L’aéroport Jean-Lesage déserté [PHOTOS]

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Lieux d’envolées fébriles et de retrouvailles souvent émotives, les aéroports du pays sont devenus depuis plus de deux mois des «no man’s land» désincarnés où règne un calme plat. L’aéroport Jean-Lesage de Québec ne fait pas exception. Avec ses allures fantomatiques, l’endroit distille un étrange parfum, comme si le temps s’était arrêté.

Barrières de stationnement levées, hall des pas perdus et comptoirs d’enregistrement désertés, restaurants fermés, quasi totalité des employés au chômage forcé, tableaux d’affichage avec un nombre anormalement bas de départs et d’arrivées, autobus du RTC vide, un quidam tombé du ciel, ignorant tout de la pandémie, croirait se retrouver dans la version aéroportuaire de Seul au monde. 

«On dirait qu’il y a eu une guerre nucléaire. Tout le monde est dans un bunker», lance le premier voyageur, croisé à l’extérieur du terminal. François Julien revenait du Mexique et était de passage dans la capitale lorsque la COVID-19 est venue chambarder ses plans de voyage. 

«Je devais rester quelques jours à Québec et repartir pour Londres quand tout a été bloqué. Je me suis retrouvé pour un mois dans un appartement en location touristique, sur Honoré-Mercier. J’étais plus capable de rester en place», explique l’ancien ingénieur de SNC-Lavalin et de la firme française Total, qui a oeuvré pendant une quinzaine d’années sur des chantiers un peu partout, en Corée du Sud, en Angola, en Algérie.

Lors du passage du Soleil, ce grand bourlingueur s’apprêtait à prendre un vol pour Toronto, et, de là, gagner Calgary. «Je vais louer une voiture et me promener jusqu’à Vancouver. Ça commence à rouvrir dans ce coin-là.» Dès qu’une possibilité d’aller en Europe va se présenter, il compte bien sauter dans le premier avion.

Cet «électron libre», indépendant de fortune, parcourt la planète, sans domicile fixe, depuis qu’il a pris sa retraite, il y a six ans. Ses passeports portent le tampon d’une cinquantaine de pays. Il voyage selon ses humeurs du moment. À pareille date, l’an dernier, il séjournait à Vilnius, en Lituanie.

Quand l’Italie rouvrira ses frontières aux voyageurs étrangers, il aimerait aller se promener sur la Place Saint-Marc, à Venise, sans avoir à jouer du coude avec des hordes de touristes. La pandémie est finalement «une bonne affaire pour des gens comme moi», glisse-t-il.

À ses pieds, un petit sac renfermant quelques vêtements et un bouquin du philosophe Spinoza. Le sexagénaire voyage léger. Il savoure sa chance. «J’ai mon petit bagage et mon compte en banque. Si vous saviez comme on se sent bien quand on n’a rien.»

Une cinquantaine de voyageurs

La fermeture des frontières aux voyageurs internationaux, le 16 mars, et aux Américains, cinq jours plus tard, a asséné un dur coup à l’aéroport Jean-Lesage. Seulement une dizaine de vols figurent maintenant à l’horaire quotidien : Toronto, Montréal, Sept-Îles, Îles-de-la-Madeleine, Saint-Hubert et Wabush. Rien pour s’évader très loin.

«C’est complètement différent de la réalité habituelle. Depuis le mois de mars, on enregistre quelques dizaines de passagers par jour, entre 10 et 50 maximum, essentiellement des travailleurs», explique la conseillère aux communications de l’aéroport, Laurianne Lapierre En temps normal, à ce temps-ci de l’année, ajoute-t-elle, l’aéroport accueillerait quotidiennement entre 3000 et 5000 passagers.

Antonio (prénom fictif) un chauffeur de taxi d’origine portugaise, est aux premières loges pour constater la forte baisse d’achalandage. Sa voiture est souvent stationnée à l’aéroport dans l’attente de rares clients, mais l’endroit sert aussi de «plaque tournante» pour répondre à d’autres appels dans le secteur. Les temps ne sont pas faciles. Il évalue ses pertes de revenus à une centaine de dollars par jour.

«On est là pour assurer les services essentiels aux voyageurs. Parfois, c’est des travailleurs, parfois des gens qui étaient pris loin. La semaine passée, j’ai reconduit un musicien de Québec qui arrivait des Philippines. Il était resté coincé sur un bateau de croisières.» 

Un pilote d’Air Canada, qui réclame l’anonymat, précise qu’il transporte de Montréal plusieurs travailleurs de l’Ouest qui vont partager leur expertise des sables bitumineux à Terre-Neuve. «Il y aussi plusieurs diplomates qui continuent de voyager.»

Au comptoir de West Jet, deux préposées à l’embarquement du vol de 13h pour Toronto jasent entre elles, histoire de tuer le temps qu’elles ont en abondance. Les rares passagers ont déjà enregistré leurs bagages. En toile de fond, une musique d’ascenseur résonne dans le hall.

«C’est tranquille?

«Oui, quand même», lance l’une d’elles, d’un ton laconique.

«Et les gens, est-ce qu’ils ont peur de prendre l’avion?

«Je n’ai pas remarqué. Ceux qui viennent savent à quoi s’en tenir.»

Masques obligatoires

Depuis le 20 avril, les masques ou les couvre-visages sont obligatoires à bord des appareils. Celui porté par Vincent Lachance a pris le bord de la poubelle, dès son arrivée à Québec, après une escale à l’aéroport international Pearson de Toronto. «Au-delà de prendre nos précautions, qu’est-ce qu’on peut faire de plus?» lance-t-il.

Le superviseur de travaux de dragage pour la compagnie Terrapure, à Pintendre, revient d’un séjour professionnel de trois semaines à Vancouver et Calgary. Juste avant, il avait piqué une pointe au Texas, évitant de peu une quarantaine obligatoire de retour au pays.

Autour de lui, une douzaine de voyageurs, tous masqués, attendent pour récupérer leurs bagages. Aucun chariot n’est disponible, s’étonne-t-il, contrairement à ce qu’il a observé dans les autres aéroports canadiens. Une mesure «pour assurer un nettoyage plus efficace et éviter toute contamination», peut-on lire sur le site de l’aéroport Jean-Lesage.

Le travailleur de Lac-Etchemin est passé d’un aéroport vide à un autre, encore plus vide. «Il n’y a pas de monde, c’est désert, c’est hallucinant.»

Pour la suite des choses, personne ne se risque à prévoir quand l’aéroport de Québec retrouvera le début de l’ombre d’un semblant de normalité. 

«Au fur et à mesure que le déconfinement va progresser le nombre de vols augmentera, mais pour le moment, c’est difficile de prévoir une relance à court terme, d’ici le début juillet» indique Laurianne Lapierre. La reprise dépend d’une multitude de variables sur lesquelles on n’a pas le contrôle.»