[Tribune] Coronavirus au Cameroun : le rendez-vous manqué des médecins ?
by Aimé BonnyLe Covid-19 révèle la fragilité du rapport de confiance qu’entretient la population camerounaise avec les médecins.
Le Covid-19 n’a pas fini de révéler sa virulence multiforme qui va bien au-delà de son attaque meurtrière des poumons et autres organes vitaux de l’hôte malchanceux, et l’irruption de cette pandémie n’est pas sans susciter un ensemble d’effets pervers dans la profession médicale.
Au Cameroun, où l’échelle de contamination évolue de façon exponentielle, il y a lieu de nourrir de sérieuses inquiétudes, quand on sait que, dans le reste du monde, le pic de la maladie est loin d’être atteint. C’est dire que ce virus constitue l’indice réel qui nous révèle la fragilité du rapport de confiance qu’entretient le patient à l’endroit de son médecin.
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Le Covid-19 nous renvoie, nous, les médecins, à notre réalité précaire, celle d’une corporation qui n’a pas su se faire respecter auprès des patients et des familles. Rien de nouveau dans un contexte où cette corporation s’était déjà bien éloignée du peu de respect.
Sans surprise, ce petit virus étale au grand jour les limites d’une façon d’être et de faire qui se situe aux antipodes d’une capacité à résister à la tentation de profiter des malheurs des malades pour leur faire les poches. Un peuple – camerounais – paradoxalement enclin à se plaindre à raison des dérives médicales qu’il subit, mais qui lui-même sait être le bourreau de son concitoyen dès qu’il en a l’occasion dans son lieu de travail.
Malédiction ?
Le Cameroun n’est-il pas l’un des pays les plus corrompus ? N’est-il pas devenu de façon de plus en plus visible une terre où prospère la violence ? On n’a qu’à voir comment on maltraite les cadavres du Covid-19, pourtant pas plus contagieux que tous ces inconscients qui continuent à vagabonder dans ces foyers de contamination que sont les bars, dont les autorités ont autorisé la réouverture.
Pour toute une partie de la population, cette « magnanimité » a été interprétée comme l’annonce de la fin du Covid-19. Les masques, dont le port était déjà laborieux, sont tombés et l’abandon des mesures barrières s’est traduit par une forte progression de la pandémie dans le pays.
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Que dire, par ailleurs, de l’acte signé par le ministre de la Santé, qui a fermé une structure sanitaire de premier plan de la ville de Douala – la polyclinique Marie O -, en ces temps où la pénurie chronique de l’offre de soins au Cameroun interdirait ce genre de décision ?
Il est fort probable que cet incident constitue une sorte de sommet d’un iceberg de contestations – en bonne partie justifiées – à l’encontre d’un corps médical dont l’impopularité est effrayante, ce qui sonne le glas du plus beau métier du monde dans un pays dont on peine à croire qu’une malédiction ne s’y est pas abattue pour de bon.
Médecin paupérisé
Nous, les médecins, avons perdu la confiance du peuple camerounais. Pour s’en convaincre, il n’est que de voir la propension très large de nos congénères à aller d’abord voir le guérisseur dit « spirituel » – aussi dangereux et vorace que nous, les médecins. Très souvent ensuite, ce choix n’a pour seule action que de retarder l’échéance fatidique de la rencontre du malade avec l’homme en blouse blanche, réputé n’avoir aucun scrupule à spolier l’indigent.
Sommes-nous, nous les médecins, obligés de dévoyer notre profession ? Non
Et d’ailleurs de quel scrupule parlons-nous ? Le médecin, volontairement paupérisé par un État démissionnaire qui lui octroie la modique somme mensuelle de 150 000 francs CFA (moins de 250 dollars), ne peut que voler, escroquer, arnaquer son malade pour tenter d’avoir un train de vie à peu près correct dans une société où le simple fonctionnaire lambda est plus riche (en volant) qu’un BAC+7 (le strict minimum de temps pour former un médecin généraliste).
Résultat : soit le médecin prend au malade les fameux « 3 000 F CFA dans le carnet » de l’hôpital Laquintinie de Douala – ou ailleurs – pour ne pas subir huit heures d’attente, soit le taux de prescriptions des scanners et IRM donnerait des vertiges, voire syncopes, à n’importe quel Ordre de médecins ou ministère de la Santé d’un pays sérieux.
Précarité sanitaire
Le médecin camerounais est aujourd’hui la victime expiatoire d’une gouvernance qui a opté pour maintenir son peuple dans un état de précarité sanitaire permettant la pérennisation de ce système de rationnement des privilèges. Le droit à la santé est un don du prince. Les évacuations sanitaires sont l’arme du chantage gouvernemental. La corporation médicale n’est pas forcément opposée à ce chaos, certains privilégiés bouclant leur salaire annuel en un seul voyage pour évacuer en Inde ou en Europe un malade déjà condamné ou au diagnostic farfelu.
Sommes-nous, nous, les médecins, obligés de dévoyer notre profession ? Non. L’homme est le produit de son milieu. Le médecin, dont l’admission à nos facultés camerounaises de médecine ou d’ailleurs n’est pas conditionnée par un examen de moralité avant son admission à l’auguste institution universitaire, obéit aux mêmes signifiants sociologiques. Selon son éducation de base et sa capacité à résister aux tentations justifiées par la paupérisation du métier voulue par les pouvoirs publics, le médecin camerounais sera vertueux ou brigand.
Pourquoi le Cameroun doit-il toujours se distinguer négativement ?
Je ne sais pas s’il existe un pays au monde où les malades ont autant lutté contre ceux chargés de les sortir des griffes du Sars-CoV-2. Je ne sais pas s’il y a un ministre de la Santé au monde qui a autant pris des décisions à l’encontre de ses collaborateurs. Je ne pense pas. Dès lors, je me pose la question : pourquoi ce pays doit-il toujours se distinguer négativement ?
On dénombre pourtant au Cameroun beaucoup de braves praticiens très professionnels, travaillant dans des conditions difficiles, mais avec beaucoup d’abnégation, de passion et d’amour du métier. Ceux-là sont de vraies victimes d’une société ayant basculé dans la médiocrité systémique.