Marc Sangnier et la naissance des démocrates-chrétiens
by Sylvain Rakotoarison« Ne nous laissons diviser par aucune force brutale : nous avons fait un grand pacte d’humanité ; nous sommes liés les uns aux autres, car, les uns comme les autres, nous voulons la paix dans la justice, et la réconciliation des hommes dans la fraternité et dans l’amour. » (Marc Sangnier, le 9 août 1923 à Freibourg, en Allemagne).
Parler de fraternité et d’amour quand on prononce un discours politique, c’est toujours hasardeux, souvent courageux. C’est parler un langage d’Église dans un monde où les ambitions, le cynisme et le réalisme donnent peu de place aux idéaux, aux valeurs hautes, comme la paix, la justice. Mort à Paris il y a soixante-dix ans le 28 mai 1950, le dimanche de la Pentecôte, à l’âge de 77 ans (il est né à Paris le 3 avril 1877), Marc Sangnier fut de ces hommes au tempérament d’acier qui voulaient injecter du catholicisme dans la vie politique, pas dans le sens de l’Ancien Régime, le roi de droit divin, mais dans le sens du progrès social, celui d’une démocratie éclairée mais qui a besoin aussi de valeurs.
Quelques semaines avant lui, le 22 mars 1950, est mort aussi Emmanuel Mounier, grand philosophe catholique et inspirateur du personnalisme, qui fut déterminant dans la naissance de la démocratie chrétienne en France (il est mort foudroyé par une crise cardiaque à 44 ans).
Marc Sangnier, lui, n’a pas été un intellectuel, au sens d’écrivain, philosophe, il était un homme d’action, journaliste militant et homme politique. Marc Sangnier fut surnommé par ses amis étudiants des premiers temps le "messie de la démocratie", plus tard, en raison de son anticapitalisme, il fut surnommé le "bolchevik chrétien".
Petit-fils de François Bazaine et de Gustave Courbet, issu d’une famille bourgeoise catholique, Marc Sangnier a commencé par de brillantes études au collège Stanislas (il a eu le premier prix de philosophie du concours général), puis il a été reçu à Polytechnique et a fait aussi une licence de droit. Son action déterminante fut l’animation du fameux journal "Le Sillon" créé en janvier 1894 par Paul Renaudin et Augustin Léger, autour des camarades du collège Stanislas.
Ce journal fut la pierre angulaire du mouvement que Marc Sangnier allait créer, du même nom, rassemblant ses amis étudiants, envoûtés par son éloquence, membres de La Crypte (club créé en 1893 : « Nous parlions de tout et de rien, nous étions audacieux et ardents démocrates. »), sur un horizon très innovant à l’époque : un christianisme de progrès et d’engagement, tant politique que social. Réconcilier l’Église et la République. Une devise très efficace après les remous de l’affaire Dreyfus : « Aller au vrai avec toute son âme ».
Tout est parti de l’encyclique cruciale du pape Léon XIII, "Rerum novarum", publiée le 15 mai 1891, qui a défini la doctrine sociale de l’Église. Surtout, Léon XIII a donné "l’autorisation" aux catholiques français de pouvoir choisir la République, alors que jusque-là, les catholiques étaient monarchistes. C’est à mon sens plus cette cause-là que la division dans le camp des monarchistes (qui se sont réconciliés derrière le petit-fils de Louis-Philippe par nécessité biologique) qui a pérennisé le camp républicain, une vingtaine d’années après la proclamation de la Troisième République.
Marc Sangnier, qui, en 1899, a transformé la revue dont il avait repris la direction en véritable mouvement social et politique d’éducation populaire, a voulu profiter de cette "autorisation" pour faire vivre un courant catholique social, en d’autres termes, pour donner aux ouvriers un autre choix que le socialisme. Cette (déjà) troisième voie, entre capitalisme et socialisme, réunissait de jeunes ouvriers et des jeunes de familles catholiques aisées et avait pour but la réconciliation des classes sociales. Au début du XXe siècle, de nombreuses innovations ont été créées par Marc Sangnier, en particulier les cercles d’études catholiques (lieu de débat entre prêtres, étudiants, laïques sur des questions de société et de religion), etc.
