Déconfinement : des zones rouges, des vertes et des pas mûres
Alors qu’Edouard Philippe doit annoncer ce jeudi les modalités de la deuxième phase du déconfinement, des présidents de région et personnels de santé appellent avec prudence à un assouplissement des règles dans les territoires jusque-là les plus touchés par l’épidémie.
by Laure Bretton, Anaïs MoranDéconfinement, phase II. Après un premier pas acté le 11 mai et différencié selon les territoires, le gouvernement doit annoncer ce jeudi les modalités d’une nouvelle étape dans la vie des Français. Seront-ils en zone rouge ou verte ? Pourront-ils se déplacer à plus de 100 kilomètres de chez eux illico ? Se promener dans les jardins ? Aller au café ? Voir leurs enfants reprendre le chemin du collège ou du lycée ? Il y a trois semaines, une carte était venue sceller certains arbitrages politiques en matière d’éducation et de réouverture des parcs. Depuis, elle n’est jamais réapparue sur les écrans télé avec des mises à jour officielles.
Dans le premier épisode de déconfinement, les régions Ile-de-France, Grand-Est, Bourgogne-Franche-Comté et Hauts-de-France s’affichaient comme des lanternes rouges car elles ne réunissaient pas les trois critères sanitaires retenus par le gouvernement. Certes, leur dispositif de tests semblait opérationnel, mais beaucoup de départements observaient un nombre de passages aux urgences encore trop haut pour une suspicion au Covid-19 (plus de 6 %) et des services de réanimation principalement occupés par ces patients spécifiques (plus de 60 %). Qu’en est-il aujourd’hui ? Impossible de connaître l’évolution exacte de ces indicateurs très spécifiques.
Le nez sur les chiffres disponibles, les élus veulent prendre la main sur la suite du déconfinement, notamment en Ile-de-France, qui concentre 18 % de la population française et représente 30 % de son PIB. Pour les présidents des Hauts-de-France et du Grand-Est, tous deux élus LR, les données sanitaires «ne justifient plus» que leurs régions restent classées en zone rouge. Une couleur devenue synonyme de «double peine», de «stigmatisation» et un «marquage particulièrement dégradant au plan symbolique» et économique, ont écrit Xavier Bertrand et Jean Rottner dans une lettre adressée mardi au Premier ministre. Ils demandent de repasser en vert «dans les meilleurs délais». Preuve que la partie est délicate à jouer politiquement pour l’exécutif, ils font allusion à des «critères implicites» qui conduiraient selon eux les autorités à maintenir certaines zones en rouge. Comprendre : on nous handicape pour des raisons qui n’ont plus rien de médical.
«Bicolore»
En attendant la présentation d’Edouard Philippe, les professionnels de santé s’appuient sur les indicateurs locaux pour tenter de prédire l’avenir à très court terme. Dans les Hauts-de-France, Patrick Goldstein, chef du Samu du Nord et du pôle des urgences du CHU de Lille, explique que «rien ne justifierait que sa région reste dans le rouge». Selon lui, seulement 40 % des lits de réanimation du territoire sont occupés par des malades du Covid-19. Le nombre de sollicitations absorbées par le Samu est redescendu à 50 appels par jour, contre 3 000 au plus fort de la crise. «De toute manière, une carte bicolore n’a plus de sens. Maintenant, le plus important, c’est de continuer à maîtriser l’apparition de clusters sur le territoire, explique-t-il. Les gens ne doivent pas paniquer. L’apparition de ces mini-foyers est une bonne chose. D’une certaine manière, cela veut dire que notre système de dépistage fonctionne.»
D’après nos informations, les Hauts-de-France ont enregistré, entre le 13 et le 25 mai, un taux de positivité de 2,5 % aux tests PCR (sur l’ensemble des habitants dépistés dans la région et enregistrés dans le fichier national Si-Dep). Dans le Grand-Est, ce taux est à 2,8 %. Un chiffre relativement faible qui reflète assez justement le quotidien d’Eric Thibaud, chef de service des urgences des hôpitaux civils de Colmar. «Il faut faire attention avec ce taux car il dépend beaucoup de la manière dont on dépiste, si la méthode est ciblée ou au contraire très élargie. Mais c’est vrai que chez nous, on a très peu de nouveaux cas. Aux urgences, on doit détecter maximum cinq positifs par semaine», relate-t-il. Dans le service voisin de réanimation, le taux de nouvelles admissions pour Covid-19 est quasi nul. L’équipe est redescendue de 70 lits à ses 30 habituels, dont 5 occupés par des malades contaminés par le coronavirus. «On a le sentiment que le virus ne circule plus vraiment en ce moment», conclut l’urgentiste. Selon Santé publique France, la région est passée sous la barre d’une admission pour 100 000 habitants la semaine dernière.
«Angle mort»
L’Ile-de-France est sans doute la région aux prédictions les plus complexes, tant la menace d’une nouvelle circulation rapide du virus joue les fauteurs de troubles. Certains experts ne seraient pas surpris qu’elle soit jeudi «en rouge clair, soit une zone sous surveillance mais avec certaines contraintes allégées, ou en vert foncé, soit une zone plus libre mais avec des contraintes renforcées». «Je ne sais pas dire aujourd’hui avec une complète certitude que l’épidémie est sous contrôle. Cette crise rend modeste et prudent. Les indicateurs peuvent rendre optimistes, mais notre obsession c’est de ne pas rater quelque chose, il ne faut aucun angle mort dans notre analyse de la situation», résume Aurélien Rousseau, directeur général de l’Agence régionale de santé. Globalement, les indicateurs «phares» sont plutôt de bon augure.
Mardi, 657 patients atteints du Covid étaient encore en réanimation (pour 1 200 lits disponibles en temps normal), mais le nombre ne cesse de diminuer : en début de semaine, 27 patients ont été admis mais 58 sont sortis. Le taux de positivité aux tests PCR est de seulement 2,7 % (malgré des divergences territoriales notables, puisque le Val-d’Oise affiche 4,7 %). Et le nombre d’appels au Samu a «considérablement diminué», selon le professeur Renaud Piarroux, impliqué dans le suivi épidémiologique pour l’AP-HP et le programme Covisan. «C’est extrêmement calme en ce moment, la tendance n’est pas du tout à la remontée épidémique», assure le chef du service parasitologie à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière.
Son avis sur les futurs ajustements politiques ? «Ouvrir les parcs, je pense qu’il n’y a aucun danger. Pour les collèges et lycées, ce n’est pas si simple. On remet des gens dans les bâtiments, encore plus de monde dans les transports… Il ne faut pas perdre de vue qu’il reste encore du virus. La vigilance doit rester la norme.» Aurélien Rousseau partage cette prudence. Outre de la «transparence» et de la «progressivité» dans les mesures annoncées, il attend du gouvernement une certaine «réversibilité» : «On franchit des étapes mais on pourrait aussi revenir en arrière.»