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Le professeur Alain Fischer, immunologiste et cofondateur de l’Institut des maladies génétiques, a présidé la concertation citoyenne sur la vaccination en 2016.© Rose Serra

Covid-19 : « La méfiance vaccinale ressurgit »

ENTRETIEN. Alors que le monde attend un vaccin contre le Sars-CoV-2, les anti-vaccins se réveillent. L'immunologiste Alain Fischer formule ses recommandations.

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Alors que l'épidémie de Covid-19 marque le pas en France et que 120 projets de vaccins sont en cours sur la planète, une grande partie de la population attend l'arrivée d'un vaccin avec impatience. Mais, dans le même temps, une fraction non négligeable de Français le refuse déjà par principe. La méfiance vaccinale fait un retour en force. Pour la combattre, le professeur Alain Fischer, immunologiste et cofondateur de l'Institut des maladies génétiques, qui a présidé la concertation citoyenne sur la vaccination en 2016, a quelques pistes. Entretien.

Le Point : Près d'un Français sur quatre déclare déjà ne pas vouloir se faire vacciner contre le Covid-19 lorsque cela sera possible, selon une étude qui vient d'être publiée dans la revue scientifique The Lancet. La défiance envers la vaccination n'avait-elle pas reculé ces dernières années en France ?

Professeur Alain Fischer : Oui, et c'est pourquoi ce résultat est inquiétant. C'est une minorité de la population, mais elle est importante. Depuis deux ans, la situation s'était nettement améliorée. Les taux de couverture vaccinale ont commencé à augmenter concernant plusieurs vaccins, comme celui contre les pneumocoques ou contre l'hépatite B. Indéniablement, le travail de concertation organisé en 2016 et la décision prise en 2018 de rendre obligatoires 11 vaccins pédiatriques (diphtérie, tétanos, poliomyélite, coqueluche, Haemophilus influenzae b, hépatite B, méningocoque C, pneumocoque, rougeole, oreillons et rubéole) ont été bénéfiques. Cela a permis de faire revenir vers la vaccination de nombreux parents hésitants. Mais, comme on peut le constater aujourd'hui, cela n'a pas fait disparaître la méfiance ou l'hésitation vaccinale. Elles ressurgissent à la faveur de cette nouvelle pandémie.

En 2009, la campagne de vaccination contre la grippe pandémique H1N1 a été un échec. Comment éviter que cela se reproduise avec un futur vaccin contre le Covid-19 ?

Il ne faut pas reproduire les erreurs stratégiques de 2009. À l'époque, le gouvernement a voulu « militariser » la vaccination. On a alors vu apparaître un peu partout de grands centres provisoires censés centraliser toutes les injections. Il s'agissait de gagner en efficacité et d'augmenter le rythme des vaccinations, mais cela a exclu de fait les médecins généralistes et les autres soignants. Or ce sont eux qui ont la confiance des patients. Cette organisation centralisée est la principale raison de l'échec de la campagne de vaccination contre la grippe pandémique. Finalement, moins de 8 % des Français se sont fait vacciner. La leçon à retenir est que l'on ne peut pas se passer des soignants pour assurer le relais des décisions de santé publique sur le terrain. Si un ou des vaccins contre le Covid-19 sont mis au point et peuvent être fabriqués en grande quantité, il faudra les proposer partout ! Dans les cabinets médicaux, chez les infirmiers, chez les pharmaciens, dans les écoles… Il est essentiel de multiplier les points de contact entre la population qui se pose des questions sur le bien-fondé de cette vaccination et les professionnels formés à la vaccination. Cela multiplie les chances de réussite de la campagne.

Faudrait-il adopter de nouvelles obligations vaccinales ?

Dans le cas où il y aurait un vaccin contre le Covid-19, cela ne me semble pas faisable et ce ne serait pas non plus souhaitable pour la population générale. Cela risquerait de ne pas être accepté et pourrait exacerber les résistances. En revanche, pour les professionnels de santé, c'est une option à envisager très sérieusement. Même si, je l'espère, les soignants adhéreront d'eux-mêmes à la vaccination contre le Covid-19 et que l'on pourra s'en passer. Ce qui me semble le plus urgent, c'est d'élargir dès à présent l'obligation vaccinale contre la grippe saisonnière pour tous les soignants. En effet, alors que le vaccin antigrippal leur est simplement recommandé aujourd'hui, on sait qu'ils sont à peine un sur deux à le faire chaque année. Nous ne pouvons pas prendre le risque d'affronter une épidémie massive de grippe à l'automne prochain en même temps qu'un retour du Covid-19 s'il devait exister. Il faut donc agir très vite et se donner les moyens d'augmenter la couverture vaccinale des soignants contre la grippe.

Les pédiatres et l'Académie de médecine s'inquiètent également d'une chute de la vaccination des enfants ces derniers mois…

Avec le confinement, de nombreux parents ont annulé les rendez-vous de vaccination pour leurs enfants. L'extension de la pandémie Covid-19 en France a clairement interrompu l'évolution à la hausse des taux de vaccination chez les nourrissons et les très jeunes enfants. Il n'est pas trop tard pour faire un rattrapage. Et c'est indispensable de le faire vite. Car, comme pour la grippe saisonnière, nous ne pouvons pas risquer de devoir lutter contre une épidémie de rougeole d'ici à quelques mois en même temps qu'une résurgence de cas de Covid-19. Ce serait vraiment la double peine !