C’était une initiative d’autant plus nouvelle qu’elle s’apparenterait au "grand débat" de 2019, pas d’idées imposées par un chef, mais des convictions qui émergeaient par la base, par la discussion. C’était très audacieux non seulement dans le champ politique (la monarchie avait été déjà abolie) mais aussi dans le champ religieux où la vérité ne pouvait venir que du haut, pas de la base (top down). Au départ, le mouvement était soutenu par l’Église catholique, ce qui lui permettait de neeh pas perdre le contact avec une France devenue très majoritairement républicaine.
Pour donner un exemple, Marc Sangnier écrivait dans l’éditorial du "Sillon" du 10 février 1904 : « Nos amis ont compris que la force du "Sillon" était dans la vie une et fraternelle de tous ceux qui se dévouent à l’œuvre commune. Ici, point de groupes fédérés, jaloux de leur autonomie, s’amusant aux jeux d’un parlementarisme tout au moins inutile lorsqu’il s‘agit de conquérir, mais identité d’aspirations, de tendances, de direction et, par cela même, merveilleuse richesse et étonnante variété dans les multiples manifestations d’une vie pourtant toujours semblable à elle-même. Aussi bien n’avons-nous nullement l’arbitraire et déplaisante prétention de tout monopoliser. Nous laissons les individus comme les groupes venir doucement à nous et nous quitter comme ils le veulent, quand ils le veulent (…). ».
Et il le terminait ainsi : « Ne l’oublions pas, une seule chose importe, le don complet et sans réserve de nous-mêmes à Dieu qui vit et agit en nous, qui vit et agit dans son Église. Qu’importe tout le reste : que les hommes nous louent, qu’ils nous blâment, qu’ils nous approuvent ou nous combattent, nous aident ou nous persécutent. "J’en ai la certitude, affirme l’Apôtre, ni la vie, ni les choses présentes, ni les choses futures, ni la violence, ni la hauteur, ni la profondeur, ni aucune créature au monde ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu qui est dans le Christ Jésus notre Seigneur". Nous avons confiance que nos amis, quoi qu’il arrive et d’où que viennent les défiances, les oppositions, les menaces, les railleries ou les violences, sauront demeurer toujours bienveillants, sans aigreur, supposant le bien, non le mal, indulgents à tous, doux, pacifiques. Alors, ils seront forts et auront quelque droit de ne pas désespérer tout à fait de la victoire. ».
Ce fut un fourmillement d’idées et d’humains, regroupant jusqu’à 25 000 personnes très motivées et engagées. Commentant le livre de Jean de Fabrègues "Le Sillon de Marc Sangnier" (1964), l’historien Émile Poulat, ancien prêtre et docteur de l’Université de Freibourg, a écrit dans les "Annales. Économies, sociétés, civilisations" (21e année, N.2, 1966) : « L’idée de Sangnier, on le sait, était non de se rallier à la démocratie, mais de la construire : "Quand les catholiques se seront mêlés sans parti pris au grand labeur démocratique, quand ils auront peiné et travaillé durement, non pour eux seuls, mais pour le prolétariat tout entier, alors ils auront le droit d’afficher un programme social, alors l’on pourra aborder enfin la politique". Une génération achève son temps à la fin du siècle dernier quand surgit le "Sillon" : celle des catholiques qui ont "manqué le tournant" de 1875 ; et dans le domaine de la pensée, le catholicisme amorce une grande mue intellectuelle. L’effervescence et l’enthousiasme de la jeunesse religieuse, le climat de plus en plus agité de ces années (qui voient la séparation des Églises et de l’État, puis la condamnation du modernisme), tout contribue à provoquer des résistances, à créer des durcissements : à son tour, le "Sillon" sera condamné en 1910. ».
