Pr Reynes : "On n'aura pas de réponse sur l'hydroxychloroquine", estime le Montpelliérain
by SOPHIE GUIRAUDJacques Reynes, patron du service des maladies infectieuses du CHU de Montpellier, participait aux études sur l'hydroxychloroquine : via les essais européen Discovery et Covidoc, spécifique à l'Occitanie. Arrêt des traitements, polémique Raoult... il regrette un "emballement" qui ne permettra sans doute pas d'avoir des données incontestables sur l'efficacité du traitement.
Que pensez-vous de cette étude très critique du Lancet sur l'intérêt de l'hydroxychloroquine, et les effets en cascade de la publication de cette prestigieuse revue scientifique parue vendredi dernier, jusqu'à l'interdiction de l'utilisation de l'hydroxychloroquine, ce mercredi en France ?
Le problème, c'est que le fameux article du Lancet présente beaucoup de biais et d'imprécisions. Quand Didier Raoult dit que c'est un registre électronique déconnecté des patients, il n'est pas loin d'avoir raison. Mais il est signé par un des plus éminents cardiologues mondiaux.
Qu'est-ce qui vous dérange particulièrement dans cette étude ?
Il y a des chiffres très étonnants, qu'on ne retrouve pas dans toutes les autres études déjà réalisées sur l'hydroxychloroquine, sur le niveau de mortalité cardiovasculaire par exemple. Jusqu'ici, les chiffres étaient tous similaires. Ce qui pose problème, c'est l'association de l'hydroxychloroquine à un autre macrolide (NDLR : antibiotique), sans distinction entre eux. On ne peut mettre sur le même plan l'azythromicine, qui est un de ces macrolides, et d'autres antibiotiques.
Autre biais majeur : dans la population des personnes décédées, il y a 30 % des personnes qui avaient une cardiopathie avant de prendre le traitement. Elles n'auraient jamais dû le prendre ! Et 40 % recevaient parallèlement un autre traitement qui bloque le métabolisme, et qui a conduit à un surdosage en hydroxychloroquine. Du coup, il ne faut pas s'étonner qu'on ait ces chiffres hallucinants.
Qui amènent aujourd'hui à interdire l'hydroxychloroquine en France...
On connaît les effets néfastes de l'hydroxychloroquine, mais dans des proportions très faibles. Et on sait que l'usage est problématique chez des personnes à risques. Je suis effaré de la publicité donnée à un article qui n'aurait jamais dû être publié dans une revue aussi prestigieuse que le Lancet.
Du coup, vous avez suspendu les essais engagés au CHU de Montpellier sur l'hydroxychloroquine...
Lundi, dans la soirée, j'ai reçu un mail de l'agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), et j'ai suspendu immédiatement les essais.
C'en est définitivement fini de l'hydroxychloroquine contre l'infection au Covid-19 ?
Les Américains s'apprêtaient à lancer un essai thérapeutique. Vont-ils le faire ? L'organisation mondiale de la santé (OMS) a suspendu elle aussi les essais, mais on connaît les relations de Donald Trump avec l'OMS... Si on en reste là, on n'aura pas de réponse sur l'intérêt du traitement.
Vous pensez toujours que l'hydroxychloroquine a un intérêt ?
Autant je suis dubitatif sur l'hydroxychloroquine seule, autant je pense que l'association avec l'azythromicine peut avoir un intérêt, que n'a pas pu montrer le professeur Raoult car il y a un biais dans ses études, qui incluent des patients qui vont bien, et qui n'auraient jamais fait de complications.
Sur sa première série d'un millier de patients, 30 % avaient un scanner des poumons normal, aucun signe de pneumonie. La question, c'est qu'est-ce qu'on gagne vraiment chez des personnes à l'état moyennement grave ? Est-ce qu'on récupère plus tôt ? C'est dommage qu'on ne soit pas arrivé à conclure.
Quel sera, selon vous, l'avenir du professeur Raoult ?
Ce sera difficile. L'étude du Lancet est un "assassinat" en règle... Il peut s'en remettre si les Américains font une étude sérieuse, qui apporte des éléments tangibles. Ils devaient inclure 2 000 patients dans leur étude. S'ils la font, on aura des réponses...
Moi, je ne suis ni pour, ni contre Raoult. Mais son idée n'était pas une élucubration, l'intérêt présenté par l'hydroxychloroquine est vraisemblable, et même s'il n'est pas gigantesque, il fallait l'évaluer. Après, il y a eu un emballement tel que plus rien n'est devenu contrôlable.