Une réforme pressante

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Après un peu plus d’un mois de présence dans les CHSLD, l’armée canadienne, par la voix de son Commandement de la composante terrestre, a produit ses « observations » sur la situation dans ces établissements ravagés par des contagions de la COVID-19.

Si le ton est posé et les rapports sur les 25 établissements où sont intervenus les militaires sont factuels, le portrait global qui se dégage est accablant, surtout pour certains CHSLD où la désorganisation était particulièrement marquée. Il faut dire d’entrée de jeu que l’armée a été dépêchée dans des CHSLD où la situation était gravissime et les cas de contamination, nombreux.

À leur arrivée, les militaires constataient souvent « un manque de personnel et un haut taux d’absentéisme général ». La pénurie de PAB (préposées aux bénéficiaires) se traduisait par « une incidence directe sur l’hygiène des résidents ». Les militaires ont dû au départ instaurer une discipline quant au port de l’équipement de protection et à sa manipulation et corriger la gestion problématique des « zones froides, tièdes et chaudes ». Dans bien des cas, la direction des CHSLD était déficiente et parfois l’équipe de gestion était décimée par la maladie. « Les défis principaux semblent résider dans la structure du leadership de l’établissement et de la gestion des priorités des tâches », peut-on lire.

La plupart des comptes rendus témoignent d’une situation qui s’est améliorée grâce à l’instauration de « bonnes pratiques » et au retour d’un certain nombre d’employés en congé de maladie. Pour bien des CHSLD, le départ des militaires est programmé. On doit comprendre que s’il n’en tient qu’au Commandement de l’armée, les militaires n’épauleront pas les CHSLD jusqu’en septembre, comme le souhaite François Legault.

Des voix s’élèvent pour réclamer la tenue d’une enquête publique sur la débâcle. Or, il faut rappeler que la situation dans les CHSLD et les difficultés qu’ils ont éprouvées et qu’ils continuent d’éprouver lors de cette pandémie feront l’objet d’examens indépendants. Le bureau du coroner se penchera sur le cas du CHSLD Herron qui fait déjà l’objet d’une enquête policière pour négligence criminelle. La Protectrice du citoyen, Marie Rinfret, a annoncé qu’elle mènera sa propre enquête sur ces « milieux de vie collectifs déjà fragilisés et où se manifestent des problèmes connus et souvent dénoncés par le Protecteur du citoyen ». Elle promet un rapport pour l’automne prochain.

C’est rapide pour un tel examen de la part de la Protectrice du citoyen, beaucoup plus rapide qu’une commission d’enquête publique dont les conclusions ne tomberaient que dans quelques années. Mais attendre l’automne pour agir, c’est déjà trop tarder.

Il faut que, dès maintenant, en prévision d’une autre vague possible du coronavirus à l’automne, le gouvernement Legault s’attelle à revoir la gouvernance des CHSLD publics, mais aussi celle des CHSLD privés auxquels a recours le ministère de la Santé et des Services sociaux.

Plusieurs CHSLD n’ont pas de véritables patrons, s’est plaint le premier ministre. Ils sont gérés à distance par des cadres des CIUSSS ou des CISSS. Il est beaucoup plus facile de se satisfaire d’une pénurie de préposées aux bénéficiaires quand elle n’est qu’une donnée qui figure sur l’écran d’un ordinateur. Tout en bas de l’organigramme des CIUSSS et des CISSS, les CHSLD ont été manifestement négligés.

Selon l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques (IGOPP), les CHSLD ne comptent pas de directeur général avec des responsabilités d’ensemble, mais bien un « chef d’unité » qui dépend de différents directeurs répartis dans plusieurs bureaux sur le vaste territoire des CIUSSS ou des CISSS, un chef d’unité dont on se demande quelles sont les responsabilités et les tâches. Or, la pandémie a mis à mal ce système « d’une effarante complexité », au caractère « kafkaïen », marqué par « une dilution des responsabilités et une lenteur pathologique dans la prise de décision ».

Il faut donc redonner rapidement aux CHSLD une direction responsable dotée d’une essentielle autonomie et de moyens appropriés. Avant qu’une autre vague de la COVID-19 nous frappe. Il faudra aussi à terme abattre l’hydre hypercentralisée issue de la réforme Barrette pour la remplacer par une structure qui répond aux meilleurs standards mondiaux en la matière, où les soins à domicile et l’hébergement des personnes âgées, mais aussi sans doute la Santé publique et la Direction de la protection de la jeunesse ne seront plus dans le giron d’une boursouflure hospitalo-centriste où l’imputabilité s’est perdue.