Michel D'Hooghe et le Covid-19 : "Il faudra peut-être la mort d'un joueur pour que le monde du football ouvre les yeux…"
by Erik Libois10 Coupes du Monde à son actif, ex-membre du Comité Exécutif de la FIFA et surtout médecin-chef en titre de l’organisation faîtière du foot mondial : du haut de ses 74 ans, Michel D’Hooghe observe avec circonspection la reprise de la Bundesliga et celle, prochaine, de la Liga et de la Série A. En attendant celle de la Premier League…
" Dans ma longue carrière, j’ai toujours constaté le mariage difficile de la médecine et de l’économie… et souvent, c’est l’économie qui l’emportait sur la santé " explique le médecin brugeois. " J’ai dû, dans ma vie, formuler de nombreuses recommandations quant à l’impact, sur la pratique du sport, de l’altitude, du décalage horaire, d’une chaleur excessive ou de la pollution. Dans le cas du Covid-19, ce n’est plus un cas de médecine mais bien de vie ou de mort… et j’ai espéré que la santé l’emporte sur l’argent. Mais je dois bien constater que ce n’est pas le cas… "
Chaque Fédération nationale a pris ses propres mesures… tout en tenant compte, à l’évidence, de la pression de l’UEFA et des droits de télévision.
" Dès le premier jour, j’ai dit que la Pro-Ligue belge avait pris une sage décision de tout arrêter. Je prône la prudence, et je suis évidemment déçu de voir que certains reprennent déjà. Mais je suis peut-être le seul à penser ainsi. J’espère que d’autres vont me rejoindre dans les semaines qui viennent et que la raison va l’emporter. Des joueurs en Angleterre ont déjà dit qu’ils avaient le sentiment de servir de cobayes… et je les comprends. J’espère évidemment avoir tort… mais j’ai bien peur que seule une catastrophe humaine, comme la mort d’un homme, fera que le monde du foot ouvre les yeux. J’espère qu’on n’en arrivera pas là. "
Discours multiples
En filigrane, transparaît l’éternelle guerre entre la FIFA et l’UEFA : la première n’a pas de Coupe du Monde imminente à organiser, la seconde a temporisé… avant de reporter son Euro 2020. Pour justifier la reprise des championnats, le responsable médical… de l’UEFA a déclaré que le foot pouvait reprendre si un protocole clair était respecté.
" Les débats à la FIFA ont été vite réglés " poursuit Michel D’Hooghe : " A la FIFA, on se calque depuis le début sur les consignes de l’Organisation Mondiale de la Santé. Et notre Président a déclaré que seule la santé comptait… avant toute autre considération. Nous avons toujours dit qu’il fallait arrêter de jouer et attendre la prochaine saison pour faire le point sur la pandémie. Je suis comme Jean Gabin dans la chanson : ‘Ce que je sais, c’est que je ne sais rien…’ Qui peut dire où en sera le virus en septembre ? S’il y aura une deuxième vague ? Et si oui, quand ? C’est le nœud central : avoir un agenda est impossible. "
Au-delà de l’aspect sanitaire, la reprise précipitée de certaines compétitions pose aussi la question du niveau physique des joueurs.
" Je l’avais redouté… et on le constate déjà : des joueurs se blessent dès la reprise des entraînements. Ces joueurs sont restés inactifs durant 2 à 3 mois et on tente de les remettre en condition sur 2 semaines ! Je suis médecin du sport depuis 50 ans : une préparation doit se construire sur 6 à 7 semaines. Sans quoi, vous obtenez des blessures musculaires et tendineuses, comme c’est le cas actuellement. "
Irréaliste
Dans le contexte d’une reprise sur fond de Covid-19, Miche D’Hooghe a aussi suggéré qu’un carton jaune vienne sanctionner les joueurs… crachant à terre lors des matches.
" La salive est infectieuse, même à terre, et la contamination est possible. Mais je ne me fais pas d’illusion : toute ma vie, j’ai vu des joueurs cracher sur un terrain. Comment changer subitement de telles habitudes ? Certains médecins ont aussi suggéré que les joueurs portent des masques… Avez-vous déjà produit un effort physique de 3 heures avec un masque ? C’est impossible. "
Prôner la prudence plutôt que la fuite en avant… Car il est difficile de prédire si cette crise génèrera la prise de conscience au sommet de la " famille " (?) du foot…
" Donner des conseils et passer des messages ? A quoi bon… puisqu’on ne les suit quand même pas ? " conclut Michel D’Hooghe. " Je déplore un peu tous les messages positifs actuels sur la diminution du nombre de contaminations et de décès. Car le virus est toujours bien présent… et c’est le pire fléau dont je me souvienne depuis la Deuxième Guerre Mondiale. Le taux actuel de personnes immunisées ne s’élève qu’à 6 ou 7 %. Il faut donc rester très prudent ! "