Relance économique : Les 5 commandements du CMC
by Mounia Kabiri KettaniLa prorogation de l’état d’urgence sanitaire aura de lourdes conséquences sur la croissance prévue pour 2020 voire même 2021. D’où l’urgence de mettre en place des stratégies de relance pour soutenir les entreprises, trouver de nouveaux modes de production susceptibles de faire face à terme à ce genre de crise et apporter un fort appui à la demande. Analyse du CMC
Le confinement a été prolongé de trois semaines. Un acte de prudence visant à limiter la propagation du virus, à sauver des vies et à protéger la santé des citoyens et ce en dépit du prix économique à payer qui s’élève selon le ministre de l’économie, des finances et de la réforme de l’administration à 1 milliard de dirhams par jour supplémentaire de confinement total. D’après une récente étude, le centre marocain de conjoncture (CMC) estime que « le prolongement de l’état d’urgence sanitaire, même pour cette durée assez limitée, exacerbera certes la décroissance prévue pour l’exercice 2020 et empêchera les activités lors de la reprise au second semestre de compenser les décalages de production enregistrés au cours des premiers mois de l’année ». Il ajoute aussi, que « le choc économique est tellement fort, tel un foyer sismique, que ses impacts dépasseraient la présente année calendaire et ses ondes iraient au-delà pour affecter les performances économiques de 2021 et des années suivantes ».
Les conséquences seront lourdes, et pour sortir de cette crise, le CMC insiste sur l’urgence de mettre en place des stratégies adéquates. Il propose ainsi deux orientations essentielles : d’une part , il est nécessaire d’adopter des actions et mesures d’urgence pour créer un contrechoc et essayer d’inhiber le profond creux provoqué par l’arrêt des activités, les pertes de revenus et l’exacerbation du chômage. Et d’autre il faut établir une nouvelle vision et un modèle de développement qui prendraient en considération les enseignements tirés de cette douloureuse expérience et élaborer des plans stratégiques à terme dans une cohérence globale.
Actions et mesures d’urgence
Si les institutions internationales de conjoncture ont évalué l’ampleur de la récession en estimant la décroissance au terme de l’année 2020 à environ -3,8%, le CMC, lui, a révisé encore à la baisse ses prévisions et prévoit un recul de -4,3% pour l’exercice en cours. Selon l’analyse du CMC, « les mesures à prendre d’urgence commenceraient tout d’abord, à l’instar de tous les pays, par adopter une politique budgétaire plus agressive qu’à l’accoutumée et au-devant de l’ampleur des problèmes du moment et ce à travers une loi de finances rectificative consistante soulageant les entreprises et la consommation des ménages sur la base de plans de relance coordonnés ». dans le détail, le centre préconise d’augmenter d’une manière significative le budget du ministère de la santé en priorité absolue et celui des secteurs sociaux, de prévoir des abattements sur les charges sociales et l’impôt sur le revenu et des moratoires sur le paiement des impôts, de permettre le rééchelonnement ou un différé de paiement des crédits bancaires, le tout avec le renforcement encore plus le soutien par des prix préférentiels des inputs et des investissements de l’agriculture (semences, engrais, achats de d’engins agricoles…). A partir du travail de recensement effectué auprès des personnes ayant l’AMO et celles qui sont en dehors, il serait possible, ajoute le CMC, de généraliser la couverture médicale à l’ensemble de la population. En profitant aussi de cette nouvelle base de données actualisée qui a permis la distribution des aides de subsistances, le CMC recommande aussi d’étudier la possibilité à partir du mois de juillet de transformer cette aide accordée aux ménages en un système pérenne de primes de chômage.
