Des policiers répondent à Camélia Jordana
by Charlotte d'OrnellasSur le plateau de Laurent Ruquier, la chanteuse Camélia Jordana a accusé les flics de « massacrer » des gens en raison de leur couleur de peau. Côté police, l’accusation passe mal.
« Qu’est-ce que vous voulez répondre à de telles inepties ? » Au premier abord, la réponse des policiers est assez unanime à l’évocation des récents propos tenus par Camélia Jordana sur le plateau de Laurent Ruquier. Certains craignent de ne « pas rester polis très longtemps », la majorité est surtout « affligée ». Samedi dernier, invitée sur le plateau de l’émission On n’est pas couché, la chanteuse s’illustrait par une rhétorique indigéniste anti-flic assez caractéristique. Alors qu’elle évoque les violences commises par certains policiers, la jeune femme tient à préciser qu’elle ne parle pas des manifestants en tous genres mais « des hommes et des femmes qui vont travailler tous les matins en banlieue et qui se font massacrer pour nulle autre raison que leur couleur de peau ». Sur le plateau, aucune autre réaction que celle de l’écrivain Philippe Besson qui tente alors timidement de rappeler que le rôle des policiers est d’abord de protéger la population. Mais Camélia Jordana insiste : « il y a des milliers de personnes qui ne se sentent pas en sécurité face à un flic. Et j'en fais partie. Aujourd'hui j'ai les cheveux défrisés; quand j'ai les cheveux frisés, je ne me sens pas en sécurité face à un flic en France. »
Catéchisme indigéniste
Rien de très surprenant dans la bouche de cette jeune femme déjà connue pour ses exagérations sur le sujet, dans ses clips ou des tribunes publiées ou relayées. « On connaît ce discours par coeur désormais, il est utilisé par tout un courant indigéniste sans limite. Mais le plus grave, c’est qu’il soit pris au sérieux et repris quasiment sans nuances par des hommes politiques et des journalistes », développe un jeune flic de banlieue. Lui tient quand même à rappeler l’évidence : « face à des minorités qui alimentent les trafics et la violence dans les banlieues, beaucoup de gens sont heureux d’avoir encore une présence policière. Et ces gens sont majoritairement noirs et arabes eux aussi ! » Ailleurs dans le département de la Seine Saint Denis, une policière s’amuse presque du « ridicule » des propos. Elle est elle-même mate de peau, et arbore une fière chevelure bouclée : « faut-il vous dire que je n’ai pas spécialement peur de la police ? » s’amuse-t-elle, précisant n’avoir pas grand chose de plus à dire devant « tant de calomnie et de bêtise ».
Lorsqu’il a entendu les propos de la chanteuse pour la première fois, Mathieu était justement entrain de patrouiller avec ses collègues de la BAC. Il est comme tous les policiers, « conscient que certains peuvent déconner », mais reste bouche-bée devant « une telle connerie ». L’agacement cède vite la place à la sidération : « j’espère que cette petite bourgeoise sera fidèle à ses principes le jour où elle se sentira en danger, et qu’elle n’appellera donc pas la police… je ne voudrais pas qu’elle ait peur en nous voyant arriver ! » Un collègue complète : « si elle doit un jour composer le 17, elle comprendra qu’il existe des policiers ou des gendarmes, toutes couleurs de peau confondues, qui sont capables de mettre en jeu leur intégrité physique et même leur vie pour lui venir en aide, sept jours sur sept, et 24h sur 24. »
Abattement et colère des fonctionnaires de police
Mais chez certains fonctionnaires, les accusations commencent à peser très lourd sur le moral. D’abord pour une raison évoquée par plusieurs d’entre eux : « le mot massacrer a un sens. Et si cette jeune femme veut l’utiliser, qu’elle se souvienne que ces dernières années, nous avons plusieurs de nos collègues qui ont été massacrés simplement parce qu’ils étaient flics. Chez eux, à la préfecture, sur les Champs-Élysées, devant Charlie Hebdo… »
La colère est profonde, notamment chez ceux qui essuient régulièrement des violences dans ces quartiers difficiles, et qui tentent pourtant de poursuivre le travail pour le reste de la population. « Qu’elle vienne dans ces cités avec ses cheveux et sa robe, elle verra que ce n’est pas la police qu’elle aura le plus à craindre », entame l’un d’entre eux, passablement exaspéré. « Cette rhétorique prétend se préoccuper des victimes, mais on n’entend jamais ces gens avoir un mot pour les victimes des trafics ou les filles violées dans les caves, organiser des marches blanches pour les victimes des rodéos ou de règlements de comptes… Ils se foutent totalement des victimes, ils se contentent de déverser leur haine des flics et leurs délires indigénistes », enchaîne-t-il. Lorsque l’on évoque avec eux les difficiles relations entre la police et la jeunesse de ces quartiers, beaucoup confient leur ras-le-bol : « d’abord c’est une partie de la jeunesse qui pourrit la vie de tout le monde et non “la jeunesse”. Ensuite, il faudra que ceux qui prétendent que le problème vient des flics pensent à nous expliquer la raison des violences que subissent les pompiers et les médecins qui se font caillasser dans ces quartiers, ou la cause des incendies qui visent écoles et bibliothèques ! »
Un tout jeune policier récemment arrivé dans un banlieue chaude d’Île-de-France tient à préciser qu’il se fiche totalement que les Français aiment ou non la police. « Nous ne sommes pas là pour être aimés, ce n’est pas le sujet. Mais ce qu’elle dit est dangereux en plus d’être faux. Cette femme est une militante politique, c’est tout ». Pour justifier son propos, le policier évoque le jeune Adama Traoré, mort lors d’une interpellation à Beaumont sur Oise sur laquelle court encore une enquête. « Camélia Jordana évoque cette affaire dans l’émission, en regrettant que certains de ses frères soient en prison. Comme si cela avait un rapport avec la mort d’Adama Traoré ! Ils sont accusés d’extorsion de fonds et de violences ! Ils ne sont pas en taule parce qu’ils ne sont pas blancs !! Ces mensonges à répétition sont franchement insupportables. »
La plupart de ces policiers se fichent que Camélia Jordana soit poursuivie ou non pour ses propos. Mais certains tiennent quand même à souligner que dans la bouche d’autres personnes, à commencer par certains collègues, la moindre stigmatisation est directement portée devant les tribunaux. « C’est cette différence de traitement qui devient franchement démoralisante », conclut l’un d’entre eux.