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Photo © Nicolas Liponne / NurPhoto / NurPhoto via AFP

Sexe, drogue et rodéo : à Lyon, l’insécurité hors de contrôle

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Alors que certains quartiers de Lyon et de son agglomération sombrent dans l’insécurité, des habitants s’organisent pour dénoncer l’indifférence des pouvoirs publics et le laxisme de la justice.

Comment ce qui était tolérable hier, devient-il soudainement intolérable ? Cette question, Nathalie Balmat se la pose maintenant depuis plusieurs mois. Voilà près de trente ans qu’elle habite à la Guillotière. Elle a choisi de s’y établir, attirée par la mixité sociale de ce petit quartier lyonnais situé à moins de 500 mètres de la place Bellecour. « Ça n’a jamais été Lyon 6 et personne ici ne le voudrait », explique-t-elle. Mais les années et les mois passent et la situation ne cesse de se dégrader sans que les pouvoirs publics ne semblent prendre la mesure des problèmes qui s’accumulent et de l’exaspération des riverains. Ici, aux abords de la place Gabriel Péri, la prostitution, les trafics de cigarettes et de stupéfiants, le harcèlement de rue que subissent nombre de femmes, les incivilités en tout genre, ont fini par faire oublier à nombre d’habitants de la Guillotière le charme du cosmopolitisme qu’ils trouvaient encore il y a peu à leur quartier. Comme le confiait Gérard Collomb, avant de quitter le ministère de l’Intérieur et de retrouver son fauteuil de maire de Lyon, « aujourd’hui on vit côte à côte… je crains que demain on vive face à face ». Une réalité lyonnaise.

Sur les réseaux sociaux, des vidéos racontent l’ensauvagement de Lyon

Dimanche 24 mai, un jeune homme de 23 ans était passé à tabac par une dizaine d’individus après que la victime a voulu porter secours à un ami. La semaine passée, pas moins de trois rixes ont dégénéré en règlement de compte à coup de couteaux. Depuis leur balcon, des riverains filment ces scènes barbares et postent sur les réseaux sociaux le témoignage accablant de l’ensauvagement de Lyon. Là, c’est un homme qui gît par terre, frappé au sang. Ici, c’est un vigile qui esquive un coup de poing aux abords de la station de tramway. Le 4 mai déjà, les policiers qui étaient dépêchés dans le quartier après qu’un vigile dans un supermarché a été menacé par un client qui refusait d’être filtré. La fiche de synthèse de la police que nous avons pu consulter ressemblerait presque à une page de Guérilla, le roman de Laurent Obertone, le style en moins : « Sur place, ils étaient pris à partie par une quarantaine d’individus non casqués, montés sur des motocross et des scooters, qui leur jetaient des projectiles. Un policier était légèrement blessé à la tête par un jet de projectile et au cou par un plot de grenade à main. Un véhicule sérigraphié était endommagé. » Le 29 avril, en plein confinement, c’est un individu armé d’un couteau qui terrorisait les passants, avenue Garibaldi. La violence n’a pas connu de pause pendant cette période. Un policier nous raconte que des médecins ont même été « carjackés » alors qu’ils intervenaient en pleine crise du coronavirus… Cette situation n’est pas nouvelle. Devant le nombre d’incidents, la dégradation de la qualité de vie, et l’indifférence de la municipalité qui, le plus souvent, minimise les faits, Nathalie Balmat a créé en septembre 2019 avec d’autres habitants de ce quartier Lyonnais, le collectif la Guillotière en colère, sur le modèle du quartier voisin, La Presqu’île en colère. A l’époque, des combats de rue étaient organisés le soir devant le McDonald’s de la place Gabriel Péri. « Vous trouvez ça normal qu’on organise des combats de boxe sauvages et illégaux en pleine rue ? », se désolaient les membres du collectif la Guillotière en Colère.

Ces mouvements essèment et se multiplient sur les réseaux sociaux. La Guillotière, Gerland en colère… Ils tentent d’alerter la municipalité et la préfecture à coup de pétitions qu’ils postent sur la plateforme change.org. « Depuis plusieurs années, écrit le collectif Gerland en colère, le Boulevard Yves Farge et les rues avoisinantes font office de circuit de course pour voitures, quads, motos sportives, motocross, scooters… de jour comme de nuit, en semaine comme en weekend ! Les véhicules roulent à vive allure, ignorant toute signalisation et feux tricolores, dépassant par tous les moyens les usagers. Les deux-roues et quads se donnent à cœur joie en réalisant des roues-arrières. » Du côté de la Guillotière, les membres du collectif en sont à leur deuxième pétition. A croire que leurs doléances restent lettre morte.