Un déconfinement progressif
Pour le CMC, la levée du confinement pourrait s’opérer par région et par province sur la base du niveau du taux de reproduction. Ainsi, « pour toutes les collectivités dont le Rt est inférieur à 0,5, le déconfinement resterait possible dans le respect des barrières sanitaires », note le CMC. Néanmoins, sur les 132.000 entreprises organisées qui sont à l’arrêt, « celles localisées dans les régions où la propagation du covid-19 a pris fin peuvent déjà redémarrer en respectant scrupuleusement les mesures d’hygiène et de distanciation sociale », insiste le CMC qui ajoute que celles situées dans des régions dont le Rt est inférieur à 1 devraient reprendre leurs activités avec un contrôle sanitaire et une aseptisation des locaux et avec un suivi strict qu’effectueraient les autorités locales d’une manière périodique. Toutefois, concernant les unités se trouvant dans des zones à risque (Rt>1) et dont la production répond à une nécessité, le CMC conseille de relancer leurs activités sous condition d’un accompagnement d’une cellule de contrôle désignée par les autorités locales compétentes. « Les transports en commun reprendraient dans un rayon qui leur serait fixé dans le respect des règles de distanciation et de port de masque. Seraient autorisées aussi à lever rideau, dans cette première étape, les petites entreprises individuelles de production de biens ou de services et les commerces des produits non alimentaires », complète le CMC. Côté, écoles et universités, cafés et restaurants, cinémas et autres activités culturelles et sportives, le CMC est catégorique : il faut attendre la mi-juin, si cette première étape de déconfinement réussit. Pour le milieu rural qui est le moins touché par la pandémie en raison d’une densité de population assez faible, la levée du confinement est recommandée pour permettre aux agriculteurs de trouver des activités compensatrices aux pertes de revenus induites par la mauvaise campagne agricole. Dans cette perspective, « l’organisation et même les structures (constructions, contours, abattoirs, délimitation des places, administration hospitalière et d’hygiène ambulante…) des souks hebdomadaires doivent profiter de cette opportunité pour être revues et améliorer la commercialisation au niveau du monde rural », avertit le CMC.
Stratégies à moyen et long termes
Selon le CMC, en préambule à l’élaboration des stratégies, il y a lieu d’accélérer les travaux de la commission spéciale sur le modèle de développement dont les résultats détermineront les contours du projet de société souhaité avec plus de précisions et de détails. Néanmoins, le CMC insiste sur l’importance de donner la priorité aux secteurs sociaux surtout que «les enseignements tirés de la propagation du covid19 ont montré d’une manière flagrante que le Maroc n’était pas suffisamment armé pour parer à ce genre de fléau et à mesurer les défaillances qui existent dans notre système pour protéger les citoyens et leur bien être », regrette le CMC qui note que « les stratégies à proposer devraient intégrer comme priorités fondamentales le développement des secteurs sociaux : santé, enseignement, emploi, sécurité sociale et autres domaines connexes ». La recherche et développement a aussi sa place dans la vision du centre. Et pour relever le rythme de croissance à l’image des pays émergents, le CMC appelle à une conciliation harmonieuse et un partage équitable entre le capital et le travail sous forme de contrat social ou d’accord collectif concerté entre les parties prenantes (les travailleurs, les entreprises, les syndicats et l’état).
Développement du monde rural
Le rural a sa place dans le plaidoyer du CMC. « La priorité est à accorder à un développement d’un monde rural en rupture avec ce qui a été fait jusqu’à aujourd’hui », tient t-il à souligner. Et pour explique il ajoute «Il doit réconcilier l’être humain, l’environnement et la productivité des activités économiques durables. Cet espace de vie dont l’importance se mesure à l’aune de sa population et du territoire qu’il occupe doit bénéficier de toutes les accessibilités en matière de services de santé, d’enseignement et de loisirs susceptibles de créer une attractivité du milieu et de maintenir la population sur place voire inverser à terme le sens de l’exode ».
Intégration régionale
Sur le volet intégration régionale, « le choix de coopération Sud-Sud comme vecteur d’émergence principalement avec les pays subsahariens (en attendant une détente éventuelle pour la construction du Maghreb) constitue un atout considérable à renforcer », insiste le CMC qui préconise par la même occasion une révision des accords de libres échanges déjà établis pour préserver un commerce équitable entre les parties prenantes.