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Le professeur Raoult a un rapport personnel et scientifique avec l'Afrique, où son protocole continue d'être appliqué. © Théo Giacometti / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Le professeur Didier Raoult n'est pas encore seul

Alors que son protocole est remis en question par la revue « The Lancet », le Pr Raoult peut encore compter sur ses collègues africains, qui n'y ont pas encore renoncé.

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Dans le contexte compliqué qui est celui du Covid-19, les choses se passent comme si le professeur Didier Raoult avait une garde rapprochée essentiellement composée d'Africains. Burkinabés, Sénégalais, Tunisiens, Maliens, Centrafricains, Marocains, Algériens… Une dizaine de nationalités issues de pays du Sud enrichissent ses équipes à l'institut hospitalo-universitaire Méditerranée Infection à Marseille (IHU Méditerranée Infection). Et l'Afrique s'y taille la part du lion. Parmi eux, le docteur burkinabé Lamine Ouédraogo, qui a été, pour le président français Emmanuel Macron lors de sa visite de l'IHU, le 9 avril 2020, une sorte de guide, à côté de Didier Raoult. « Le professeur Raoult ne fait aucune différence d'emblée entre ses collaborateurs. Le plus important pour lui, c'est le travail », relate Sara Bellali, jeune Casablancaise de 27 ans, au site marocain H24. Elle a débarqué à Marseille en 2015, comme étudiante, dans l'équipe du professeur Raoult. Aujourd'hui, elle est l'une des premières scientifiques dans le monde à avoir observé le Covid-19, bien avant la pandémie mondiale, et à en prendre un cliché au microscope électronique dans les laboratoires de l'IHU.

Raoult : un lien personnel et scientifique avec l'Afrique

Né au Sénégal en 1952, Didier Raoult ne laisse pas indifférent. Il est considéré par certains comme une sommité mondiale en matière d'infectiologie qui mériterait le prix Nobel, par d'autres comme un druide, un gourou et même un charlatan. En Afrique, il vient d'hériter du surnom de « Chloroquine Dundee ». En raison d'un postdaté du 11 avril 2020 dans lequel le professeur rappelle qu'il est « né à Dakar » et qu'il entretient toujours « un lien avec l'Afrique », avec en prime une photo où il apparaît en débardeur noir sans manches, coiffé d'un chapeau de safari aux bords remontés, une image qui rappelle vraiment le Crocodile Dundee africain. Il n'en fallut pas plus au chercheur pour renforcer sa cote sur le continent, lui qui vante les mérites d'un traitement à base de chloroquine, un antipaludéen utilisé depuis soixante-dix ans en Afrique, pour lutter contre le Covid-19.

Mais, si l'infectiologue peut apparaître comme un personnage original, il a fait de l'IHU de Marseille une machine de guerre de renommée mondiale. Fondé en 2011, l'institut hospitalo-universitaire emploie 780 personnes pour lutter contre les maladies infectieuses, notamment les trois plus tueuses : le VIH, la tuberculose et le paludisme.

Des vigies africaines pour l'IHU Méditerranée Infection

L'institut s'appuie sur des relais en Afrique. Basée à Dakar, l'équipe « maladies infectieuses persistantes et émergentes en Afrique de l'Ouest » de l'IHU, forte de 21 chercheurs, est pilotée par le Sénégalais Cheikh Sokhna, biologiste spécialiste du paludisme formé à l'université Cheikh-Anta-Diop de Dakar. Installée, de son côté, à l'École nationale supérieure vétérinaire d'Alger, l'équipe « vecteurs et maladies vectorisées au Maghreb », composée de 16 scientifiques, est dirigée par l'Algérien Idir Bitam.

