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"Les relations entre les Etats-Unis et la Chine ressemblent à une nouvelle guerre froide", estiment les deux chercheurs.(Reuters)

TRIBUNE. "Pour une nouvelle diplomatie"

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Anne Kraatz, historienne, senior fellow de l’Institut Open Diplomacy et Thomas Friang, économiste, fondateur et directeur général de l’Institut Open Diplomacy, appellent à l'émergence d'une nouvelle diplomatie.

Voici la tribune de Anne Kraatz et Thomas Friang : "La pandémie du Covid-19 aura marqué les esprits et modifié les comportements. Cela est acquis. La question qui se pose est ce qu'il arrivera ensuite. Certains veulent croire que tout reviendra comme avant. D'autres pensent au contraire que rien ne sera plus comme avant la crise. Incertains, nous situons la réalité entre les deux… mais nous avons une conviction forte. Depuis dix ans maintenant, l'Institut Open Diplomacy plaide pour une diplomatie participative. Cette méthode fera partie du paysage tant la pandémie nécessite de recréer de la confiance dans le système international.

La crise économique causée par le COVID et ses répercussions sociales et  géopolitiques vont redessiner les contours de la carte du monde. Sans pour autant les définir avec précision ou permanence.

Les relations entre les Etats-Unis et la Chine sont entrées dans une phase qui ressemble de très près à une nouvelle guerre froide. Face à l'Iran qui joue la survie de son régime, la crise du pétrole va mettre certains pays du Golfe dans la colonne des has-been, peut-être pour longtemps… le monde arabe est en milles morceaux, mais pas que : tout bouge. L’émergence d'un 'nouveau monde', qui a fait couler tant d’encre dans la vie politique française depuis 2017, prend désormais un sens bien concret. 

Dans ces conditions, le multilatéralisme - qui semble sur le point de s'effondrer sous les coups de boutoir de l'administration Trump - est paradoxalement la solution. Pourvu qu’il se réinvente.

L'Alliance pour le multilatéralisme, fondée récemment par la France et l’Allemagne dans un esprit volontariste et avec le soutien de 54 Etats, donne un exemple intéressant. Elle a pour but de faire émerger, à l’échelle mondiale, des projets de normes concrètes pour répondre aux désordres internationaux. Un de ses premiers livrables a été le "partenariat sur l’information et la démocratie" imaginé par Reporters sans frontières et lancé par cette coalition politique à l’Assemblée générale de l’ONU en 2019.

Dans cette nouvelle diplomatie, exit la bureaucratie, welcome la gestion de projets : le nouveau multilatéralisme est multi-acteurs. 

Les dirigeants de cette alliance s'adaptent aux formes politiques modernes en impliquant des acteurs de plus en plus divers. Engagé depuis longtemps, ce processus d’ouverture à la société civile devra s’amplifier tant la crise de la confiance s’accentue. Égaux devant l'adversité, chaque acteur exigera d’ailleurs sans doute une plus grande voix au chapitre.

L'art de la diplomatie, 'où le plus beau de tous les succès est le triomphe de la ruse sur la force' pour reprendre le mot de Balzac, pourrait tout de même éprouver des difficultés à se démocratiser.

Durant la Guerre froide, où les rapports de force entre les grandes puissances américaine et soviétique régissaient le monde, les alliances étaient fixes et exclusives, déterminées par l’affrontement entre Moscou et Washington, et leurs États-clients respectifs. Cela stérilisait naturellement le rôle des acteurs non-étatiques.

La montée en puissance de la Chine et les nouvelles rivalités entre Pékin et la Maison-Blanche risquent de nous ramener à cet état de guerre froide. Pourtant, nous avons besoin aujourd’hui d’alliances multiples et mouvantes car celles-ci tiennent mieux compte des subtilités de l’intérêt national en associant les acteurs sociaux à la politique étrangère.

Certains répondront que la diplomatie - par nature opaque - s'accorde mal avec cette ambition d’ouverture, voire aux exigences contemporaines de transparence. On leur rétorquera que la transparence est devenue le voile derrière lequel se cachent les secrets politiques temporairement : plus que de transparence - vraie ou fausse - cette nouvelle diplomatie a donc besoin d’une nouvelle rhétorique. Intelligible pour le commun des mortels.

Débarrassée du jargon, elle peut se réconcilier avec les impératifs de la communication moderne, du maelström des chaînes d’information en continue au déferlement sur les réseaux sociaux, avec un narratif qui imprime.

Plus la rhétorique diplomatique sera recevable directement par les citoyens, déliée du fatras technocratique dont elle est trop souvent encombrée, plus la politique extérieure sera capable de susciter l'adhésion à l’extérieur et la cohésion à l’intérieur.

Il ne s’agit pas de perdre la civilité, fut-elle hypocrite parfois, qui régit les codes diplomatiques en reprenant les mauvaises habitudes de la politique intérieure. La rhétorique directe n’implique pas les excès de langage menaçants, injurieux, voire belliqueux, si caractéristiques de certaines grandes puissances actuelles. Non, il s’agit de revenir à la rhétorique, des anciens, Cicéron au premier chef, comme l’art de convaincre.

Convaincre ses voisins comme ses habitants, ses alliés comme ses adversaires. Une pandémie se soigne en commun. Elle nécessite de fédérer dans et par delà les frontières. Rien n’oppose l’intérêt national et l’intérêt humain dans cette affaire qui se résoudra plus par la force des mots plus que la force brute.

La leçon du renard de La Fontaine est plus que jamais valable pour inspirer la diplomatie : emporter le morceau sans coup férir, par la seule force d'une rhétorique bien sentie."