Effectivement, le climat entre le Vatican et la France s’était dégradé à cause de la loi du 9 décembre 1905 de séparation de l’ Église et de l’État, si bien que le pape Pie X, initialement bienveillant avec ce mouvement engagé, a condamné "Le Sillon" par sa lettre pontificale du 25 août 1910 : « "Le Sillon" convoie le socialisme l’œil fixé sur une chimère. ». Le pape lui reprochait ainsi d’affirmer l’autorité des catholiques sur l’Église (bottom up) : « Il convient de relever sévèrement la prétention du Sillon d’échapper à la direction de l’autorité ecclésiastique. Les chefs du Sillon, en effet, allèguent qu’ils évoluent sur un terrain qui n’est pas celui de l’Église ; qu’ils ne poursuivent que des intérêts de l’ordre temporel et non de l’ordre spirituel ; que le Sillonniste est tout simplement un catholique voué à la cause des classes laborieuses, aux œuvres démocratiques, et puisant dans les pratiques de sa foi l’énergie de son dévouement ; que, ni plus ni moins que les artisans, les laboureurs, les économistes et les politiciens catholiques, il demeure soumis aux règles de la morale communes à tous, sans relever, ni plus ni moins qu’eux, d’une façon spéciale, de l’autorité ecclésiastique. (…) Leur idéal étant apparenté à celui de la Révolution, ils ne craignent pas de faire entre l’Évangile et la Révolution des rapprochements blasphématoires qui n’ont pas l’excuse d’avoir échappé à quelque improvisation tumultueuse. ».
Le Vatican craignait perdre son autorité sur les prêtres français séduits par "Le Sillon". Comme le décrivait Émile Poulat, « on lui reprochait de confondre la foi catholique et la foi démocratique, l’apostolat chrétien et l’action politique. Ses chefs donnèrent l’exemple de la soumission. ». Marc Sangnier a alors autodissous "Le Sillon" et le dernier numéro du journal fut publié le 10 juillet 1910 (avant sa condamnation).
À la même époque (les années 1900), Marc Sangnier était violemment attaqué tant par l’Action française de Charles Maurras, par Charles Péguy aussi, que par l’extrême gauche socialiste. Rejeté par l’Église, d’un côté, les mouvements catholiques traditionnels de l’autre, Marc Sangnier était sur une ligne de crête pour ne pas être considéré comme un "traître". Son idée était de ne pas abandonner les ouvriers aux seuls discours marxistes et leur proposer une autre voie, celle de l’éducation populaire qui a connu sa consécration avec les Semaines sociales.
Dommage donc que ce mouvement ait dû s’arrêter. Le pape Pie X (mort quelques jours après le début de la Première Guerre mondiale et canonisé le 29 mai 1954) avait pourtant accueilli favorablement l’initiative de Marc Sangnier le 2 septembre 1904 (Marc Sangnier avait 31 ans), dans un discours aux membres du "Sillon" : « Eh bien, chers jeunes gens, ces mêmes sentiments du Divin Rédempteur, remplissant aujourd’hui notre cœur après avoir écouté l’adresse si pleine d’affection que vous nous avez présentée ; et puisque vous avez su concevoir des pensées aussi nobles et que vous vous montrez capables d’actions aussi généreuses, laissez-nous vous dire que nous vous aimons, et que désormais chacun de vous pourra nous considérer non pas seulement comme un père mais comme un ami. Nous nous réjouissons du bien que vous faites et de celui que vous ferez encore, avec la grâce de Dieu, en étendant vos rangs et en exerçant parmi vos compagnons d’âge, d’étude, de profession, qui ne sont pas encore des vôtres, un apostolat vraiment fécond. (…) Ne craignez pas, si vous êtes encore peu nombreux. Restez fidèles à votre bannière (…). Ne vous laissez pas décourager si tous ceux qui professent les mêmes principes catholiques, ne s’unissent pas toujours avec vous dans l’emploi des méthodes qui visent un but commun à tous et que tous désirent atteindre. ».