Si les deux hommes sont des inconnus pour la plupart des Africains, ils bénéficient d'une belle notoriété auprès des autorités de leur pays et de la communauté scientifique internationale. En près de trente ans, le chercheur sénégalais, qui a fait sa thèse sur la chloroquine en 2000, est coauteur de 200 publications sur le paludisme et les maladies infectieuses tropicales. Cheikh Sokhna travaille depuis 2008 avec Didier Raoult, qui séjourne une semaine par an au Sénégal. À cette occasion, les deux hommes ont, par exemple, mis en place des laboratoires de diagnostics rapides dans deux villages de la région de Fatick. Ou équipé l'hôpital Principal de Dakar d'un spectromètre de masse qui permet, depuis 2012, de diagnostiquer et d'identifier les bactéries dans l'hôpital. « Personne ne peut remettre en cause ses connaissances scientifiques. On peut ne pas apprécier sa personne, mais il a de la rigueur scientifique. Il fait partie des meilleurs experts en matière de maladies infectieuses et tropicales », assure le Sénégalais, qui est également directeur de recherche à l'Institut de recherche pour le développement (IRD) à Marseille.

Plus discret, Idir Bitam n'en est pas moins influent dans son pays. L'enseignant-chercheur à l'École nationale supérieure vétérinaire d'Alger est aussi conseiller à l'Institut Pasteur d'Alger, représentant du ministère de la Santé et responsable de la recherche scientifique au ministère de l'Enseignement supérieur.

Dans ses relais en Afrique, le professeur Raoult compte aussi sur des soutiens moins directs, comme les nombreux boursiers passés par l'IHU et qui travaillent sur le continent ou, au Sénégal, le professeur Moussa Seydi, qui dirige le centre des maladies infectieuses de l'hôpital de Fann à Dakar. Responsable de la prise en charge de tous les malades au Sénégal, cet infectiologue de 56 ans a l'oreille du président sénégalais Macky Sall. Et il a fait le choix d'utiliser la chloroquine pour traiter ses patients en s'inspirant du « Sénégalais » Didier Raoult.

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À Dakar, Alger, Ouagadougou..., l'IHU du professeur Raoult a de nombreux scientifiques qui sont des collègues vigies sur le continent.  © ZINYANGE AUNTONY / AFP

Un protocole repris en Afrique mais désormais contesté

La chloroquine, cette molécule pas chère, connue de presque tous les Africains, a fait figure de pilule miracle quand tant de systèmes de santé sur le continent sont défaillants. Avec le Sénégal, le Bénin, le Burkina Faso, le Cameroun, l'Algérie ou le Maroc administrent la chloroquine aux malades du Covid-19, dont les effets sont pourtant très contestés dans le reste du monde…

« Nous n'avons observé aucun avantage de l'hydroxychloroquine ou de la chloroquine (lorsqu'elles sont utilisées seules ou en combinaison avec un macrolide) sur les résultats hospitaliers lorsqu'elles sont initiées tôt après le diagnostic de Covid-19 », a conclu l'éminente revue scientifique britannique The Lancet dans une étude rendue publique le 22 mai. Dans la foulée, le 25 mai, l'OMS a suspendu « temporairement », par la voix de son directeur général, Tedros Adhanom Ghebreyesus, les essais cliniques en cours sur l'hydroxychloroquine afin d'évaluer correctement les potentiels bienfaits ou les possibles effets néfastes de ce médicament.

Le Pr Raoult persiste et signe

Sûr de lui et toujours aussi direct, Didier Raoult a vivement réagi. « Comment voulez-vous qu'une étude foireuse faite avec les big data change ce que nous, nous avons vu sur les électrocardiogrammes ? […] Je ne vais pas changer d'avis parce qu'il y a une publication qui raconte autre chose, quel que soit le journal dans lequel elle passe », a pesté le directeur de l'IHU de Marseille. Pour l'instant, ses soutiens africains lui restent fidèles et les pays du continent qui ont fait le choix de l'hydroxychloroquine ou de la chloroquine pour soigner leurs malades n'ont pas changé leur protocole de lutte contre le Covid-19. Vont-ils garder la même ligne ?