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Frédéric Collet, président du Leem.
© LEEM

«Faire du médicament une priorité stratégique». La tribune de Frédéric Collet (Leem)

« ​Il est grand temps de repenser l’avenir de notre système de soins en transformant en profondeur notre politique du médicament », écrit le représentant de l’industrie pharmaceutique française

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A l’heure d’un déconfinement prudent – comment pourrait-il d’ailleurs en être autrement ? – nous sommes appelés à repenser le système de santé et la politique du médicament à la lumière des enseignements de la crise du Covid-19. Sous peine de caricaturer les bouleversements en cours, ne passons pas à côté de ces acteurs de santé que sont les entreprises du médicament.

Je veux prendre le temps de saluer l’engagement de tous ces collaborateurs, combattants de deuxième ligne, qui ont rempli leur mission dans la lutte contre le Covid-19. Tout d’abord, en adaptant les chaînes de fabrication pour répondre à l’explosion soudaine et inédite de la demande en produits de sédation dans les services de réanimation partout en France. Mais aussi en mobilisant tous leurs moyens dans la recherche de traitements efficaces ou d’un vaccin, seules armes absolues face au virus. Dans cette période troublée, les équipes ont également assuré et assurent encore aux patients souffrant de maladies rares et/ou chroniques (cancer, diabète, hypertension artérielle...) la disponibilité de leurs traitements au long cours.

Cette crise aura révélé au grand public notre degré d’interdépendance vis-à-vis de l’étranger pour nos approvisionnements en produits de santé – l’Asie pour les produits de base, mais aussi les Etats-Unis pour les produits innovants. Elle aura posé, en d’autres termes, la question de la politique industrielle du médicament délaissée depuis plus d’une décennie.

Elle nous aura ensuite appris que notre système de santé, dont on a longtemps raillé la capacité d’adaptation, est capable d’une grande agilité ! Capable de tripler la taille de ses services de réanimation, capable de mobiliser des équipes de soignants travaillant dans d’autres régions ou issues de la Réserve sanitaire. La crise du Covid-19 aura également eu un effet de levier extrêmement puissant sur le développement accéléré des nouvelles technologies appliquées aux soins, dont on prédisait une montée en puissance laborieuse (télémédecine, développement des données, applications mobiles, etc.).

Enfin, la pandémie aura ramené le médicament à sa juste place : celle d’un enjeu de santé publique, bien loin des débats souvent simplistes qu’il ne mérite pas. Elle aura rapproché l’ensemble des acteurs de santé, autour du rôle essentiel du médicament dans la prise en charge des malades.

Il est grand temps de repenser l’avenir de notre système de soins en transformant en profondeur notre politique du médicament, et cette transformation doit s’envisager autour de cinq objectifs prioritaires :

1/ Redonner de la cohérence à notre système de santé. La politique du médicament ne peut être appréhendée en dehors d’une politique globale de santé. Elle est foncièrement associée aux enjeux de recherche, de développement et de production, et intègre également les conditions d’accès aux traitements innovants. La cohérence de l’ensemble de cet écosystème doit guider la stratégie de santé et être au cœur des politiques publiques.

2/ Gagner en efficience et en agilité pour répondre aux questions de santé publique soulevées par la crise du Covid-19 . Il y a urgence à améliorer notre connaissance des zoonoses, à développer la recherche sur les pathologies négligées, à mieux prévenir les ruptures d’approvisionnement… et aussi tout faire pour accélérer l’accès des patients à l’innovation, domaine dans lequel la France a spectaculairement reculé ces dernières années, qu’il s’agisse de la recherche clinique, des autorisations précoces d’utilisation ou encore des délais administratifs.

«Les politiques de régulation doivent être connectées aux objectifs de politique industrielle. Les pistes sont nombreuses pour ce qui concerne les médicaments d’intérêt stratégique: garantir une stabilité des prix dans la durée, informer sur l’origine de leur fabrication, introduire un critère de site de production dans les marchés hospitaliers...»

3/ Rendre à la France son attractivité. La mondialisation a des effets bénéfiques ! C’est parce que la mobilisation s’est opérée à l’échelle planétaire que nous avons pu soutenir collectivement l’effort de guerre contre le virus. Cependant, le Covid-19 nous invite aussi à imaginer un monde plus équilibré et multicentrique dans lequel l’Europe – et singulièrement la France – retrouverait toute se place. Ce qui impose tout d’abord de savoir consolider le potentiel industriel français et accroître les capacités de production existantes en nous concentrant sur médicaments les plus indispensables. Ce qui signifie aussi de mettre en place des politiques de filières adaptées pour attirer la production des médicaments du futur – par exemple les biomédicaments ou les thérapies géniques et cellulaires.

4/ Retrouver une compétitivité internationale. Les politiques de régulation doivent être connectées à ces objectifs de politique industrielle. Les pistes sont nombreuses pour ce qui concerne les médicaments d’intérêt stratégique : garantir une stabilité des prix dans la durée, informer sur l’origine de leur fabrication, introduire un critère de site de production dans les marchés hospitaliers, sanctuariser un financement de ces médicaments échappant à la régulation. De même, pour les médicaments innovants, de nouveaux modes de financements – eux-mêmes innovants – devraient s’appliquer, telle la constitution d’un fonds de financement de l’innovation, ou encore la mise en place de mécanismes de prise en charge adaptés à la réalité de ces nouveaux traitements.

5/ Rendre notre système plus démocratique. Les objectifs d’économies prévus sur le médicament en loi de financement de la Sécurité sociale ne peuvent être décorrélés de la réalité du marché. Nous devons nous assurer que le Parlement connaisse le montant exact des efforts d’économies demandés au secteur pharmaceutique ; il doit aussi pouvoir en contrôler l’exécution. Le dialogue conventionnel doit également toujours être préféré à l’unilatéralisme de l’administration.

Sur tous ces sujets, les entreprises du médicament sont en capacité d’apporter des réponses pour rebâtir collectivement notre système de santé. Il en va de notre responsabilité pour construire le monde de demain. Mais, pour être véritablement en rupture, ces propositions doivent s’accompagner d’une politique du médicament qui s’inscrive dans la durée – rendant possible les relocalisations d’activités – et être pensée dans une perspective européenne.

Les toutes prochaines années proposent un agenda exceptionnel pour nous saisir de ces questions à travers la gestion du post-crise, l’accueil d’une vague de traitements innovants sans précédent et une campagne présidentielle où la santé sera au cœur des attentes des Français.

Ne passons pas à côté de cette occasion singulière.

Frédéric Collet est président du Leem (Les entreprises du médicament).