La saison de pêche à la crevette en péril
by Johanne FournierMATANE — Les pêcheurs de crevette nordique, qui devaient prendre la mer le 1er avril, sont toujours retenus à quai. Y aura-t-il une saison de pêche à la crevette, cette année? Si l'on en croit les principaux protagonistes de cette industrie, il n'y a rien de sûr. C'est pourquoi une coalition interprovinciale réclame des mesures d'urgence d'Ottawa pour sauver la saison de pêche qui, selon elle, est en péril, tout comme les milliers d'emplois qui en dépendent.
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Formée de trois associations de pêcheurs et de six communautés autochtones du Québec, du Nouveau-Brunswick ainsi que de Terre-Neuve-et-Labrador, la coalition demande au gouvernement fédéral de mettre en place six mesures de soutien. Parmi celles-ci, notons l'élimination du coût des permis de pêche pour 2020, la modification des critères d'admissibilité du programme d'assurance-emploi pour éviter que les travailleurs du secteur de la capture ne se retrouvent sans emploi et l'augmentation du montant maximal du programme de soutien aux entreprises de 40 000$ à 120 000$.
«Il n'y a personne de très optimiste, avoue le directeur de l'Office des pêcheurs de crevette du Grand Gaspé (OPCGG), Patrice Element. On va commencer si le prix décrété permet à tout le monde de pêcher et de transformer avec une certaine sécurité […].»
Le directeur général de l'Association québécoise de l'industrie de la pêche (AQIP) nourrit un peu plus de confiance, espérant même que les activités pourraient commencer au début juin. «Ce n'est pas facile, mais on cherche des solutions pour que les pêcheurs puissent aller à la pêche et pour que nous, on puisse acheter et ne pas être déficitaires en partant, souligne Jean-Paul Gagné. Ce ne sera pas une belle année, mais on veut qu'il y ait une pêche et une transformation pour avoir de la crevette sur le marché. On veut garder nos clients! Il faut être positifs et optimistes!» Il rappelle que cette industrie est cruciale pour l'économie des régions maritimes, particulièrement en Gaspésie.
Le total autorisé des captures globales est de 17 999 tonnes, ce qui représente une hausse moyenne de 4% par rapport à la dernière saison. Or, le dirigeant de l'AQIP a bon espoir que, même si les activités ne débutaient qu'en juin, les pêcheurs puissent disposer de suffisamment de temps pour atteindre leur quota.
Les causes du retard
La pêche à la crevette de l'estuaire et du golfe du Saint-Laurent a été paralysée au début avril parce qu'elle n'a pu recouvrer sa certification de pêche durable du Marine Steward Council (MSC) avant la mi-avril. Renouvelable aux cinq ans, cette certification est exigée par les marchés européens. Les crevettiers sont aussi demeurés à quai parce que les usines de la Gaspésie ne sont pas prêtes à accueillir des débarquements de crevette puisqu'elles sont aux prises, comme d'autres en Atlantique et surtout en Europe, avec de volumineux inventaires de l'an passé. Par conséquent, l'espoir de reprise de la demande à l'échelle planétaire s'en trouve anéanti jusqu'à ce que ces marchés écoulent une certaine quantité de leurs inventaires. De l'avis de Jean-Paul Gagné, il y a même des stocks de 2018 qui n'ont pas été vendus.
Marchés bloqués
Les conditions actuelles du marché ne sont pas tant guidées par le prix de la fameuse perle rose du Saint-Laurent que par les stocks invendus. «Les marchés de la crevette nordique sont la Grande-Bretagne et les pays scandinaves, précise Patrice Element. Ces gens-là sont en arrêt comme nous. Il n'y a plus personne qui veut acheter de la crevette! Les transformateurs nous disent que les prix sont pourris et qu'ils vont être obligés de supporter des inventaires pendant un bon bout. Au Québec, au Nouveau-Brunswick et à Terre-Neuve, les transformateurs sont plus ou moins intéressés à acheter de la crevette.» M. Gagné de l'AQIP corrobore ces propos: «La crevette, c'est bloqué; il n'y a pas de marchés! Le problème, c'est qu'il n'y a pas de prix parce que les inventaires sont tellement hauts!»
Baisse de prix
Si jamais la saison de pêche à la crevette s'ouvre, elle sera frappée par un fléchissement des prix au débarquement. «Le prix à quai va être diminué par rapport à l'année passée, garantit Jean-Paul Gagné. Les deux parties le reconnaissent. Il n'y a pas de marchés! Tout le monde est dans le même bain!» Le directeur de l'Office des pêcheurs s'en désole. «Les prix qui circulent ne permettent même pas aux pêcheurs de couvrir leurs frais», déplore M. Element. «Il n'y a personne, ni les pêcheurs ni nous, qui veut partir à la pêche ou transformer sans savoir qu'il va y avoir une certaine rentabilité», en déduit M. Gagné.
Conséquences
La pandémie causée par la COVID-19 entraînera-t-elle des conséquences négatives? «Que ce soit sur le plan des pêches ou comme citoyen, on va avoir des séquelles pendant plusieurs années, appréhende le patron de l'OPCGG. Mais personnellement, je pense que sur le plan de la crevette, ça devrait se rétablir en tout ou en partie d'ici six mois ou un an.»
Selon Jean-Paul Gagné, la crise est davantage causée par l'abondance du petit crustacé sur le marché que par le coronavirus. Il considère aussi que la concurrence livrée par la crevette d'élevage et la crevette sauvage d'Argentine, très populaires dans les supermarchés, est un autre facteur qui explique l'effondrement du marché de la crevette nordique. Pour le directeur général de l'AQIP, la crevette nordique est cependant supérieure à toutes les autres par son goût. M. Gagné estime aussi que la crise sanitaire n'a pas d'incidence sur les activités de transformation. «Il n'y a aucun problème avec ça. On est tous prêts. Tout le monde a un protocole et s'est conformé.»