008, les exploits de Nadia Comaneci à Montréal en 1976 et les prouesses de Gaétan Boucher à Sarajevo en 1984.

« Ce sont des pans de l’histoire qui sont importants de raconter, ajoute Mme Dupont. Les plus vieux se souviennent d’anciens Jeux, mais pour d’autres, ce n’est plus qu’un vague souvenir, une statistique, un nom qu’ils ont entendu, peut-être. »

 

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À ICI Télé, l’émission «Souvenirs olympiques» montrera notamment la victoire d’Alexandre Despatie à Pékin en 2008, les exploits de Nadia Comaneci à Montréal en 1976 (notre photo) et les prouesses de Gaétan Boucher à Sarajevo en 1984.Photo: Getty Images

Essoufflement

Tout n’est pas rose dans la nostalgie sportive, qu’elle soit diffusée en noir et blanc ou en couleur. Après deux mois à piger dans ses archives et aussi dans celles d’autres diffuseurs, le vice-président à la programmation de RDS, Robert Turcotte, note un « essoufflement », et avoue que les cotes d’écoute sont « acceptables », mais qu’elles représentent « une chute importante par rapport aux parts de marché des sports dans une année normale ».

Un match Canadien-Boston de 2011, c’est bien, mais RDS a plutôt hâte de diffuser un match Canadien-Pittsburgh de 2020. Robert Turcotte rigole : « Mon analogie n’est pas très bonne, mais c’est un peu comme quelqu’un qui est sorti avec une fille quand il était jeune, et qui la revoit 25 ans plus tard. Sur le coup, c’est l’fun, tu as ben des affaires à te dire, mais au bout d’une heure et demie, tu commences à manquer de contenu ! »

C’est aussi là un des défis les plus grands : personne ne sait combien de temps allait durer — et durera encore — le hiatus sportif. « Si, par exemple, on nous avait dit que dans un mois c’est fini, alors j’aurais pu ressortir juste le meilleur du vieux stock que j’ai. Là, on ne sait pas quand on va reprendre, alors ce qu’on continue à faire, c’est de s’arrimer à l’actualité qui aurait dû avoir lieu. »

L’idée est donc de présenter de vieux matchs de la Coupe Grey de la Ligue canadienne de football en début juin, alors qu’aurait débuté la saison. Ou des matchs de Wimbledon en juillet. « Il faut comprendre qu’on a des partenaires dans tous les sports : golf, course automobile, tennis, baseball… Et ces organisations-là ont aussi un intérêt pour que leur sport existe même s’il n’y en a pas de live, explique M. Turcotte. Les gens du Masters de golf, par exemple, ils voulaient qu’on présente en avril des éditions historiques, parce qu’ils savent qu’après tout ça, ils vont retrouver leur position dans l’horaire habituel. »

La nostalgie nous ramène au présent… pour ne pas oublier le futur.