La politique très anticléricale des gouvernements français, notamment celui d’Émile Combes visant à dissoudre toutes les congrégations religieuses, puis la loi du 9 décembre 1905, ont modifié l’orientation de Pie X qui voyait dans "Le Sillon" un mouvement trop moderniste qui ne luttait pas assez contre les radicaux. De plus, l’accueil bienvenu de personnes d’autres religions contrariait le Vatican. La soumission de Marc Sangnier et des autres dirigeants du "Sillon", par l’obéissance au pape, a eu pour conséquences d’autres moyens d’engagement des catholiques sociaux dans le champ politique. Pie X avait publié également deux encycliques particulièrement combative, "Vehementer nos" le 11 février 1906, et "Gravissimo officii munere" le 10 août 1906, et aussi son allocution du 21 février 1906 ("Gravissimum apostolici muneris"), pour demander aux prêtres de refuser l’autorité du gouvernement français (ce qui, à mon sens, était une erreur historique qui a longtemps nourri l’anticléricalisme en France).
Ainsi, Pie X a écrit : « Nous réprouvons et condamnons la loi votée en France sur la séparation de l’Église et de l’État comme profondément injurieuse vis-à-vis de Dieu, qu’elle renie officiellement, en posant en principe que la République ne reconnaît aucun culte. (…) [Par conséquent], nous protestons solennellement de toutes nos forces contre la proposition, contre le vote et contre la promulgation de cette loi, déclarant qu’elle ne pourra jamais être alléguée contre les droits imprescriptibles et immuables de l’Église pour les infirmer. » ("Vehementer nos").
Et s’adressant aux "catholiques de France" : « Vous savez le but que se sont assigné les sectes impies qui courbent vos têtes sous leur joug, car elles l’ont elles-mêmes proclamé avec une cynique audace : "Décatholiser la France". Elles veulent arracher vos cœurs, jusqu’à la dernière racine, la foi qui a comblé vos pères de gloire, la foi qui a rendu votre patrie prospère et grande parmi les nations, la foi qui vous soutient dans l’épreuve, qui maintient la tranquillité et la paix à votre foyer et qui vous ouvre la voie vers l’éternelle félicité. (…) Si vous voulez dans la limite de vos forces, et comme c’est votre devoir impérieux, sauver la religion de vos ancêtres des dangers qu’elle court, il est de toute nécessité que vous déployiez dans une large mesure vaillance et générosité. » (11 février 1906).
Notons cependant, à propos de ce pape, qu’il condamna de la même manière l’Action française de Charles Maurras, le 29 janvier 1914, là aussi rejetant l’idée qu’un mouvement politique indépendant du Vatican puisse parler au nom des catholiques. Pie X n’a pas eu le temps d’officialiser cette condamnation. L’Action française a été officiellement condamnée par le pape Pie XI le 29 décembre 1926 : « Sa Sainteté a jugé qu’il était devenu opportun de publier et de promulguer ce décret du pape Pie X et a décidé d’en effectuer la promulgation, avec la date prescrite par son prédécesseur d’heureuse mémoire Pie X. De plus, en raison des articles écrits et publiés, ces jours derniers surtout, par le journal du même nom, "L’Action française" et, nommément, par Charles Maurras et par Léon Daudet, articles que tout homme sensé est obligé de reconnaître écrits contre le Siège apostolique et le Pontife romain lui-même, Sa Sainteté a confirmé la condamnation portée par son prédécesseur et l’a étendue au susdit quotidien, "L’Action française" tel qu’il est publié aujourd’hui, de telle sorte que ce journal doit être tenu comme prohibé et condamné et doit être inscrit à l’Index des livres prohibés, sans préjudice à l’avenir d’enquêtes et de condamnations pour les ouvrages de l’un et de l’autre écrivain. » (décret de la congrégation du Saint-Office).
Revenons à Marc Sangnier. Renonçant à un engagement parallèle religieux d’un côté, et social et politique de l’autre, il resta dans l’engagement politique. Il s’est présenté aux élections législatives de 1909 à Batignolles, puis à celles de 1912 à Sceaux, sans succès. Son credo : « Il n’y a ni ordre ni paix quand une classe subit l’oppression d’une autre classe. ».
