La consommation risque de ne pas suffire à faire repartir l’économie
Les yeux sont rivés sur la consommation pour prendre le pouls de la reprise, mais c’est plutôt la chute de l’investissement des entreprises qui menace de prolonger la récession
by Jade Grandin de l'EprevierL’économie française repart progressivement. Elle tourne aux quatre cinquièmes de son niveau d’avant crise contre seulement deux tiers pendant le confinement, a indiqué mercredi l’Insee.
« Consommez ! C’est un ordre ». Ainsi est titrée la chronique satirique du journaliste de Télérama Samuel Gontier, qui se moque de l’obsession pour les consommateurs des journaux télévisés de France 3 et France 2 dimanche soir dernier. Interrogés en micro-trottoir, des passants confient ne pas avoir la tête à consommer. « Scandaleux », « révoltant », ironise le blogueur, caricaturant l’importance donnée à la consommation.
Mais quel est justement son rôle dans la période actuelle ? « Les Français doivent vite dépenser leur argent, sinon ils perdront leur boulot », écrit Jean-Pierre Robin dans sa chronique au Figaro, en référence à Keynes et sur un ton cette fois très sérieux. L’idée est que la consommation relance les bénéfices des entreprises, et in fine leurs embauches.
Durant le confinement, les Français ont été littéralement empêchés de consommer, avec la fermeture des commerces dits « non essentiels ». Pendant ce temps, les entreprises se sont assises sur leur chiffre d’affaires. La plupart des ménages, eux, ont vu leurs revenus préservés grâce au chômage partiel. Ils ont accumulé à fin mai 60 milliards d’euros d’épargne forcée, estime la Banque de France.
Rebond. L’objectif du gouvernement était que tout puisse repartir comme avant sitôt le confinement terminé. La consommation, qui était tombée à -32 % de la normale début mai, a fortement rebondi durant la première semaine de déconfinement, à -6 % de son niveau d’avant crise, selon la note de conjoncture de l’Insee publiée mercredi. Le rebond s’est concrétisé « peut-être plus vivement en France qu’en Italie ou en Espagne », écrit l’Insee. En outre, le pessimisme des ménages quant à l’évolution de leur situation financière personnelle se stabilise, alors qu’il s’était dégradé en mars et avril, et ces derniers se disent plus enclins à effectuer des achats importants. « Il y a des facteurs d’optimisme dans cette enquête », remarque Julien Pouget, chef de la conjoncture à l’Insee.
Pour autant, on ne sait pas encore si cette bonne tendance se poursuivra. Une partie des premiers achats « déconfinés » correspondent à un rattrapage d’achats reportés. Les intentions d’achat restent inférieures à leur point bas de 2009. La consommation, même si elle rebondit, risque de rester tendanciellement plus faible qu’auparavant pour de nombreuses raisons. Craintes du chômage, qui s’envolent à des plus hauts depuis 2009 et 2012. Peur d’une deuxième vague épidémique. Mesures de barrières sanitaires (moins de tables au restaurant, de places au théâtre, attente devant les magasins…). Chute des dépenses dans certains secteurs comme le transport aérien, l’événementiel… Et enfin l’aspiration au frugalisme qui s’est développée pendant la crise.
En outre, l’épargne accumulée se trouve plutôt chez les ménages aisés, qui consomment moins. « En bas de l’échelle des revenus, les ménages dépensent ce qu’ils gagnent, rappelle Florence Pisani, directrice de la recherche économique à Candriam. Certains n’ont même pas bénéficié du chômage partiel. Leurs dépenses alimentaires ont été souvent en hausse pour nourrir les enfants qui d’habitude allaient à la cantine ».
Outre le volume, la nature de la consommation comptera. « Si la consommation redémarre pour acheter des produits massivement importés, ce ne sera pas une stimulation folle de l’économie, remarque Denis Ferrand, directeur général de Rexecode. Les secteurs très locaux comme la restauration ont particulièrement souffert et ne retourneront pas vite à la normale ».
Chute des investissements. Non seulement il ne faut pas trop attendre de la consommation, mais « la consommation toute seule risque de ne pas suffire », avertit Florence Pisani. Car les entreprises, elles, ont perdu leurs revenus. Leur trésorerie est au plus mal. La conséquence est la chute de leurs investissements. « Les entreprises qui pourraient éventuellement investir n’auront pas de raison de le faire tant que la consommation ne reprend pas, et le cas échéant, l’investissement augmentera plus lentement que la consommation, mettra du temps à revenir à la normale. Les secteurs très affectés ont encore moins de raisons d’investir ». L’économiste recommande des plans d’investissement public financés par les taux bas pour y palier.
« Les patrons de PME-ETI que nous avons interrogés disent avoir coupé drastiquement leurs projets d’investissements et d’embauches, confirme Denis Ferrand. Oui, ils vont surmonter la crise, mais en introduisant une mécanique récessive qui va revenir en effet boomerang » : moins d’embauches, moins de revenus pour les ménages, moins de consommation. Au final, la consommation est l’arbre qui cache la forêt de l’investissement.