Éric Ciotti veut punir les personnes qui filment et diffusent des vidéos de policiers

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Le député Éric Ciotti dépose une proposition de loi qui vise à interdire la diffusion d'images de forces de l'ordre dans l'exercice de leurs fonctions. Au risque de porter un coup à la liberté d'informer.

C’est un texte de loi qui aurait pu passer inaperçu, mais qui n’a pas échappé à la vigilance de David Dufresne, journaliste spécialisé dans les sujets de libertés publiques de police. Dans un message publié le 27 mai sur Twitter, il signale la tentative du député d’Éric Ciotti d’interdire la diffusion d’images dans l’espace médiatique, lorsqu’elles montrent des forces de l’ordre dans l’exercice de leurs fonctions.

Pour cela, l’élu des Alpes-Maritimes a déposé une proposition de loi, soutenue par une trentaine de collègues, prévoyant une amende maximale de 15 000 euros et une peine d’emprisonnement d’un an pour toute personne diffusant, «  par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support », l’image de policiers, de gendarmes, de soldats, ou d’agents des douanes.

Pour justifier ce texte, le parlementaire observe que les forces de l’ordre « interviennent de plus en plus fréquemment dans un contexte de tensions importantes lié à une défiance envers l’autorité publique » et qu’ils font face à « la circulation d’images et de propos injurieux à [leur] encontre ». Dès lors, la diffusion de leur visage dans les médias, dont les les réseaux sociaux, serait un danger.

« Il est devenu fréquent que les policiers ou leurs familles soient menacés, voire même suivis et agressés jusqu’à leur domicile », avance-t-il. Ce phénomène serait alimenté par la tendance visant à conspuer la police, notamment sur le web. Éric Ciotti affirme que cette pratique « se développe dangereusement », ce qui est tout à fait «  inacceptable » au regard des services rendus pour le pays.

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Éric Ciotti, en 2010 // Source : JMVIG

L’exposé des motifs évoque plus particulièrement une application comme exemple typique du problème, intitulée Urgence violences policières. Mais David Dufresne relève que le texte pourrait aussi s’attaquer à des initiatives comme l’Observatoire National des Pratiques et Violences Policières et même des remontées sur Twitter venant du public. Les activités du journaliste en pâtiraient elles aussi.

Cette loi, poursuit le député, «  vise à rendre systématiquement non identifiables les forces de l’ordre dans l’ensemble de l’espace médiatique, y compris sur les réseaux sociaux. Cela est indispensable pour assurer leur sécurité ». Et pour que cela ait un effet dissuasif, des peines planchers sont prévues, avec 6 mois de prison et une amende de 10 000 euros. Y déroger ne serait qu’exceptionnel.

En réaction à la découverte de David Dufresne, beaucoup d’internautes considèrent qu’il ne s’agit d’une consigne qui aura pour effet de ne plus autoriser de documenter et de montrer les violences policières et tout ce qu’elles peuvent comporter d’abus, de dérives, d’excès et, parfois de bavures. Et de ne plus forcer les forces de l’ordre à une certaine tempérance dans l’action, puisqu’elles sont scrutées et, donc, punissables.

C’est aussi pour cela qu’elles agissent aussi à visage découvert, sauf cas de figure très précis. « Cela fait même partie du contrôle nécessaire par l’opinion publique, prévu dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Le fait que le policier soit identifiable représente une garantie démocratique », indiquait au Parisien Christian Mouhanna, du Centre de recherche sociologique sur le droit et les institutions pénales.

Aujourd’hui, seules quelques unités bien spécifiques bénéficient d’une protection dédiée. C’est le cas du GIGN et du RAID, mais aussi de la BRI, de la DGSI, entre autres, pour les fonctionnaires de police et la gendarmerie nationale. C’est aussi le cas des militaires et de personnels civils relevant du ministère de la Défense, comme les forces spéciales, la DGSE et le personnel lié à la dissuasion nucléaire.

C’est d’ailleurs pour garantir leur anonymat que plusieurs de ces unités se servent de cagoules en intervention et que l’identité de leurs membres n’est pas rendue publique.

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Le personnel du GIGN bénéficie d’un anonymat, du fait du caractère très périlleux et exposé de ses missions. // Source : Domenjod

Pas de droit à l’image spécial pour la police

Mais pour les unités plus classiques, il n’existe aucune disposition concernant leur droit à l’image. C’est ce que souligne une circulaire du ministère de l’Intérieur datée du 23 décembre 2008, que la Ligue des droits de l’homme rappelle dans son observatoire des libertés et des pratiques policières d’avril 2019, à la rubrique sur le droit de filmer les forces de l’ordre, contrôle citoyen sur leurs actions.

« Les policiers ne bénéficient pas de protection particulière en matière de droit à l’image […] La liberté de l’information, qu’elle soit le fait de la presse ou d’un simple particulier, prime le droit au respect de l’image ou de la vie privée dès lors que cette liberté n’est pas dévoyée par une atteinte à la dignité de la personne ou au secret de l’enquête ou de l’instruction », lit-on dans cette circulaire.

Comme le rappelait Libération à l’occasion d’une vérification des faits, il existe deux cas de figure où ce droit peut être limité : pour la préservation des indices et le secret de l’enquête et de l’instruction d’une part, et pour des raisons de sécurité d’autre part, si une action en cours présente objectivement des risques pour les individus se trouvant à proximité — des échanges de tir, par exemple.

La liberté de l’information prime le droit au respect de l’image ou de la vie privée

Il faut noter que ce n’est pas la première fois que des parlementaires tentant de resserrer ce cadre juridique, jugé trop laxiste par les syndicats des forces de l’ordre. Cela s’est vu lors de la proposition de loi de la députée Laetitia Avia sur la haine en ligne, avec un sénateur déposant un amendement, puis un autre, et enfin un troisième, tous jugés par la suite irrecevables lors de leur examen.

Au sein de la direction générale de la police nationale, cette réflexion existe aussi, relevait 20 Minutes en février. Elle déclarait alors être « dans son rôle d’analyse des remontés de terrain ». Pour l’heure, aucune évolution des règles n’est à noter. En avril 2017, l’Inspection générale de la police nationale rappelait d’ailleurs aux fonctionnaires qu’ils n’ont pas le droit d’interdire les photos et les vidéos, même si « ce moment est souvent mal vécu ».

Ce même mémo souligne aussi que ni la destruction, ni l’interdiction de la diffusion, ni l’interpellation des personnes ne peuvent être envisagées pour le seul motif que des personnes braquent leur smartphone vers eux, ou tout autre appareil photo ou caméra. En somme, les forces de l’ordre « à travailler sous l’œil de l’objectif » et faire attention « à ne pas se retrouver dans une posture désavantageuse ».

Le seul cas de figure où les forces de l’ordre bénéficient d’une vraie protection sur leur droit à l’image, c’est lorsqu’elles ne sont pas en service. Dans ce cas, les hommes et les femmes qui ne sont plus en uniforme jouissent des mêmes droits que les autres, à travers l’article 226-1 du code pénal, qui punit les atteintes volontaires de l’intimité de la vie privée avec 45 000 euros d’amende et un an de prison.