Pour éviter la sortie de route, Renault revoit toute sa stratégie
Les restructurations sont en marche aussi bien au sein du constructeur français qu’à l’échelle de l’alliance avec Nissan et Mitsubishi. Cap sur l’efficacité et la compétitivité plutôt que sur les volumes
by Muriel MotteRenault annoncera ses projets de restructuration vendredi. En février, lors de la publication de la première perte annuelle depuis 2008-2009, la directrice générale Clotilde Delbos avait annoncé une profonde revue stratégique « sans aucun tabou, et sans rien exclure », ni en France ni à l’étranger. La pandémie est ravageuse pour le constructeur automobile, déjà très affaibli.
En préambule au plan de restructuration que détaillera la marque au losange vendredi, Jean-Dominique Senard, président de l’alliance Renault-Nissan-Mitsubishi, a donné le ton mercredi. Présentant la nouvelle stratégie commune aux trois constructeurs automobiles, il a souligné l’impératif d’efficacité et de compétitivité, un mot martelé à plusieurs reprises. Dorénavant, le modèle de l’alliance ne sera plus fondé sur les volumes, a-t-il clairement indiqué.
La page Carlos Ghosn, pour qui la course à la taille était « stratégique », est bel et bien tournée. Exit la compétition avec Toyota et Volkswagen pour la place de premier producteur mondial, que les franco-japonais ont réussi à occuper à deux reprises. Ces dernières années, « nous nous sommes trop focalisés sur une politique d’expansion, qui a pesé sur les coûts fixes », déplore Osamu Masuko, président de Mitsubishi Motors.
La pandémie et l’effondrement concomitant des ventes planétaires de véhicules ne rendent que plus nécessaire la révision des objectifs et des méthodes de production. A cette condition, « d’ici quelques années (...), cette alliance sera la combinaison d’entreprises la plus puissante du monde », promet celui qui est aussi président de Renault.
« Leader-follower ». Les trois dirigeants ont détaillé et chiffré les retombées de leur nouveau business model. L’objectif général est d’accroître la standardisation des process, de supprimer les doublons et de développer et produire en commun « près de 50 % » de leurs modèles à l’horizon 2025. Pour ce faire, l’alliance va déployer un schéma de « leader follower ». Sur un plan géographique, « chaque membre deviendra référent dans les régions où il possède les meilleurs atouts stratégiques et y agira comme facilitateur et soutien de la compétitivité des autres ». Pour Renault, il s’agira de l’Europe, la Russie, l’Amérique du Sud et l’Afrique du Nord.
Quant aux produits, un « véhicule mère » (voiture leader) sera défini dans chaque segment, les « véhicules sœurs » (voitures followers), étant développés par l’entreprise leader avec le soutien de l’équipe des followers. Cette organisation devrait permettre de réduire jusqu’à 40 % les coûts et les dépenses d’investissements des futurs modèles.
Le renouvellement des petits SUV en Europe après 2025 sera mené par Renault, alors que la modernisation du segment supérieur sera assurée par Nissan
Concrètement, le renouvellement du segment des petits SUV en Europe après 2025 sera mené par Renault, alors que la modernisation de la gamme des SUV du segment supérieur sera assurée par Nissan. Même rationalisation du côté des plateformes de production, dont le nombre sera par exemple ramené de six à une au Brésil. Quant au portefeuille de véhicules produits, il sera réduit de 20 % d’ici à 2025, a précisé Jean-Dominique Senard.
Tout ceci implique une cure minceur pour les membres de l’alliance. Le recentrage est déjà enclenché chez Nissan, lancé dans un ambitieux « plan de redressement de la performance ». Le constructeur nippon va diminuer de 10 % ses capacités de production d’ici à 2023, ce qui implique la suppression de 12 500 postes dans le monde. Il a encore annoncé mercredi un nouveau programme de réduction de coûts d’un montant de 2,5 milliards d’euros cette année, et confirme étudier la fermeture de son usine de Barcelone.
Quant à Renault, il finalise le plan d’économies de 2 milliards d’euros sur trois ans promis par sa directrice générale, Chantal Delbos, en février, qui sera présenté jeudi soir au comité central social et économique (CCSE). L’objectif est d’alléger les coûts fixes de 20 %, et la philosophie est la même que celle qui prévaut pour l’alliance : réduction de la gamme (l’Espace, le Scenic et la Talisman, notamment, ne seraient pas renouvelés), doublée d’une meilleure efficacité de l’investissement et de l’ingénierie – le coût de fonctionnement du Technocentre de Guyancourt est dans la ligne de mire.
Last but not least, la remise à plat des sites de production. Celui de Flins, où sont assemblées la Nissan Micra et la ZOE, et dont la fermeture a un moment été évoquée, devrait finalement connaître une évolution d’activité. En revanche, les usines de Choisy-le-Roi, Caudan et Dieppe ainsi que plusieurs sites à l’étranger seront redimensionnés ou fermés.
Rebond boursier. Pour l’Etat, qui entend « laisser la possibilité à Renault d’adapter son outil de production », dixit Bruno Le Maire, l’enjeu est surtout social. « Il faut sauver le maximum d’emplois », a répété mercredi la ministre des Transports, Élisabeth Borne. Mais les restructurations imposeront bel et bien des réductions d’effectifs. Selon Le Figaro, le constructeur pourrait supprimer 5 000 postes, soit moins de 3 % de l’effectif total du groupe, sans licenciement sec ni plan de départ volontaire, en privilégiant le non-renouvellement des départs à la retraite.
Mardi, en présentant le plan de soutien historique de l’Etat au secteur automobile, Emmanuel Macron a par ailleurs réclamé que « l’ensemble des salariés (des sites) de Maubeuge et de Douai puissent avoir toutes les garanties sur leur avenir » au sein du constructeur. Il en a fait une condition sine qua non à l’attribution d’une aide massive de l’Etat.
Apparemment, ce sujet n’en est pas un puisque le plan à 8 milliards d’euros dévoilé par le président de la République inclut le prêt garanti par l’Etat d’un montant de 5 milliards d’euros promis à Renault. De quoi rasséréner un peu les investisseurs. Le rebond du titre depuis trois jours a fait remonter la valorisation du groupe. Mais à 6,5 milliards d’euros (contre près du double pour PSA), elle affiche toujours une chute de 45 % cette année, et reste loin de la valeur des actifs de l’entreprise.