Qui sauve un enfant sauve une famille

CHRONIQUE / Ce soir-là pour souper, comme la veille, Claude Auclair était à table avec sa femme Aline et leurs trois gars, Christian, Martin et Stéphane.

Sauf que ce soir-là, Martin, six ans, a failli ne pas être là.

Ne plus jamais être là.

Plus tôt dans la journée, toute la famille était allée se rafraîchir à la plage, c’était début juillet 1973, une chaude journée d’été avec un humidex frôlant les 35 degrés. Au bout du fil, Claude me raconte. «On était l’après-midi, il faisait chaud, je me souviens, j’ai dit à ma femme : “on va-tu se baigner à la plage de Sainte-Foy?”»

Ce qu’on appelle aujourd’hui la base de plein air.

«On est arrivés là-bas, on a mis notre linge, on s’est dit qu’il y en a un qui resterait pour surveiller nos affaires.» Aline est restée avec Stéphane, deux ans, Claude s’est enligné vers l’eau. «Aline m’a dit : “je pense que Martin se noie!” Je me suis retourné, je voyais Martin, comme un dauphin, il suivait la vague…»

Le temps de le dire. «J’ai couru vers lui, je me suis dit : “comment je vais faire pour faire sortir cette eau-là, je l’ai pris par les pieds, je le tenais par les pieds pour faire sortir l’eau, y a rien qui sortait”. Je me suis dit : “il est noyé”… Et puis, un homme est arrivé et il me l’a pris des bras, il faisait des mouvements pour le réanimer, mais il n’y avait pas d’eau qui sortait…»

Cet homme-là, c’est Michel Thiboutot, je vous en parlais lundi, il a sauvé neuf personnes de la noyade dans sa vie.

Une de celles-là, c’est le petit Martin.

Michel a fait le bouche-à-bouche à partir du moment où il a pris l’enfant dans l’eau jusque sur la plage, devant Claude et Aline. Il a eu peur de ne pas pouvoir le ramener à la vie, puis il a vu deux doigts bouger. 

Il a continué. 

Christian, le grand frère de Martin, a lu le texte lundi, il a tout de suite reconnu l’histoire. Il avait huit ans quand c’est arrivé. Il m’a écrit pour me dire que Martin habitait Montréal, qu’il allait bien. Il m’a parlé de son père Claude, qui habite à Québec, 85 ans, juste deux ans de plus que Michel. 

J’ai appelé Claude, il se souvenait évidemment de cette journée, de la rapidité à laquelle son gars, qui savait nager, a échappé à son attention. «On ne sait pas trop comment ça s’est passé. On avait une piscine de deux, trois pieds à la maison, il marchait dans l’eau. On pense qu’il a fait la même chose dans le lac, qu’il a marché comme il le faisait à la maison, mais qu’il a perdu pied. Mais on ne saura jamais…»

Martin n’a aucun souvenir.

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Martin Auclair à l'âge de 6 ans
fournie par Christian Auclair

Claude se rappelle avoir suivi Michel, l’avoir regardé pratiquer les manœuvres de réanimation sur le corps inerte de son fils. «À un moment donné, Martin a tourné la tête, il a pleuré, je me suis dit : “il est vivant”… L’ambulance est arrivée, ils l’ont pris. On les a suivis jusqu’au CHUL, on est arrivés un peu après eux autres. Le médecin nous a dit : “je pense qu’il est correct.”»

Le petit Martin courait partout dans la salle, il s’amusait.

«On est revenus à la maison, on était abasourdis», un peu plus et ils ne seraient revenus qu’avec le maillot de leur gars. «On était tous à table, avec Martin…» quand Claude se rappelle ce moment-là, les larmes montent. Ce souper-là n’avait rien à voir avec celui de la veille ni avec tous les autres avant.

Martin était vivant.

Claude et Aline se sont promis ce soir-là qu’ils retrouveraient l’homme qui a sauvé leur garçon pour le remercier, mais les responsables de la plage n’ont pas voulu leur donner son nom. «Il y avait une fille qui devait surveiller, mais elle regardait une équipe de jeunes hommes qui jouaient au basketball. Ils ont dit que c’est elle qui l’avait sauvé, mais nous, on savait que ce n’était pas elle.»

Aline a préparé une carte pour leur sauveur, Claude a acheté une bouteille de vin, «en espérant le rencontrer un jour». Et ce jour est arrivé environ quatre ans plus tard, Claude a reconnu Michel qui était venu se promener dans son quartier pour visiter une maison. Michel m’a raconté que Claude l’a invité chez lui, qu’il lui a montré Martin en train de jouer dans la cour.

Martin a couru dans la maison, est monté sur un escabeau pour atteindre l’armoire où étaient rangées la carte et la bouteille.

Claude a pu lui dire merci.

Michel a toujours gardé la carte de remerciements, Claude a toujours gardé la coupure du Soleil du 5 juillet 1973, l’entrefilet où on raconte que son fils a été sauvé de la noyade. Après cette rencontre fortuite, ils ne sont plus jamais revus. J’ai donné à Michel le numéro de téléphone de Claude, il devrait l’appeler quand il en aura fini avec son déménagement. Ils vont pouvoir se retrouver, plus de 40 ans plus tard. 

Ils sont unis, à jamais.

Claude ne pensait jamais revoir Michel. «On a fait chacun notre chemin après ça. Mais, quand j’ai lu le texte [lundi], je pense que j’ai plus réalisé encore, quand j’ai lu la carte, avec la petite signature de Martin. J’ai pleuré, j’ai pensé à toute la vie qu’on a eue…»

Qui se serait arrêtée là, dans la moiteur d’un après-midi de juillet.