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Atteint de troubles autistiques, l'homme de 31 ans a été maintenu en détention provisoire à la prison de la Promenade, à La Chaux-de-Fonds, pendant quarante-cinq jours. KEYSTONE

La prison malgré son handicap mental

Le maintien en détention d’un adulte ayant un retard mental important suscite l’indignation à Neuchâtel.

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«L’ensemble de ses pathologies donnent un tableau que l’on pourrait qualifier ‘d’âge mental de 6 ans’.» Ces mots sont ceux de l’expert du Centre neuchâtelois de psychiatrie mandaté par le Ministère public. Ils décrivent Gabriel*, un homme de 31 ans atteint de troubles autistiques, maintenu en détention provisoire à la prison de la Promenade, à La Chaux-de-Fonds, depuis quarante-cinq jours.

Jugé irresponsable, il est poursuivi pour incendies volontaires. Il est suspecté d’avoir lancé dix feux entre février et avril 2020. Malgré ces accusations, la révélation dans Arcinfo de son incarcération à titre préventif a suscité l’émoi dans le canton. Mercredi, le Tribunal des mesures de contraintes (TMC) a décidé de libérer Gabriel et de le placer provisoirement au Centre neuchâtelois de psychiatrie. Considérant la détention illégale, Me Philippe Zumsteg, avocat de la défense, compte réclamer des indemnités «pour chaque jour passé en prison». Pierre Aubert, procureur général, assume et indique «n’avoir pas eu d’autre choix que de demander la mise en détention».

Incapable de discernement

Retour sur les faits: le 11 avril, Gabriel met volontairement le feu à un parapluie ainsi qu’à une affiche située dans un immeuble. Il a ainsi potentiellement mis en danger ses habitants. L’incendie fera finalement très peu de dégâts, ne nécessitant même pas l’intervention des pompiers. «J’étais énervé à cause du Canadien», répond-t-il à l’expert lorsqu’il est interrogé. Le Canadien, c’est le petit ami de Sabine*, la femme dont il est «amoureux» depuis une dizaine d’années, elle aussi handicapée et travaillant dans le même atelier protégé. Selon la mère de Gabriel, il n’aurait pas supporté «qu’ils se fassent des papouilles».

Interrogé par la police judiciaire, il admet cinq incendies sur les dix, avant de se rétracter. Il avoue aussi avoir tenté de mettre le feu aux toilettes de l’institution où il vivait en 2011. Ce qui fait de lui un récidiviste aux yeux du Parquet. Mais l’expert est formel: «Le niveau de discernement est très limité: il a du mal à comprendre pourquoi il est en prison, parle de ‘bêtises’ qu’il a faites sans en mesurer réellement les conséquences possibles.» Le 13 avril, le TMC prononce sa mise en détention préventive, sur demande du Ministère public. Mesure prolongée le 15 mai.

Détention illicite?

En prison, c’est un véritable cauchemar que vit Gabriel. Il réclame sa maman, hurle, vomit et souffre au point de s’automutiler, rapporte son éducatrice, alarmée et révoltée par sa situation. L’expert psychiatre du CPN indique que la détention n’est pas recommandée, tout comme le médecin cantonal.

Pourtant, Gabriel passera quarante-cinq jours à la Promenade. «C’était une décision difficile. Je n’avais pas le choix, se justifie Pierre Aubert. Les faits reprochés ne sont pas anodins, on parle de onze départs d’incendies, notamment dans des lieux habités. Je me devais de réclamer des mesures propres à garantir la sécurité publique. D’autant plus que les risques de récidive sont importants.»

En effet, l’expertise psychiatrique estime que les probabilités que Gabriel recommence sont élevées. Mais aussi que d’autres mesures que la détention doivent être privilégiées. «Les propos du procureur général sont proprement scandaleux, fulmine Me Zumsteg. Je reconnais que la récidive est possible, mais mon client n’a rien à faire en prison! Je me bats depuis quarante-cinq jours pour l’en faire sortir. D’autres moyens existaient. La preuve, aujourd’hui, on trouve une solution.»

«Dès les premiers jours de la détention, le Ministère public a chargé l’Office d’exécution des sanctions et de probation de trouver un établissement approprié, assure Pierre Aubert. Mais compte tenu de la situation sanitaire, aucun d’entre eux n’était disposé à entrer en matière dans l’immédiat.» Me Zumsteg, lui, ne croit pas trop aux explications du Parquet. Il se réjouit d’avoir pu trouver une solution, mais n’en démord pas: «Cette détention était illégale et le Ministère public devra en répondre.»