Il a créé le 1er juillet 1912 son parti politique, la Ligue de la Jeune République, qui n’a jamais dépassé les 3% des voix aux élections législatives. Son programme était très novateur, avec l’égalité des droits pour les femmes, et surtout, une protection sociale pour les salariés (proposition d’une charte du salariat pour des droits sociaux, dont la retraite). Sur le plan institutionnel, si ce nouveau parti proposait la proportionnelle (qui fut appliquée à partir de 1919), il voulait aussi, comme De Gaulle, remplacer le Sénat par une sorte de Conseil Économique et Social (il réclamait une "4e République" !). Parallèlement à ce nouveau parti qui se fédéra dans une Ligue nationale de la démocratie après la guerre (que Marc Sangnier présida), ce dernier dirigea un quotidien, "La Démocratie" qui a paru de 1905 à 1944 (ainsi que, à partir de 1932, l’hebdomadaire "L’Éveil des Peuples" auquel ont collaboré René Cassin et Pierre Cot).
Marc Sangnier avait fait son service militaire à Toul vers 1898, et fut mobilisé pour la Première Guerre mondiale, passa de lieutenant au début à commandant à la fin, avec Légion d’honneur et Croix de guerre. Après la guerre, il se présenta de nouveau aux élections législatives de novembre 1919 et fut élu député de Paris (il était deuxième d’une liste d’entente républicaine qui a recueilli 40,4% des voix). Il fut parmi les cinq députés Jeune République qui furent non inscrits dans la nouvelle Chambre (dite bleu horizon, celle de Clemenceau). Durant son mandat, il a fait la promotion de la paix : « Chaque sourire ironique lorsqu’on parle de la Société des Nations retarde d’un jour la grande pacification du monde. ».
Et il avait compris que la paix ne pouvait passer que par la réconciliation franco-allemande : « À côté de l’Allemagne belliqueuse, prussianisée, intoxiquée par le venin du militarisme, il y a une autre Allemagne, l’Allemagne des travailleurs, et aussi l’Allemagne de certains braves gens. ». Détesté par l’extrême droite à cause de son pacifisme, Marc Sangnier n’hésitait pas à répliquer à Léon Daudet dans l’hémicycle : « La France n’est pas mûre pour le fascisme ; M. Daudet se trompe et il n’a ni la vigueur ni l’énergie d’un Mussolini. Il n’en apporte que la ridicule et pitoyable caricature. ».
Cependant, se représentant à la tête d’une liste indépendante, il fut battu aux élections législatives de mai 1924, puis de mai 1928. Il fut élu maire de Boissy-la-Rivière (Essonne) de 1925 à 1929. Pendant toutes ces années, il parcourait l’Europe pour tenir des discours de paix : « Ce qu’il faut, c’est leur redonner de l’espérance, c’est leur redonner la foi, foi dans la République, foi dans la démocratie et foi dans la paix. ». Il a créé l’Internationale démocratique en 1921 et a rassemblé jusqu’en 1932 des milliers de pacifistes dans différentes villes européennes où se tenaient les congrès annuels (avec un congrès international mémorable en 1926 chez lui, à Bierville, près d’Étampes, avec 7 000 personnes). Pierre Mendès France (jeune député radical) participa à certaines des conférences de paix organisées par Marc Sangnier (Ferdinand Buisson aussi).
Un des membres de la Jeune République, Francisque Gay (futur ministre) a créé en 1924 l’hebdomadaire "La Vie catholique" (devenu "La Vie") et en 1932 "L’Aube". Tandis qu’en 1929, Marc Sangnier a créé en France les Auberges de jeunesse, ce qui lui a beaucoup servi, à partir de 1933, pour recueillir des exilés de l’Allemagne nazie.
Dans la même mouvance catholique sociale de Jeune République , fut créé sans Marc Sangnier l’hebdomadaire "Temps présent" en novembre 1937, lu par Charles De Gaulle (qui était membre des Amis de Temps présent) dont les idées militaires modernes avaient beaucoup intéressé Jeune République. À ce nouvel hebdomadaire, ont collaboré François Mauriac, Maurice Schumann, Paul Bacon, Gabriel Marcel, Étienne Borne, Emmnuel Mounier, Jacques Maritain, André Fontaine, Georges Bernanos, Louis Terrenoire, Claude Bourdet, etc. Par la suite, d’autres personnalités ont adhéré temporairement à Jeune République qui participa au gouvernement du Front populaire (Philippe Serre, qui fut l’un des députés JR depuis 1932), en particulier (après la guerre) : Eugène Claudius-Petit, l’abbé Pierre (député MRP), Léo Hamon (gaulliste de gauche), Jacques Delors (syndicaliste) et même Anicet Le Pors (futur ministre communiste !). Après avoir soutenu le programme d’union de la gauche en 1972, Jeune République refusa la fusion dans le PS en 1981 et s’arrêta en 1985.
