Franck Dixmier : «Il existe des opportunités sur le marché du crédit, mais il faut être sélectif»
Franck Dixmier, directeur des gestions obligataires chez Allianz Global Investors a accordé un entretien au Revenu. Il revient sur la situation économique dans le contexte actuel de crise sanitaire et livre ses recommandations en termes d'investissements obligataires.
by Romain DionLes banques centrales et les gouvernements ont-ils bien réagi à la crise ?
Nous n’avons jamais vu dans l’Histoire une réponse aussi massive et synchronisée de la part des banques centrales et des gouvernements. Face à la crise enclenchée par la pandémie, qui a entraîné une chute record de l’activité mondiale, ils ont réagi avec une rapidité inédite et de façon remarquable.
Les banques centrales sont intervenues très tôt, avec le message fort qu’elles feraient whatever it takes [tout ce qu’il faut] pour éviter la désintégration des marchés.
Ces interventions massives avaient deux objectifs : assurer une transmission efficace de la politique monétaire et créer un acheteur de dernier ressort pour absorber la dette publique, afin de répondre à l’attitude whatever it costs [coûte que coûte] des gouvernements.
Jusqu’à présent, elles ont été efficaces. Mais la frontière entre politique monétaire et politique budgétaire n’a jamais été aussi floue.
Quel est votre scénario économique pour 2020 et 2021 ?
L’économie mondiale est entrée dans la plus profonde récession depuis la Seconde Guerre mondiale. Le choc de l’offre et de la demande et l’effondrement des prix du pétrole sont visibles dans les statistiques en avril.
Nous prévoyons que la reprise mondiale sera échelonnée et longue, après un effondrement qui pourrait être plus profond que prévu jusqu’à présent. Même dans un scénario optimiste, les niveaux de production d’avant la crise ne devraient pas être retrouvés avant fin 2021.
Au-delà du choc immédiat, le potentiel de croissance déjà faible de l’économie mondiale sera encore plus déprimé par la montée de vents contraires à la productivité, les changements structurels dans le comportement des consommateurs et la marge de manœuvre très limitée des politiques monétaires et budgétaires.
La remise en cause de l’euro est-elle une menace ?
L’Union économique et monétaire, avec une devise commune, est avant tout un projet politique. Les crises passées ont démontré la détermination de la BCE et des gouvernements de maintenir l’intégrité de la zone euro.
Cette volonté est de nouveau mise à rude épreuve. Les divergences macroéconomiques entre les pays qui sont entrés dans la crise avec des finances publiques saines et ceux déjà très endettés ne vont que s’exacerber, et la question de la solvabilité de certains États va de nouveau se poser.
Par ailleurs, il existe un débat institutionnel grandissant, après l’avis de la cour de Karlsruhe, sur la primauté de la Cour de justice européenne sur les juridictions nationales. Mais nous sommes convaincus que la pérennité de la zone euro ne sera pas remise en cause.
Quelles sont les obligations que vous privilégiez et celles que vous évitez ?
Il existe des opportunités sur le marché du crédit, mais il faut être sélectif, en étant attentif à la qualité et la visibilité des cash-flows des entreprises. Les emprunts d’États cœurs (Bund allemand et bond du Trésor américain) nous semblent correctement valorisés compte tenu des incertitudes et ne doivent pas être négligés.
En revanche, il faut rester prudent sur les entreprises de l’univers high yield compte tenu de la possibilité d’un nouveau pic de volatilité, qui validerait le scénario de bear market rally [hausse passagère dans un marché baissier].