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Cédric Villani lors des débats sur l'application Stop Covid à l'Assemblée nationale, mercredi.
Photo Albert Facelly pour Libération

L'Assemblée nationale donne son feu vert à l'application StopCovid

L'hémicycle a retrouvé les cris et les grandes déclamations à l'occasion du débat sur l'outil numérique du gouvernement chargé d'améliorer le traçage des cas de Covid.

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La future application de traçage StopCovid a franchi, mercredi, son premier examen de passage à l’Assemblée nationale avant d’être décortiquée, dans la soirée, par les sénateurs. La déclaration du gouvernement sur «les innovations numériques dans la lutte contre l’épidémie de Covid-19» a été approuvée par 338 voix (215 députés ont voté contre et 21 se sont abstenus). Cédric O a réussi à lever les craintes de la plupart des députés LREM, bien plus divisés, mi-avril, lorsqu’ils avaient découvert le projet du gouvernement : au final, 12 se sont abstenus (dont Barbara Pompili, Hugues Renson, Pieyre-Alexandre Anglade et Aurore Bergé) et cinq ont voté contre (notamment Sacha Houlié et Pierre Person). Mais le volontarisme du secrétaire d’Etat au Numérique n’a pas porté jusqu’à l’opposition : la gauche a voté contre, comme LR (à trois voix près), ainsi que le groupe Libertés et Territoires et les ex-marcheurs d'Ecologie, démocratie, solidarité (Cédric Villani a voté pour).

L’hémicycle, qui roupillait un peu ces dernières semaines, a retrouvé à cette occasion le brouhaha et les invectives qui couvrent d'ordinaire les débats vigoureux. C’est que les parlementaires attendaient de pied ferme cette discussion d'abord prévue fin avril et reportée pour cause de retard dans l’élaboration de l’application. Plus de deux semaines après le début du déconfinement, «la cavalerie arrive après la bataille, comme dans les BD Lucky Luke», ironise Damien Abad (LR).

«Si vous n’aimez pas, n’en dégoûtez pas les autres»

Crainte «huxleysienne d’un meilleur des mondes de la surveillance généralisée» (Charles de Courson), «pas prudent vers une société orwellienne» (Damien Abad), même avertissement rabelaisien pour Jean-Luc Mélenchon et l’ex-LREM Paula Forteza («science sans conscience n’est que ruine de l’âme»). Anticipant les mises en garde solennelles et les envolées lyriques, le gouvernement a veillé à ne pas porter aux nues son outil numérique, le décrivant comme une simple brique de la stratégie de repérage des chaînes de contamination. Transports en commun, files d’attente, cafés-restaurants – quand ils rouvriront –, l’application pourrait débusquer des «cas de transmission qui échappent au travail des enquêteurs», explique Cédric O, qui vante une intervention plus rapide : avant d’être appelé par les «brigades sanitaires» de l’Assurance maladie, «il peut se passer plusieurs heures voire plusieurs jours décisifs». La garde des Sceaux Nicole Belloubet énumère les garanties évitant un suivi intrusif : usage du Bluetooth, données pseudonymisées, destruction des historiques après quinze jours, transparence, etc. Le dispositif repose par ailleurs sur le consentement des utilisateurs. «Si vous n’aimez pas, n’en dégoûtez pas les autres», résume le ministre de la Santé Olivier Véran, avant de tenter une pirouette périlleuse : «Empêcher les Français qui le souhaitent de disposer d’un outil pour se protéger, c’est sans doute liberticide.»

Mais certains doutent de ces pare-feu. «Ne nous dites pas que ce système est tellement sûr qu’on en verra aucune fuite», proteste Jean-Luc Mélenchon, convaincu que «le bluetooth ouvre des failles de sécurité». D’autres sont perplexes sur la démarche volontaire. Quid de la pression sociale, du patron qui exigerait de ses employés l’installation de l’application ? «Le consentement libre ne peut être garanti», estime Sacha Houlié (LREM).

«Effet de cliquet»

Surtout, ils sont nombreux à craindre une accoutumance à ces techniques de traçage. «Les démocraties ont du mal à rendre les libertés prises en temps de crise», prévient la socialiste Laurence Dumont, tandis que Paula Forteza pointe le risque d’un «effet de cliquet». Le LR Aurélien Pradié, lui, ne fait pas dans la dentelle : «Le nouveau monde prépare une société hygiénisée mais aliénée». La députée LREM Marie Lebec tacle, au passage, les politiques qui ont foncé, tête baissée, dans la promotion de la chloroquine : «J’espère qu’après les positions de certains en faveur de protocoles médicaux dont l’efficacité reste à démontrer, nous serons capable de suivre la parole des scientifiques quand celle-ci fait consensus.» Et l’ex-secrétaire d’Etat au Numérique, Mounir Mahjoubi, objecte que des applications collectant nos données existent déjà sans qu’on s’en émeuve : «Si vous avez des ados chez vous, inquiétez-vous plutôt de l’utilisation de Tik Tok !»

Son successeur au gouvernement réplique en demandant aux réfractaires de choisir leurs arguments : «soit l’application est liberticide, soit elle ne sert à rien». Cédric O se targue d’avoir de son côté les vrais experts, «les seuls à pouvoir dire si c’est efficace et utile, ce sont les épidémiologistes. Et selon eux, dès les premiers téléchargements, l’application évite des malades et des morts», assène-t-il, demandant aux parlementaires s’ils «peuvent faire état de leurs études de médecine». Sur ses bancs, la droite voit rouge. Le secrétaire d’Etat s’était pourtant fait tout miel, mardi dans une interview au Figaro, précisant que même si son avis est consultatif, StopCovid serait lancé ce week-end «sous réserve du vote au Parlement».