Le confinement n’a rien changé à l’affaire. Pire, tandis que les Lyonnais se calfeutraient sagement chez eux, les petits trafiquants, les organisateurs de rodéos faisaient la démonstration que les rues de certains quartiers leurs appartenaient. « La ville était à eux », confie Agnès Marion, élue Rassemblement national. « Le petit reliquat d’ordre qui existait avant le confinement n’existe plus. Ils ont considéré que la rue était à eux », ajoute-t-elle. Pour preuve, ces messages postés sur les réseaux, invitant à des rodéos sauvages dans la ville. « Rendez-vous à 16h à Saint-Jean Villeurbanne avec tous les deux-roues que vous avez, on va faire une grosse sortie dans Lyon. » Résultat ? Des dizaines d’individus se filmaient le 4 mai, roulant à contresens parfois, rivalisant de vitesse et enchainant les roues-arrière sur le boulevard périphérique de Lyon.

En banlieue, des guet-apens quotidiens, rarement sanctionnés

Ce qui est vrai de Lyon l’est encore davantage dans certaines communes limitrophes où certains quartiers sont « multi-problématiques ». A Bron, dans le quartier du Terraillon, les rodéos sont quotidiens sans que la police ne parvienne à y mettre fin. Dépêchées sur place, les forces de l’ordre sont le plus souvent accueillies par des tirs de mortier et des feux d’artifice. Même constat à Vaulx-en-Velin, à Vénissieux. Les policiers ou les pompiers sont systématiquement traqués, attendus avec des cocktails molotov. De véritables guet-apens. Le risque létal existe. En permanence. Un syndicaliste policier nous confie avoir pour consigne de n’intervenir qu’« avec discernement », pour éviter l’embrasement. « On marche sur des œufs, ajoute-t-il, les délinquants le savent et en profitent. » A Vaulx-en-Velin, le 4 mai, un équipage CRS, appelé à intervenir pour empêcher un rodéo, était bloqué par une moto pour l’empêcher de circuler tandis qu’un autre scooter le percutait et s’encastrait volontairement dans le fourgon. Le pilote, porteur d’un casque, prenait la fuite en montant sur un autre scooter. Le véhicule CRS n’était plus roulant. Le 22 mai, un motard de la PJ était percuté par un puissant scooter. C’est le 5e policier blessé depuis le début du mois dans l’agglomération lyonnaise. La culture, la haine anti-flic s’enracine et le calvaire des habitants se poursuit. D’autant que ceux qui s’adonnent à ces rodéos ne risquent pas grand-chose. Un rappel à la loi, des stages citoyens, l’immobilisation, la saisie et la destruction de leur scooter, volé la plupart du temps. « Ils en voleront d’autres… Tant que certains magistrats se montreront laxistes, les efforts des forces de l’ordre seront vains », explique un policier. Dans la nuit de dimanche à lundi, un participant à un rodéo repéré à Feyzin par la Bac était arrêté après une course poursuite. Agé de 21 ans, il cumulait déjà plus de 30 antécédents judiciaires. Au jeu du chat et de la souris, les forces de l’ordre sont souvent perdantes. Et quand elles parviennent à arrêter des délinquants, c’est pour qu’un magistrat les libère. Désespérant. « Tout est fait pour que l’état de droit ne s’applique pas », juge encore cette source policière. Ce n’est pas sans danger pour la police. Au début du mois de mai, selon une fiche de synthèse de le PJ, une policière qui quittait son domicile à Rillieux-la-Pape à bord de son véhicule personnel pour prendre son service, était bientôt dépassée sur l’autoroute par une voiture qui se rapprochait dangereusement de la sienne avant de déboiter subitement et de se retrouver à sa hauteur. L’individu se mettait plusieurs fois à sa hauteur et l’insultait. La policière reconnaissait un contrevenant verbalisé dans le cadre des contrôles des mesures de confinement. L’impunité ne sape pas seulement l’autorité de la police, elle la menace et concourt à l’ensauvagement des quartiers. Ici, la loi du plus fort l’emporte. Gare à celui qui voudrait s’y opposer. A la Guillotière, un habitant, insupporté que, pendant le confinement, des hommes s’attroupent sous ses fenêtres, a fini par leurs jeter des glaçons. Il s’en est fallu de peu pour qu’il tombe sous les coups de ces agresseurs qui étaient en train de fracasser la porte de son immeuble, jusqu’à temps que la Bac intervienne.

Le second tour des municipales qui approche changera-t-il la donne ? Certains habitants s’accrochent à cet espoir et veulent que les questions sécuritaires soient le sujet numéro 1 de l’entre-deux-tours de ces municipales. Les collectifs ont rencontré les candidats. Jean-Yves Sécheresse, adjoint à la ville de Lyon en charge de la sécurité, consent à reconnaître des problèmes qu’il avait souvent balayé d’un revers de la main par le passé. Dans Lyon capitale, il reconnaissait cette semaine : « Il y a un problème de maintien de l’ordre sur le secteur de la Guillotière. Il faudrait mettre une unité de CRS en permanence, il y a bien eu des opérations de police régulièrement, mais certains individus sont de retour cinq heures après, il faut du statique pour protéger ce territoire. La ville n’a pas les moyens. » Pas certains que cet éternel « yakafocon » suffise aux habitants de Lyon.