Un autre parti fondé le 15 novembre 1924 fut explicitement d’inspiration catholique sociale, il s’agit du PDP (parti démocrate populaire) qui, au contraire de Jeune République positionnée à gauche, était positionné au centre droit (dans l’opposition lors de la victoire du Cartel des gauches en 1924). Il se transforma en MRP après la Libération, à l’exception d’une minorité qui s’est retrouvée dans un autre parti issu de la Résistance, l’UDSR, parti de René Pleven et de François Mitterrand dont étaient membres quelques gaullistes comme Jacques Soustelle et René Capitant.
Marc Sangnier n’avait pas suivi cette voie de la Jeune République après la guerre. Sous l’Occupation, il fut résistant et fut arrêté par la Gestapo le 17 février 1944. Lors de la fondation du MRP, issu de la Résistance démocrate-chrétienne (Maurice Schumann, Georges Bidault, Edmond Michelet, Francisque Gay, etc.), Marc Sangnier fut honoré comme le maître spirituel des démocrates-chrétiens ; il en est devenu le président d’honneur en octobre 1945 et fut élu député MRP de Paris, comme tête de liste MRP, aux élections constituantes d’octobre 1945, réélu en juin 1946 et en novembre 1946 (jusqu’à sa mort). Deux jours après la mort de Marc Sangnier, le Président de la Chambre, radical, Édouard Herriot a rendu hommage à « cette âme évangélique, ce cœur pur, ce haut esprit ». La mémoire de Marc Sangnier fut honorée à Notre-Dame de Paris dans une cérémonie nationale rassemblant tous les partis.
Marc Sangnier a eu trois enfants, dont un fils, Paul (1917-1939), ethnologue, qui est mort accidentellement le 19 avril 1939 à 21 ans. Son premier fils Jean (1912-2011) fut un résistant de la première heure et le cofondateur du quotidien "Ouest-France". Il fonda aussi l’Institut Marc-Sangnier en 1990.
Quels sont les héritiers politiques de Marc Sangnier dans cette France de 2020 ? Anicette Sangnier, petite-fille de Marc Sangnier (fille de Jean) et secrétaire de l’Institut Marc-Sangnier, a répondu à cette question de Béatrice Bouniol dans "La Croix" du 16 novembre 2017 : « Dans le champ politique, Jacques Delors, Michel Rocard ou encore François Bayrou le citaient souvent. Aujourd’hui, cette filiation est moins revendiquée mais je sais qu’Emmanuel Macron connaît et respecte son action, qu’il est sensible à ses idées. Dans ses discours, sa vision du social, l’attention à la grande pauvreté ou aux problèmes des jeunes, ses idées de la démocratie et de l’Europe, en témoignent. L’héritage de la démocratie chrétienne chemine encore en profondeur. ».
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (27 mai 2020)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Charles Péguy.
Étienne Borne.
Marc Sangnier.
Saint Jean-Paul II, le pape de la foi et de la raison.
Jeanne d’Arc.
L’encyclique "Caritas in veritate" du 29 juin 2009.
Benoît XVI.
Pâques 2020, le coronavirus et Dieu…
Pierre Teilhard de Chardin.
L’encyclique "Fides et ratio" du 14 septembre 1998.
Le pape François.
L’abbé Bernard Remy.
Mgr Roger Etchegaray.
Sœur Emmanuelle : respecter et aimer.
Sœurs de Saint-Charles.
Père Gilbert.
Frère Roger.
Jean-Marie Vianney.
Abbé Pierre.
La "peur" de saint Jean-Paul II.
Notre-Dame de Paris : la flèche ne sera pas remplacée par une pyramide !
Dis seulement une parole et je serai guéri.
Maurice Bellet, cruauté et tendresse.
Réflexions postpascales.